Payot - Marque Page - Adrien Gygax - Départ de feu
J’ai vécu les poings serrés, me suis agrippé à bien des choses, n’ai rien voulu lâcher. Je tenais à ceci et à cela, tout me semblait devoir dépendre de moi. Voilà un défaut tout à fait humain, nous nous croyons responsables de tout. Le temps m’a appris le contraire. On prévoit, on planifie et on construit sur un tas de sable que le vent de la vie souffle et déforme à son gré.
La vie est une chute vertigineuse alors on s’accroche, on chope, on empoigne. On s’efforce pour ne pas lâcher prise.
Une femme qui veut baiser, c’est toujours discret, ça se passe à l’intérieur, elle garde tout pour elle. Par contre une femme qui manque d’argent, ça prend toute la place, c’est tout ce qu’il y a de plus vulgaire.
Je n’ai cessé de cueillir les joies partout où elles ont fleuri ; celles qui viennent avec la sensibilité du corps, celles qui ne sont atteignables que par l’agilité de l’esprit, celles qui se cachent derrière la douleur, celles qu’il faut saisir au vol, celles qu’il faut récolter dans la boue, celles qu’il faut arracher à quatre mains, celles qu’il faut sécher d’une pluie de larmes, et toutes les autres.
Ainsi passe la vie, on saute d’une peine à l’autre en quête d’un peu de répit. Et on est heureux, quand même.
On transmet malgré soi, malgré tout. Et ce sont toujours les autres qui décident de la part de nous qui est transmise. Ils nous cambriolent en douceur, jour après jour. Ils nous prennent ceci puis cela, ça commence par un geste, une façon de parler ou une attitude et ça finit avec une vie entière.
Je n’avais pas manqué d’amour, enfant, ma place à l’église avait toujours été réservée, à côté de l’orgue, aux pieds de ma grand-mère. J’avais même eu le droit de tourner les pages de la partition quelques fois. Coup de chance, j’avais eu de ces parents qu’on croit aimer gosse mais dont on ne tombe réellement amoureux qu’une fois adulte. De belles personnes !
Ainsi va la fin de ma vie. Elle va vers le plus merveilleux des détachements. Seules me touchent les choses sur lesquelles je n'ai aucune prise, celles qui m'échappent, me dépassent. Tout ce que j'ai toujours possédé, connu et contrôlé m'entrave. Finalement, seul mon corps m'embarrasse encore, je me suis défait du reste. Il est le dernier à me contrarier, me gêner, et, quelque part, je me réjouis d'en être dépossédé.
Ca ne se visite pas, une moquée. Un jour, sûrement, quand l'islam sera mort et qu'il ne restera plus que ça, faire déambuler les touristes et les curieux. ca viendra, forcément, y a pas de raison. Les moquées s'en iront, avec les églises, presque déjà disparues, et les synagogues, rejoindre les ruines romaines et grecques, les pyramides, le monde entier, tous ces morts pour du vent, ces fidèles de l'éphemère. Le grand théâtre de la vie ne s'arrête jamais, tournez petites troupes, tournez puis mourrez, de décors en décors, de comédies en tragédies. Tournez avec le vent, ce sourd immense aux ailes infinies, envolez-vous au ciel, au paradis ou en enfer, où vous voudrez, comme vous voudrez, rien n'arrête le vent. On les épiera depuis les nuages, les prochains, ces miséreux, ces tricoteurs de foi, on pourra mettre les masques de leurs dieux pour les effrayer, pour les amuser, pour qu'ils ne meurent pas trop vite. Ca meurt toujours trop vite un homme sans Dieu, un désespéré, un vagabond. Les yeux des hommes sont faits pour regarder le ciel et croire à tout, ce sont des yeux d'enfants qu'il a, l'homme.
Ainsi passe la vie, on saute d’une peine à l’autre en quête d’un peu de répit. Et on est heureux, quand même.