Le duo mère-fille d'artistes Manon Barbeau et Anaïs Barbeau-Lavalette s'est prêté au jeu d'un questions-réponses complice et authentique à l'occasion de l'exposition « Vues du fleuve » présentée à la Grande Bibliothèque par BAnQ et @lotoquebec jusqu'au 4 juin 2023. Rencontre en vidéo.
Plus d'informations sur l'exposition « Vues du fleuve » : https://www.banq.qc.ca/exposition-vues-du-fleuve/
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La musique réussit à percer le gris des jours et, d'un bord à l'autre, les pas suivent le rythme et s'enfoncent dans la terre.
Parce que je suis en partie constituée de ton depart. Ton absence fait partie de moi, elle m'a aussi fabriquée. Tu es celle à qui je dois cette eau trouble qui abreuve mes racines, multiples et profondes.
Ainsi, tu continues d'exister.
Dans ma soif inaltérable d'aimer.
Et dans ce besoin d'être libre, comme une nécessité extrême.
Mais libre avec eux.
Je suis libre ensemble, moi.
Le paysagiste ne peut pas être arrogant. Le passage de celui qui cohabite avec la nature doit se faire discret; sa main guidée par l’acuité de son regard, doit faire émerger du paysage ce qu’il recelait déjà en son armure.
Le paysage se déroule et s'éloigne, tu avales tout des yeux tranquillement. Tu sens que tu es à ta place, pour la première fois. Installée dans le mouvement des choses.
L'homme de ma vie frôle les murs. Il cherche des fentes, des brèches pour s'y cacher. Il se sent traqué, pris au piège. Il cherche un espace pour se perdre en lui, mais en lui il n'y a plus de place. C'est complet. Ses doigts craquent, sa tête craque, et la colère coule sur cette petite surface où nous devons nous protéger. Sa rage et sa peine collent à mes pieds, je ne peux plus courir. Je dépose ma main sur sa poitrine et j'essaie d'être une ancre. On découpe des bouts de jour, on lui fabrique une solitude, mais elle étouffe entre les mâchoires de ses parenthèse. La lumière veloutée du jour le pique et le heurte, il voudrait un terrier sans bruit et sans lumière où enfin pourrait exister le début d'un silence, le début de son silence, au bout duquel, peut-être, il saurait ce qu'il cherche.
On confie notre peine au hasard de ce qui peut la porter.
Parce que je suis en partie constituée de ton départ. Ton absence fait partie de moi, elle m'a aussi fabriquée. Tu es celle à qui je dois cette eau trouble qui abreuve mes racines, multiples et profondes.
Ainsi, tu continues d'exister.
Dans ma soif inaltérable d'aimer.
Et dans ce besoin d'être libre, comme une nécessité extrême.
Mais libre avec eux.
Je suis libre ensemble, moi.
Je pose mes yeux sur toi une dernière fois.
Tu as de gros seins. Pas nous.
Tu as une armure. Pas nous.
Nous sommes ensemble. Pas toi.
Tu ne nous auras pas tout légué.
Elles fabriquent des armes. Transforment les casseroles en navire de guerre. (...)
Elles ont la prestance des grandes ballerines. L'élégance du geste utile.
Elles sont aussi un stimulus, une récompense. Les hommes qui partent au front se battent aussi pour elles: leur beauté participe à l'effort de guerre. (p. 71)
L'autobus ralentit. Marque un arrêt devant le garage d'un petit village, où deux vieillards l'attendent. Ils montent à bord en s'excusant. Ils ont la présence effacée des existences en pointillé. Ils ont traversé la vie sans faire de bruit en se tenant par la main. Ils ont souri quand il fallait. Ils ont pleuré et jamais crié. Ils s'assoient côte à côte comme d'habitude. Leur odeur se confond et ils pensent en choeur à des choses qui ne dérangent personne. Tu ne veux pas mourir comme eux. Ordinaire.