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Se heurter au premier amour

Interview : Arnaud Cathrine à propos de Romance

 

Article publié le 11/05/2020 par Nathan Lévêque

 

« J’ai l’impression de faire de l’art mais c’est lui mon chef-d’œuvre. Mon amour est un chef-d’œuvre. » Les sentiments qui traversent le héros du nouveau roman d’Arnaud Cathrine, Romance (Robert Laffont), nous les connaissons tous : ce sont ceux du premier amour. Intense, beau, puissant, terriblement grand et peut-être douloureux. Cet amour que Vince cherche désespérément va le heurter de plein fouet. Et c’est précisément cette rencontre que le romancier explore dans un texte très contemporain où l’adolescence est dite avec franchise. Nous lui avons posé quelques questions, pour essayer de comprendre comment un auteur parvient à raconter l’amour, à s’inscrire dans le temps présent et à parler d’adolescence à ceux qui la vivent.

 

© Astrid di Crollalanza

 

Avec À la place du coeur, une trilogie déjà publiée dans la Collection R, vous exploriez la dualité des sentiments grâce au personnage de Côme qui, au moment de l’horreur provoquée par les attentats de 2015, vit ses premiers émois amoureux. Avec Romance, vous plongez entièrement dans le sentiment amoureux et dans tout ce qu’il suscite chez l’adolescent : l’envie d’abord, car Vince, votre personnage principal, crève d’envie de trouver l’amour, le vrai, pour vivre une histoire intense et une première fois « classe », mais aussi le désir, le trouble, la douleur... Quel a été le déclic qui vous a donné envie d’écrire cette histoire ?

J’avais envie de me glisser dans des « genres » pour les revisiter. Ecrire une franche comédie et l’amener vers le drame amoureux ; écrire une romance en tentant de dynamiter les clichés (ce qui revenait à aborder la sexualité frontalement et la douleur induite par l’expérience passionnelle). Enfin, j’avais envie d’un personnage gay mais différent de ce que j’avais lu ou vu déjà au cinéma : je l’ai voulu gai, castagneur, incapable de dissocier le sentiment amoureux de l’expérience sexuelle (et, en cela, mauvais candidat pour les sites de rencontre) et un personnage qu’on prend bien après le coming-out. Un personnage qui estime que son problème, ce n’est pas son désir d’un garçon (son environnement bienveillant l’y a aidé, il a de la chance) mais : trouver ce garçon.


Comment l’écrivain parvient-il à retrouver – et à exprimer – l’amour tel qu’on le ressent la première fois ?

Je suis reparti d’un souvenir très prégnant : le premier amour qu’on ne voit pas venir. Ça, c’est la grâce totale. Par la suite, on voit tout venir, on anticipe : on drague (quand on a ce talent !), on voit la perspective d’une rencontre se profiler, on s’approche, on espère le meilleur, on redoute le raté, mais on voit quand même tout arriver. La puissance du premier amour, c’est qu’il nous tombe dessus, qu’on le découvre à l’aveugle, expliquant une intensité particulière qu’on ne retrouvera jamais. On connaîtra d’autres formes d’intensité, mais pas celle-là. Et pour vous répondre : cette intensité-là aussi imprévisible qu’inconnue, je ne l’ai jamais oubliée.

Vince est un personnage particulièrement réaliste et en même temps assez original en littérature ado. C’est un adolescent qui se sait homosexuel, l’a accepté bien avant le début de cette histoire et le revendique. Vous semblez pourtant jouer avec les clichés que l’on associe parfois aux personnes homosexuelles, lui conférant des qualités que d’aucuns qualifieraient de féminines (la sensibilité par exemple) et des caractéristiques socialement perçues comme viriles (Vince n’est pas un grand intellectuel et fait un peu trop usage de ses poings)… Ce personnage a-t-il beaucoup évolué du moment où il est né dans votre esprit jusqu’à la version finale du texte ? Pensez-vous par ailleurs que les adolescents manquent en littérature ado de personnages homosexuels auxquels s’identifier ?

Je vous répondrai par la bande : passé ce travail pour dépasser les clichés et tenter de créer un personnage singulier, je voulais dépasser autre chose (j’ai un côté universaliste, c’est comme ça) : le particularisme de son identité sexuelle. Vince est gay mais c’est surtout un ado amoureux. Voilà une expérience parmi d’autres qui relie des milliards d’êtres humains. Rien ne me fait plus plaisir que lorsqu’une lectrice ou un lecteur me dit : « Mais, en fait, cette histoire pourrait être celle de deux filles ou d’un garçon et d’une fille. » Mon but était que, partant de la spécificité de Vince, on aille vers une histoire universelle qui est celle de la première fois, du premier amour. Et qu’un public le plus large possible s’identifie à ce trajet ou se remémore sa propre traversée de la première fois. Après tout, pendant des siècles, les femmes ont dû s’identifier à des hommes quand elles lisaient parce qu’il y avait peu d’héroïnes. A présent que, par bonheur, beaucoup de femmes écrivent et qu’il y a beaucoup d’héroïnes, des hommes trouvent à s’identifier à ce qui arrive aux héroïnes des livres. De même, je crois (mon lectorat me le prouve) qu’un lecteur hétéro peut parfaitement s’identifier à un personnage gay. C’est ça 2020. Pas chacun dans sa case. Pour parvenir à « parler » à un public si hétérogène (l’hétérogénéité étant une valeur importante pour moi, dans ma vie ; pas un hasard si je vis dans le quartier de Belleville à Paris où cohabitent tant de communautés et de confessions différentes), pour parvenir à ça, il faut dépasser dans la narration les particularismes et chercher là où nous sommes semblables. J’aime cette synergie qui produit du « commun ». Donc, après ce détour, je vous dirai : oui, Vince a évolué et dans ma tête et dans le fil narratif ; il affirme tout d’abord très fort qu’il est gay et puis, si je me suis bien débrouillé, ensuite on s’en fiche un peu. L’axiome serait : il vit un premier amour gay, c’est-à-dire un premier amour tout court.

 



Dans Romance, votre style semble au croisement du journal intime, du long monologue intérieur et peut-être de la confession à un ami (Vince s’adresse même au lecteur qu’il tutoie à un moment du roman). Comment avez-vous travaillé votre écriture sur ce roman ? De plus, comment sont apparus dans votre processus les formes courtes (SMS, publications Instagram, extraits du carnet de Vince intitulé « Garçons volés ») qui parsèment le livre et font avancer l’histoire ?

Je souhaite inscrire tout mon travail dans la collection R dans notre monde moderne, j’avoue que j’aime utiliser les SMS et les réseaux parce que je m’amuse. Avec l’orthographe, avec la nature des choses qu’on signifie dans les formes courtes (très différente de ce qu’on dit dans une lettre, un mail ou de visu). Et puis, le comportement amoureux est forcément conditionné par cette technologie : dans Fragments d’un discours amoureux de Barthes, l’amoureux attendait des heures à côté de son téléphone ; à présent, il bombarde de textos ou se fait espion sur Insta ! Exemple parmi tellement d’autres.


Votre roman est divisé en sept parties intitulées par des phrases très courtes à la première personne qui résument étape par étape la vie amoureuse et sexuelle de Vince : Je le cherche, Je le noie, Je l’essaie, Je l’aime, etc. Que signifient pour vous ces sept parties aux titres finalement assez intenses et – parfois – fatalistes ?

Il y a là-dedans un regard ironique et tendre sur Vince. Parce que c’est vrai quand même qu’il est parano, il dramatise tout, il gesticule, va trop vite, trop fort. Donc je voulais souligner cette détermination agaçante et touchante en imposant le JE dans chaque titre de partie.


Sans rien en dévoiler, on peut pourtant dire que la fin du roman est terriblement définitive et en même temps ouverte sur de nombreuses interrogations. Était-ce une façon de laisser au lecteur le soin de terminer l’histoire avec ses propres émotions et son imagination ?

J’aime les fins ouvertes. Pour moi, un roman, c’est passer un moment avec un personnage et le laisser vaquer à la dernière page. Nos vies sont de plus en plus fragmentées, discontinues, imprévisibles. Alors j’aime laisser les fins dans l’incertitude. Ne pas tout refermer. Quand on quitte un ami à la fin d’une soirée, c’est pareil : on le laisse devant l’inconnu. Mais la « fausse » fin de Romance sera nuancée par l’arrivée d’une suite que j’écris actuellement…

 

 

Arnaud Cathrine à propos de ses lectures

 

Quel est le livre qui vous a donné envie d'écrire ?

 

L`étranger de Camus, je crois. Parce que je me suis dit : on peut donc écrire si simplement et être à ce point profond !


Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?

 

Il y a en a tellement ! Disons pour aujourd’hui : Le Diable au corps de Radiguet. Un roman d’amour incroyablement lucide et culotté pour l’époque.

 
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

Annie Saumont. Une femme disparue il y a quelques années et qui n’a jamais écrit que des nouvelles. J’avais 15 ans et il m’a semblé pour la première fois entendre un son résolument contemporain dans l’écriture.


Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

Fragments d'un discours amoureux de Barthes (très puissant sur ce sujet énigmatique) et La vie matérielle de Duras (parce que j’aime à le rouvrir comme l’on poursuivrait une conversation avec une amie chère). Et Comment supporter sa liberté de Chantal Thomas (tout est dans le titre).
 

Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?

Je n’ai pas honte quant aux livres que je n’ai pas lus. J’ai adopté la devise de Valéry : « N’entrez pas ici sans désir. »
 

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

Bonjour minuit de Jean Rhys qui date de 1939. Très méconnu. Et incroyablement en avance concernant l’émancipation, notamment féminine.
 

Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?

Je ne vois pas tellement les choses comme ça… Les choses ne sont pas surfaites ou non, me semble-t-il : elles rencontrent nos désirs, ou pas.
 

Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?

« Et lorsque j’affirme, j’interroge encore. » Jacques Rigaut.


Et en ce moment que lisez-vous ?

La rentrée littéraire de septembre prochain parce que je suis conseiller littéraire pour des festivals littéraires et pour la Maison de la Poésie de Paris. Alors on commence nos programmations ! Et je me régale.

 

 

Découvrez Romance d'Arnaud Cathrine publié aux éditions Robert Laffont dans la Collection R

 

Ce livre fait partie des 100 titres sélectionnés pour le Prix Babelio 2020. N'hésitez pas à voter ici

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