L’éclipsé de la pensée conservatrice au XXe siècle coïncide avec le triomphe de l’esprit totalitaire. Mais si le totalitarisme, avec le marxisme et les différentes formes de fascisme, s’est identifié à l’hypertrophie des régimes policiers, il s’accommode tout aussi bien du dépérissement de l’État. Le totalitarisme n’est pas lié à un système politique, mais à une méthode de pensée. Expression d’un rationalisme sans limites, le totalitarisme, quelle que soit sa forme, est fondé sur une perversion de l’idée de progrès. Il sacrifie à un avenir programmé, impossible à atteindre, les exigences du présent. Qu’il débouche sur une sacralisation du pouvoir ou une capitulation sans conditions devant les lois réputées naturelles ou scientifiques du libéralisme économique, il est condamné aux excès. Sa rigueur doctrinale, en écartant comme autant d’obstacles insupportables ou négligeables la résistance des hommes et des événements, le condamne à générer un déséquilibre permanent.
La droite tant libérale que conservatrice, pour sa part, est placée dans une situation qui n’exige pas, elle, de réforme intellectuelle. Sa vocation, qu’elle l’accepte ou non, est d’ordonner un système économique qui, si l’on n’y met effectivement bon ordre, tend vers l’anarchie. Une anarchie capitaliste où régnera, en l’absence de règles imposées, la loi du renard dans le poulailler. La droite n’a, pour démontrer sa légitimité, qu’à encadrer une économie qui fonctionne déjà selon ses vues et ses principes, aux fins de consolidation du Pacte social.