En faisant du “facisme“ un signifiant moral davantage qu'une opinion politique, on ne se donne pas les moyens de le combattre efficacement.
Reflet de sa vision du monde dominée par l'image de la guerre entre groupes “naturellement“ antagonistes, la violence de l'extrême droite est un élément constitutif de son identité et de son folklore.
Le traditionalisme, c'est-à-dire la défense des traditions, voir le retour aux traditions oubliées, c'est pour l'extrême droite revenir un ordre “naturel“ du monde, patriarcal et hiérarchisé, une vision directement héritée, pour la France de plusieurs siècles de féodalité et de catholicisme d'État.
Selon une enquête réalisée en 2021, 44 % des policiers et militaires voteraient Marine Le Pen à l’élection présidentielle dès le premier tour, et 60 % au second tour (contre 57 % en 2017), et, si l’on s’en tient aux seul·es policier·es de terrain, cela grimpe à 74 %. Et c’était avant l’annonce de la candidature de Zemmour ! Pour la première fois, en 2022, aucun syndicat policier n’a appeler à barrer la route à Marine Le Pen, de peur de perdre en masse des adhérent·es. En juin 2020, Mediapart et Arte Radio développent, preuves à l’appui, l’existence d’un groupe WhatsApp dans lequel des policiers rouennais s’échangent des messages racistes, homophobes et misogynes, sur fond de suprémacisme blanc.
À la fois mouvement d'autodéfense et mouvement d'émancipation, pratique politique d'action directe, d'information, d'éducation populaire et de contre-culture, l'antifascisme est bien plus varié que l'image qu'il renvoie dans les médias et dans le monde politique, où on se plaît à le caricaturer
Cinquante ans plus tard, c'est sur ces bases que s'est construit un “antifascisme républicain“ qui a réduit le combat contre le fascisme à une lutte pour la démocratie, escamotant la critique de l'État et du capitalisme.
Quant à l’extrême droite contemporaine, elle a montré qu’elle s’accommodait fort bien du système démocratique, et inversement que la social-démocratie n’avait pas de difficulté particulière à intégrer des idées d’extrême droite. Les politiques sécuritaires et migratoires des trente dernières années, menées par des gouvernements se disant de gauche ou de droite, en sont la meilleure preuve.
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Nous entendons souvent : « Pourquoi perdre son temps à s’opposer à des groupuscules qui ne représentent qu’eux-mêmes ? » Or bien malin·es sera celui ou celle qui pourra dire de quoi l’extrême droite de demain sera faite. Le meilleur exemple nous a été donné récemment en Grèce dans les années 2010 avec le mouvement Aube dorée : ce petit mouvement néonazi fondé en 1993, dont le logo est une sorte de croix gammée et dont les militant·es aiment à prendre la pose le bras tendu, se présente aux élections pour la première fois en 2009 et obtient 2,9 % des suffrages, pour finalement entrer au Parlement trois ans plus tard et occuper 18 sièges, sans rien renier de ses convictions fascistes. En effet, alors même qu’Aube dorée s’institutionnalise, il organise la terreur dans les rues en mettant en place des milices pour harceler les immigré·es, et, le 18 septembre 2013, ses militants assassinent le rappeur antifasciste Pávlos Fýssas, dit Killah P.
Les révolutionnaires ont dû faire face à deux menaces distinctes:le républicanisme libéral d'une part et le retour à la monarchie tradition- nelle d'autre part. Il n'en va pas autrement de nos jours : tout mouvement d'émancipation sociale doit à la fois affronter un néolibéralisme de plus en plus autoritaire, [...] et contrecarrer les mouvements nationalistes réactionnaires qui cherchent à détourner à leur profit la misère et le désarroi.
En faisant du " fascisme " un signifiant moral davantage qu'une option politique, on ne se donne pas les moyens de le combattre efficacement.