Adrien Moureau

Pour un adolescent moins richement doué, c'eût été follement téméraire que de prétendre se passer de guide ; mais Rembrandt ne présumait pas trop de ses propres forces en voulant, dès sa dix-septième année, travailler à sa guise. Peu pressé de produire, il va, dans son labeur opiniâtre et sa complète indépendance, prendre conscience de lui-même et, dès lors, sa vie malgré des alternatives de succès et de revers, en dépit des chagrins domestiques et des embarras financiers qui ne lui seront pas épargnés, se déroulera jusqu'à la fin dans son caractère de magnifique unité. Quoique curieux, il ne se laissera pas entraîner par le désir des voyages; ni le prestige des grands Italiens, ni la gloire retentissante de Rubens, son aîné de trente ans, ne lui feront quitter le pays natal. Il préférera vivre dans l'éblouissement de ses rêves, explorant chaque jour plus profondément le monde inconnu plein d'ombres et de mystère, né de sa pensée.

C'est surtout au Musée de Haarlemque l'on peut contempler ces grands portraits corporatifs dans lesquels s'affirment, avec tant d'éclat, les mérites essentiels des peintres hollandais ; mais aucune de ces toiles ne l'emporte, en célébrité, sur la Ronde de Nuit du Musée d'Amsterdam.
Peu d'oeuvres, à vrai dire, ont été l'objet d'aussi maladroites admirations, et il n'est point jusqu'au titre, sous lequel elle est désignée dans le monde entier et que nous lui conservons ici, qui ne soit de tous points inexact. Cette ronde de nuit est en réalité la sortie de la compagnie du capitaine Banning Cock. Toutefois, pour se passer en plein jour, à la porte du Doelen des arquebusiers et pour être éclairée, non point par la lumière artificielle de flambeaux, mais par un vif rayon de soleil, la scène n'en devient ni plus précise, ni plus facile à décrire.

Dans ses premiers tableaux, dont les plus anciens qui nous soient parvenus portent les dates de 1627 et de 1628, l'on ne trouve encore qu'oeuvres d'écolier. Ces peintures de petites dimensions représentent des épisodes empruntés aux deux Testaments ; traitées dans des gammes brunes auxquelles les tons locaux sont subordonnés, d'une matière assez mince dans les ombres avec de gras empâtements dans les lumières, elles trahissent, en même temps que la dépendance absolue de l'auteur vis-à-vis du modèle, d'indéniables influences de Swanenburch et de Lastmann. Bien plus, l'exemple de son dernier maître l'encourage à rechercher déjà l'émotion intime dans les sujets bibliques qu'il interprétera bientôt de façon à la fois si humaine et si profondément pathétique.

Durant les périodes vraiment fécondes, il n'existait point de divorce entre l'art et l'industrie. A Florence, les plus admirables quatrocentistes ont passé par des boutiques. Avant de manier le pinceau ou l'ébauchoir, beaucoup d'illustres ouvriers de la Renaissance française avaient également appris à sertir des gemmes et à ciseler le métal ; de même au XVIIIe siècle plus d'une race, avant de produire un artiste, s'est affinée dans l'exercice d'un métier intermédiaire, entre la besogne du tâcheron et la pratique de l'art pur.

Au physique, Moreau était de haute taille et d'aspect robuste. Il s'est représenté lui-même dans une scène de Molière, celle du Sicilien ou de l'Amour peintre; outre cette image assez peu significative, on retrouve, dans les portraits de la Société Académique des Enfants d'Apollon, son médaillon dessiné par Cochin et gravé par Saint-Aubin. Si l'on peut apprécier le dessinateur à ses oeuvres, on ne saurait juger l'être moral, d'après ce profil peu attrayant exprimant plutôt la fermeté que la bienveillance. Sa physionomie propre se dessinera plus nettement au cours de cette étude et nous le verrons, durant une carrière si féconde, allier la dignité de la vie à la conscience de l'artiste.

Canaletto était-il suffisamment initié aux lettres classiques pour comprendre quel prestige et quels souvenirs peuvent s’attacher à de simples pierres? Rome parla moins à son esprit qu’à ses yeux; ce qui le séduisit dans la Ville Éternelle, ce furent les heureuses combinaisons de lignes, les tons chauds et harmonieux des murailles lézardées, les beaux effets de lumière sur les façades des édifices.