-C'est quoi, ton excuse, cette fois James?
-Un pneu crevé.
Puis il précisa, avec un sourire:
-J'ai dû le changer moi-même.
La femme griffonna quelques mots sur un bloc de formulaires roses puis en déchira une page qu'elle lui tendit.
-Tu viens à pied.
-Ah bon?
Le sourire de James s'élargit encore.
-Vous savez, Irène, si vous continuez à mettre ma parole en doute, je vais penser que vous ne m'aimez plus. On se voit demain? A la même heure?
Elle étouffa un rire,et James disparut.
« Il sourit comme s'il avait raconté une petite blague intelligente. Je ne l'ai pas comprise, et même si la confusion devait se lire sur mon visage, il continua sans s'expliquer.
- Ceci est le portail entre les morts et les vivants, dit-il. Tu es toujours en vie. Les autres personnes ici sont mortes depuis très longtemps.
Un frisson parcourut mon corps entier.
- Et toi ?
- Moi ?
Le coin de sa bouche trembla légèrement.
- Je contrôle les morts. Je ne suis pas l'un d'entre eux. »
Tu as fait preuve envers lui de plus de gentillesse et de compréhension qu’on ne lui en a montrées pendant des millénaires. Même la plus noire et la plus perverse des âmes ne peut rester insensible à la compassion.
[...]
Du coup je ne me suis pas autorisée à avoir des amies. A quoi bon construire des relations condamnées à s'éteindre au bout de quelques mois, dans le meilleur des cas ?
- Tu as du te sentir très seule.
Je hausse les épaules.
- Ce n'était pas si mal, au bout du compte. Quand on y réfléchit, tout le monde finit par partir d'une manière ou d'une autre. Les gens, tout comme les choses, ne sont pas éternels.
Henry regarda Diane dans les yeux, et lui dit tout par ce simple regard. Le givre recouvrit subitement toute la caverne, gelant tout aux alentours, tandis que leurs deux corps se consumaient en vague de feu.
Le sol se fissura brusquement en deux, comme si l'Autre Monde était sur le point de s'effondrer. Les infinies réserves d'énergie de son royaume convergèrent alors dans le corps d'Henry, qui les absorba au milieu de toute sa peur, sa haine, son angoisse, jusqu'à en faire un diamant brut niché au creux de ses entrailles.
Et il hurla.
- Je n'ai jamais été avec James, dis-je alors. Quoi que tu puisse penser sur ce qui est arrivé en Grèce, sache que c'est faux. Nous y étions entre amis, rien de plus. J'ai attendu que tu te montres, là-bas. Je t'ai cherché partout où nous allions, persuadée que tu allais me faire une surprise; mais ce n'est pas arrivé, et ça m'a fait mal. C'était comme si tu n'avais pas du tout envie de me voir.
Je tendis la main vers la sienne, mais je retins mon geste à la dernière seconde. Je ne pourrais pas supporter de me faire rejeter physiquement en plus de tout le reste, pas maintenant.
[...] - Bonne nuit, murmurais-je en fermant les yeux, même si j'étais sûre de ne pas trouver le sommeil de sitôt.
[...] Soudain, le matelas bougea derrière moi, et Henry passa un bras autour de ma taille avant de presser son visage contre mon dos. Son corps était chaud et sa main chercha la mienne.
- S'il te plaît, ne pars pas, dit-il, ses lèvres effleurant mon cou.
On ne peut pas contrôler ce que les autres pensent de nous, mais il n'y a que nous pour décider qui nous sommes.
- J'aimerais que tu puisses te voir comme je te vois, moi. Tu as une capacité extraordinaire à rassembler les gens quand leur seule envie serait de s'éloigner et de ne jamais revenir. Tu vois toujours les solutions les plus simples là où nous ne voyons que des complications, et tu as de l'espoir même dans les situations les plus impossibles. Mais par-dessus tout, tu comprends les gens. Quand tu vois quelqu'un, tu ne t'arrêtes pas à ses actes. Quels que soient tes sentiment, tu distingues ses motivations et tu as assez d'empathie pour le comprendre. C'est pour ça que je sais que tu seras une grande reine. Même moi, je ne possède pas ce self-control.
- Pendant la réunion du Conseil ...
Il s'interrompit et effleura mes lèvres de son pouce.
- Tu as dit que je ne t'avais même pas embrassée pour te souhaiter bonne nuit depuis ton arrivée. Je sais qu'il n'est pas encore midi, mais cette heure te semblerait-elle acceptable pour remédier à cela ?
Je souris si largement que ma mâchoire me fait mal. Je n'avais pas souri ainsi depuis des lustres, et ça m'avait manqué.
- C'est une heure parfaite.
- Tu crois que tu vas pouvoir vivre sans moi quelques mois de plus ? dis-je à Pogo comme il sortait la tête de mes vêtements.
Il poussa un petit jappement, et je souris malgré moi.
- Tu vas lui manquer, dit soudain une voix derrière moi.
Je sursautai et laissai tomber les bottes que j'essayais de fourrer dans mon unique valise.
Je pensais qu'il m'éviterait ; mais il était là, le buste droit et le regard ombrageux.
Henry.