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EAN : 9782365698504
528 pages
Editions Les Escales (07/03/2024)
3.86/5   33 notes
Résumé :
Russie, 1914. Tout oppose Alexeï et Ivan Narychkine, deux frères issus de l’aristocratie. Alexeï, l’aîné, a hérité de leur père son tempérament déterminé et réfléchi. Libéral, il prône la modernisation et la démocratisation de la Russie. Ivan, lui, ressemble à leur mère : d’un naturel tourmenté et exalté, il épouse volontiers les pensées anarchistes et marxistes.

Mais les deux jeunes hommes ont quelque chose en commun : leur amour pour Natalia, leur s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Ivan le terrible, Alexeï le rêveur

En imaginant le destin de deux frères engagés sur des voies politiques opposées, Harold Cobert réussit une fresque éblouissante, pleine de bruit et de fureur sur la Russie de 1910 à 1990. Un tour de force éclairant et éblouissant.

La famille Narychkine séjourne dans sa datcha aux alentours de Saint-Pétersbourg. Nous sommes à l'orée du XXe siècle et déjà les gamins perçoivent leur statut privilégié est bien moins enviable que celui du peuple, à commencer par leur personnel de maison. Une hiérarchie qui les empêche notamment de partager ne fut ce qu'un goûter avec leurs amis d'extraction modeste. Une situation qui leur déplait d'autant plus qu'ils sont tous deux amoureux de Natalia, leur soeur de lait, fille de leur gouvernante et de l'administrateur des terres familiales.
On comprend dès lors leur volonté de faire changer les choses, de réformer un pays qui laisse au tsar et à sa cour tout le pouvoir et toutes les richesses. Et puis, il faut bien s'opposer au père pour s'émanciper.
Mais alors qu'Ivan veut faire la révolution et s'engage dans un groupe secret de bolchéviks, Alexeï – auquel on prédit une future carrière de diplomate – veut abolir le tsar pour réformer en profondeur le pays et les institutions et le doter d'une constitution libérale.
Deux conceptions qui vont très vite devenir irréconciliables et pousser les deux frères l'un contre l'autre.
Quand éclate la Première guerre mondiale, Ivan défend les révolutionnaires qui entendent profiter du conflit pour faire triompher leurs idées, quitte à retourner leurs armes contre la classe dirigeante et Alexeï espère voir les élites montrer le chemin d'une démocratie apaisée.
Bien mieux que les livres d'histoire qui s'arrêtent tous à 1917, à la chute du tsar et à l'avènement de la Révolution menée par Lénine, Harold Cobert nous raconte ces années de trouble, ces moments où tour à tour les forces en présence progressent ou se voient soudain laminées au gré de circonstances que ni les uns, ni les autres ne maîtrisent vraiment. Après le coup d'État raté de Kornilkov, Kerenski se voit vainqueur, mais son pouvoir aussi s'étiole. «À l'image du soviet de Petrograd, désormais présidé par Trotski, les bolcheviks dominaient l'ensemble des soviets du pays, tant dans les grandes agglomérations que dans les campagnes. Les moujiks, lassés d'attendre les mesures agraires sans cesse repoussées dans l'expectative brumeuse de la convocation d'une Assemblée constituante, avaient pris leur destin en main. Ils avaient procédé au partage des terres, allant jusqu'à brûler les propriétés des maîtres récalcitrants et à assassiner sauvagement leurs anciens oppresseurs. Lorsque la nouvelle était parvenue sur les lignes de front, les conscrits, majoritairement d'origine paysanne, avaient commencé à déserter pour rentrer dans leur village natal et participer à ce mouvement.»
On imagine aisément la violence brutale, les exactions sanglantes, l'aveuglement idéologique d'un pays qui se rêvait en paradis du peuple libéré et se retrouve en enfer.
Un enfer qu'Ivan va mettre toute son énergie à construire, allant même jusqu'à tuer ses parents pour prouver qu'aucun aristocrate ou tenant de l'ancien régime ne se mettra désormais en travers de sa route. le voilà en totale adéquation avec Staline déclarant: «La mort résout tous les problèmes. Pas d'hommes, pas de problèmes.»
Avant d'ajouter «La mort d'un homme est une tragédie. La mort de millions d'hommes est une statistique. Et les tchékistes sont appelés à devenir les meilleurs statisticiens du monde.»
Harold Cobert, qui s'appuie sur une solide documentation, va nous entraîner dans cette Union des Républiques Socialistes Soviétiques qui va supprimer les libertés les unes après les autres, qui va asseoir un pouvoir dictatorial grandissant au fil des années.
Après avoir vainement tenté de résister à ce rouleau compresseur, Alexeï va être contraint à l'exil. Après avoir traversé un pays exsangue où «les paysages d'apocalypse et les charniers se succédaient les uns aux autres dans une monotonie funèbre. Partout, le même chapelet de villes et de villages fantômes, pillés, saccagés ou incendiés; partout les mêmes tableaux d'exécutions massives dont les dépouilles avaient été abandonnées en des tas de chairs putréfiées à même le sol ou dans des fosses hâtivement creusées et laissées à ciel ouvert; partout, la même litanie de corps mutilés, violés, éventrés, brûlés vifs», le voilà prêt à mener le combat depuis l'étranger, aux côtés d'autres russes blancs qui ont réussi à fuir.
En suivant les deux frères, l'auteur réussit un roman tout en nuances là où les manuels d'histoire écrits par les vainqueurs pour les vainqueurs en manquent cruellement. Si l'idéal révolutionnaire devait justifier les pires exactions, le combat antisoviétique et la chasse aux communistes ne s'est pas davantage accompagné de scrupules. Cette vaste fresque, qui nous conduira jusqu'aux années 1980, résonne aussi fortement avec l'actualité. Elle nous livre quelques clés pour comprendre ce que ce peuple russe a vécu, ce qui constitue cette âme qui ne peut accéder au bonheur et qui n'aura, de fait, jamais goûté à la liberté.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.

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Je me suis laissée tenter par ce roman noir historique comme on voudra, car j'avais beaucoup aimé « Belle amie » de l'auteur qui imaginait une suite au chef-d'oeuvre De Maupassant « Bel ami ». L'aventure commençait bien avec la description de la famille Narychkine, aristocrates proches du régime tsariste et leurs deux fils Alexeï et Ivan.

Nous sommes en 1914, et le régime tremble, la famille impériale décrédibilisée par la relation toxique qu'elle a entretenue avec Raspoutine. Alexeï a choisi de rester dans les traces de son père, désirant devenir diplomate tandis qu'Ivan se laisse tenter par les idées révolutionnaires sous l'influence de Kolia, fils de leurs domestiques et de sa soeur Natalia.

Evidemment les deux frères vont suivre des chemins complètement opposés, Alexeï suivant les Russes blancs tandis qu'Ivan se liera aux Bolchéviks d'où une lutte fratricide, sur fond de jalousie entre les deux frères.

Au début, cette histoire m'a plu, mais avec les horreurs de la guerre de 14-18, puis de la Révolution, les exactions en tous genres, les tortures décrites avec une précision quasi anatomique, puis les tractations de Staline pour évincer, Trotski, m'ont soulevé le coeur. Bien sûr, derrière Ivan je voyais Poutine, alors nous faire revisiter les grands moments de l'histoire, les rencontres avec tous les personnages importants qui ont traversé l'époque communiste ne m'ont pas convaincue.

Je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages, même à Alexeï, ce qui était déjà un problème en soi, la scène où Ivan tue ses propres parents d'un coup de pistolet dans la nuque au nom de la Révolution a été terrible.

Je voulais approfondir un peu mes connaissances, car je l'avoue, si j'ai beaucoup lu sur le Nazisme, je n'arrivais pas à faire de même avec Staline et ses crimes, mais quand je vois que la Russie d'aujourd'hui le réhabilite et réécrit l'histoire,.. j'ai fini par survoler ce livre. On voit assez d'horreur comme cela,…

Je connaissais assez bien l'histoire des îles Solovki et ce qui s'y passait au moment du goulag, notamment la visite enthousiaste de Gorki, pour qui tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Comment ne pas relever la similitude entre la devise « par le travail, la liberté » avec celle des camps nazis ? ou les méthodes qui se ressemblent tant pour détruire physiquement et psychologiquement un être humain (comme ce fut le cas pour Alexeï Navalny)

Bref, ce n'était pas le moment de me plonger dans ce roman. En plus, mon esprit voguait vers Boris Pasternak et son fameux « Docteur Jivago »…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m'ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur.

#LeRougeetleBlanc #NetGalleyFrance !
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Le Rouge et le Blanc d'Harold Cobert (Éditions Les Escales, 2024) est un roman historique qui débute à la veille de la première guerre mondiale, sous le règne des Tsars, puis durant la guerre civile russe et la naissance de l'URSS .


Il raconte l'histoire d'Alexeï et Ivan, deux frères opposés par que le destin politique du peuple russe, à la veille des révolutions de 1917.


Le roman s'inscrit dans une veine littéraire déjà bien explorée, et peine à se démarquer de ses prédécesseurs. L'intrigue est convenue et les personnages manquent sérieusement d'originalité. le style d'écriture, bien que correct, n'est pas exempt de défauts : l'auteur ne parvient pas à soutenir un style narratif correct, celui-ci est ruiné par des lourdeurs et longueurs qui nuisent à la fluidité du récit. À cet égard, l'auteur augmente ce sentiment du lecteur par un manque de maîtrise de la narration : les points de vue ne sont pas clairement définis. Aussi, et par surcroît, les dialogues sont souvent artificiels et sonnent faux.


Sur le fond, le roman n'est pas exempt d'inexactitudes historiques. Certaines descriptions des événements de la guerre civile russe sont erronées, ce qui entache la crédibilité du récit ; il s'éloigne de ce que l'on peut attendre d'un roman historique.


En conclusion, le Rouge et Le Blanc est un roman décevant. Malgré son sujet intéressant, il souffre de nombreux défauts qui en font une lecture laborieuse. Il est difficile de le recommander, même aux amateurs d'histoire russe.

Michel.


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Demain parait en librairie le nouveau roman de Harold Cobert, le rouge et Le Blanc, que j'ai eu la chance et le plaisir de pouvoir découvrir avant sa sortie. J'en remercie beaucoup les éditions Les Escales.

Le Rouge et Le Blanc est une grande fresque historique qui couvre le 20e siècle sous le prisme de l'histoire de la Russie.
C'est par les choix et les destins de deux frères, Alexei et Ivan, et de Natalia, leur soeur de lait, que nous allons revivre les grands événements de l'époque. de l'aube de la Première Guerre Mondiale à la Guerre Froide, en passant par la Révolution d'Octobre et la Seconde Guerre Mondiale, Alexei et Ivan vont devoir choisir un camp, au risque de devoir un jour s'affronter.

C'était la première fois que j'avais l'occasion de lire l'auteur et je dois dire que j'ai beaucoup apprécié ma lecture. J'ai rapidement été immergée dans le flot de l'Histoire avec un grand H, j'avais beaucoup de mal à reposer mon livre, que j'ai trouvé très addictif. C'est donc une réussite à mes yeux, même si je me dois de préciser deux points assez importants.

On est ici sur un livre très historique. Malgré la présence de nos trois personnages principaux, il ne faut pas imaginer ici une romance historique car vous seriez déçus. le propos principal du livre, c'est bien le destin de la Russie. A titre personnel, ça ne m'a pas du tout dérangée, car j'adore ce type de lectures. J'aurais même souhaité, à vrai dire, que l'auteur aille encore plus loin en ce sens, notamment en ajoutant une bibliographie de ses sources, ou une postface qui décrypterait le récit en relevant les faits réels. Je ne suis pas (loin de là) une spécialiste de la période révolutionnaire russe , des Goulags, ou de la guerre froide, et j'aurais vraiment aimé que l'auteur m'aide à faire la part des choses entre éléments fictionnels et réalité historique. C'est un peu mon côté historienne qui ressort je suppose :P

La conséquence de ça, c'est que j'ai parfois trouvé difficile de vraiment m'attacher aux personnages. le début du récit est très focalisé sur leurs choix et leurs destins, mais par la suite j'ai trouvé que le récit historique prenait le dessus. L'auteur choisit de faire d'eux des personnalités centrales qui vont côtoyer les grands noms de l'époque et avoir une importance parfois capitale dans L Histoire. Cela sert le récit "politique" mais au détriment de la fiction qui est un peu négligée. Les révélations les concernant, l'évolution de leurs relations, n'étaient pas assez exploitées à mon goût, et j'ai eu du mal à m'impliquer émotionnellement pour eux.
Je pense que le choix de la chronologie (qui s'accélère à mesure que l'on avance dans le temps) a contribué à cette impression. Il y a tant à dire sur l'aspect historique que les personnages deviennent un peu un prétexte à ce récit.
Ce roman m'a parfois fait penser à la Trilogie du Siècle, de Ken Follett, qui a, à mon sens, mieux réussi à combiner la grande Histoire et l'histoire de ses personnages. Mais à sa décharge, il avait beaucoup plus de pages pour le faire :P

Ces petites précisions peuvent peut être donner l'impression que je n'ai pas apprécié ma lecture, et ce n'est pas du tout le cas! J'ai passé un excellent moment avec cette histoire! Mais je pense qu'il est important d'en être conscient avant de décider ou non de se plonger dans le roman.
En ce qui me concerne, le l'ai lu très vite, et j'ai beaucoup apprécié cette plongée dans L Histoire. Ce roman a suscité chez moi une grande curiosité, et bien que je n'aie pas été happée émotionnellement, je l'ai été intellectuellement.
J'ai été très surprise de certaines révélations en fin de roman, mais pas de leurs conséquences. Je me suis souvent demandé comment l'auteur allait pouvoir clore cette immense épopée, et je dois avouer que la fin est réussie. J'aurais eu du mal à imager un dénouement très différent.
C'est donc une lecture très satisfaisante à mes yeux!
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Dans la pure tradition des romans russes ce livre nous plonge dans l'histoire tourmentée de la Russie du XXème siècle, de l'aube de la première guerre mondiale à la chute du mur de Berlin.
On y suit les frères Narychkine, Alexei et Ivan, deux jeunes aristocrates. Nés peu avant le siècle, ils sont inséparables et ils grandissent avec Kolya et Natalia, les enfants de domestiques de leurs parents, à un âge où l'amitié se joue des barrières sociales.
Mais à l'adolescence, leurs chemins divergeront. Alexei, l'aîné, dans le sillage de ses parents choisira le camps des blancs, inspiré par les thèses libérales et attiré par la démocratie. Ivan, plus fougueux et d'un naturel rebelle épousera très tôt la cause des rouges, reniera sa famille et se jettera à corps perdu dans la révolution communiste aux côtés des tchékistes. Et entre les deux Natalia, dont ils sont tous les deux épris, et qui creusera encore le fossé creusé entre eux par la politique.
.
Je lis généralement peu de romans historiques, goûtant peu à ce genre littéraire. Je ne suis pas non plus particulièrement attirée par la Russie. Deux éléments qui pouvaient me laisser redouter cette lecture. Et pourtant!
Après un démarrage un peu laborieux, je l'avoue, j'ai dévoré cette fresque foisonnante et j'ai pris autant de plaisir à suivre la destinée de ces deux frères qu'à revisiter l'histoire riche et mouvementée de l'Europe du XXème siècle. Parce qu'à travers les trajectoires d'Ivan et Alexei c'est l'opposition de deux visions du monde que nous offre Harold Cobert. C'est très documenté, très dense de références historiques, mais c'est aussi follement romanesque et les rebondissements nombreux m'ont complètement happée dans une intrigue qui tient autant au roman d'espionnage que de la fresque familiale. Sa réussite tient aussi à ses personnages. Complexes et tourmentés, très engagés mais pétris de failles et de doutes. Des personnages auxquels on s'attache et que l'on quitte à regret. Mais surtout, on le referme en ayant le sentiment d'avoir un peu mieux compris la complexe histoire de ce siècle que ce soit sur un plan historique, politique ou géopolitique. Mention spéciale pour les pages sur le goulag, terribles et sur les épisodes de la course à la bombe, passionnantes.
Un roman que je vous conseille vivement pour sa grande puissance narrative. Ambitieux, tragique et foisonnant
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critiques presse (1)
SudOuestPresse
08 mars 2024
Harold Cobert raconte un siècle d'histoire russe à travers le destin de deux frères dont les idées politiques et sociales s'opposent.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Après la mort soudaine et tragique du camarade Staline, une guerre larvée pour la succession du «Petit Père des Peuples» s'était déclarée entre les enfants nés de la Révolution. Beria, l’inflexible, Beria, le redoutable et redouté Beria s'était mué en un farouche partisan de la clémence, interrompant brutalement la formidable avancée qui était en marche et les faisant reculer de vingt ans en à peine deux mois alors même qu'ils touchaient au but tant désiré, que la société sans classes apparaissait enfin à l'horizon. L'infâme parjure avait suspendu tous les grands travaux engagés par le camarade Staline, accordé une amnistie à plus d’un million de saboteurs et de cafards encore en rééducation dans les camps du Goulag, placé cet ensemble concentrationnaire d'utilité publique et morale sous le contrôle du ministère de la Justice et osé blasphémer en récusant sa prétendue rentabilité économique. Le seul point honorable de ce laxisme honteux passible a minima d’une balle dans la nuque tenait à l'abandon des persécutions mises en œuvre contre les médecins juifs des dignitaires de l’État soviétique et, au-delà, contre les juifs de l'URSS en général. p. 461
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(Les premières pages du livre)
PRÉLUDE
LES ESPOIRS DU CRÉPUSCULE
Le soleil déclinait doucement dans le ciel. Sa luminosité ricochait sur la surface de l’eau en un clapotis de larmes d’or tremblantes. Ses rayons frappaient de leurs reflets cuivrés une demeure laissée à l’abandon, rongée par la végétation et le sel du temps. Du pied de l’un des murs d’enceinte, entaillé de quelques pierres effondrées, montaient des éclats de rire.
Deux jeunes garçons escaladaient cette paroi grumeleuse, aux prises rendues instables par les touffes de mousse glissantes et les veinules de lierre irrégulières. Leur respiration saccadée trahissait une rivalité entêtée derrière leur amusement apparent.
« Gagné ! », s’écria le plus âgé en s’asseyant sur le rebord tant convoité.
« Non, c’est moi ! », hurla son concurrent, installé de l’autre côté de la brèche balafrant la fortification.
Alexeï se tourna vers son frère qui le toisait avec hostilité.
« Ivan, tu sais très bien que je suis arrivé le premier. »
À tout juste 15 ans, Alexeï était habitué à déminer l’impétuosité volcanique de son cadet. Blond, les iris d’un bleu arctique, la peau pâle et les traits typiquement slaves, il avait la physionomie racée et élancée de leur père, Vladimir Piotrovitch Narychkine. Il tenait également de lui un esprit agile, capable d’englober et de relier des questions complexes sans lien manifeste, ainsi qu’un tempérament avenant, souple et conciliant, mais fier, ferme et intraitable lorsqu’on touchait aux principes libéraux ou aux valeurs d’honneur auxquelles il croyait.
« Tu mens, comme tous les capitalistes de ton espèce ! », fulmina Ivan.
Du haut de ses 13 ans, il ne s’en laissait pas conter par son aîné. Brun, les sourcils broussailleux surplombant des yeux noirs, le teint blafard, presque maladif, il tenait plus de leur mère ukrainienne, Ekaterina Viktorovna Narychkine, tant pour le physique que pour le caractère tourmenté. Doté d’une intelligence effervescente et d’une capacité d’abstraction précoce, lecteur insatiable depuis sa plus tendre enfance, il épuisait à la manière d’un acide chaque sujet auquel il s’attaquait jusqu’à ce qu’il l’ait excavé de part en part. D’une nature révoltée, il était farouchement enclin aux idées radicales issues des pensées anarchistes et marxistes, un rebelle à sa classe, en opposition constante au progressisme libéral de son père et de son frère qu’il jugeait « petit bourgeois ».
Alexeï sourit face à l’argument outrageusement politique d’Ivan en la circonstance.
« Le capitalisme n’a rien à voir avec ma victoire, sauf si on considère qu’il est le meilleur des systèmes. »
Ivan ricana entre ses dents.
« Tu as vraiment la morgue de tous ceux que nous voulons détruire. »
Alexeï s’agaça.
« “Nous” ? Parce que tu crois que ton amitié avec Kolya suffit à faire de toi un membre de la classe ouvrière ? »
Ivan s’apprêtait à réagir avec virulence lorsqu’une voix féminine le devança.
« Aliocha, laisse mon frère hors de vos disputes. »
Perchée sur une branche au-dessus d’eux, ils découvrirent avec stupeur Natalia, leur sœur de lait, fille de leur njanja1 adorée dont ils avaient partagé la tendresse et les bontés.
« Et toi, Ivanka, cesse de croire que tu n’es pas le fruit de ta race. Jamais tu ne travailleras à l’usine comme Kolya ou à labourer les champs comme mon père.
— Qu’est-ce que tu en sais ? maugréa Ivan. Lorsque nous aurons fait la révolution et que la société sans classes aura triomphé…
— Arrête un peu avec tes chimères de “Grand Soir” et tes sermons révolutionnaires, le coupa Alexeï, tu es pire qu’un pope ! »
Natalia éclata de rire et les entraîna dans son hilarité. Âgée de 14 ans, brune, le teint diaphane hérité de sa mère, le regard vert d’eau pétillant de vivacité et d’espièglerie, elle avait le don de les diviser ou de les réconcilier, c’était selon son humeur. Fille d’Olena Anatolievna Lishenko, la gouvernante d’origine allemande de leurs parents, et d’Anton Petrovitch Lishenko, le métayer géorgien qui gérait les terres de la datcha en leur absence, elle avait été élevée à leurs côtés dans une égalité quasi fraternelle, bénéficiant dans sa prime jeunesse des cours dispensés par les précepteurs d’Alexeï et Ivan où elle avait manifesté de réelles capacités intellectuelles, notamment pour les langues. D’un naturel impétueux et d’une âme passionnée, brûlante comme de la glace, elle était aussi imprévisible dans ses réactions qu’excessive dans ses fureurs et ses attachements.
« De toute façon, reprit-elle, c’est moi qui suis arrivée la première, et plus haut que vous, vous avez donc perdu tous les deux. Par conséquent, je n’embrasserai ni l’un ni l’autre. »
Ils baissèrent la tête avec dépit.
« Et ne profitez pas de votre position d’infériorité, qui est celle que vous méritez, pour loucher sur ma culotte. »
Alexeï et Ivan levèrent les yeux et aperçurent à leur grand enchantement l’éclat du tissu blanc entre les cuisses nues de Natalia. Elle demeura quelques secondes ainsi, à les fixer d’un air narquois et provocant, avant de serrer les jambes et de ramener sa robe sous ses fesses.
« N’en rêvez même pas. »
Les deux garçons échangèrent un coup d’œil goguenard et complice.
« Ce n’est pas la première fois qu’on la voit, ni que tu nous la montres d’ailleurs, répliqua Ivan.
— On t’a même vue sans à maintes reprises, quand on prenait le bain tous les trois », ajouta Alexeï.
Natalia resta un long moment silencieuse, puis répondit :
« Nous étions innocents alors. Nous avons changé. Tout change.
— Sauf Ivanka, il est toujours aussi petit ! », plaisanta Alexeï en esquissant un geste amical que son benjamin contra d’un réflexe brusque.
Natalia soupira, soudainement grave.
« Je suis sérieuse. Le monde que nous avons connu va disparaître.
— Et c’est tant mieux, commenta Alexeï. Il est temps que la société russe entre enfin dans le progrès et la modernité.
— Je suis d’accord avec toi, acquiesça Ivan, il est plus que temps que la révolution fasse voler en éclats toutes ces structures archaïques.
— Ce n’est pas le sens que je donne au progrès et à la modernité, précisa Alexeï.
— Je sais, répondit Ivan, mais c’est le mien.
— Ça suffit tous les deux, les rabroua Natalia, vous gâchez la beauté du lieu et du moment. »
Ils se turent et conservèrent une attitude contemplative.
« Tout cela va me manquer, dit Natalia.
— Tu vas adorer Saint-Pétersbourg, répliqua Alexeï d’un ton rassurant, tout est possible dans cette ville.
— Pas pour elle, trancha Ivan.
— Si, argumenta Alexeï, quand notre père et ses amis auront réussi à faire de la Russie un pays moderne, alors quiconque pourra s’élever par son mérite, quelle que soit son origine.
— Dans votre monde, objecta Ivan, il ne cessera jamais d’y avoir des dominants et des dominés, des exploiteurs et des exploités. Seule la société sans classes permettra d’éradiquer réellement les inégalités liées à la naissance. »
Natalia coupa court à leur querelle en descendant de sa branche.
« Je préfère profiter d’être ici plutôt que de vous écouter vous crêper les idées comme des chipies. On va se baigner ? »
Les deux frères la dévisagèrent avec une expression éberluée.
« C’est que… je… enfin…, bredouilla Ivan en cherchant l’appui de son aîné.
— On n’a pas ce qu’il faut avec nous… », compléta Alexeï.
Natalia les considéra tour à tour.
« Qui vous parle de ça ? »
Alors qu’elle parvenait en bas du mur, elle lança négligemment :
« J’ai toujours aimé nager sans rien. »
Elle s’éloignait d’un pas guilleret quand elle fit subitement volte-face.
« Bien évidemment, le premier dans l’eau aura un baiser. »
Et elle reprit sa marche en sautillant.
Alexeï et Ivan restaient bouche bée tandis qu’elle serpentait avec facétie entre les arbres en direction du rivage. Ils ne s’étaient plus retrouvés nus en sa présence depuis qu’ils avaient commencé leur mue vers l’âge adulte. Cette pudeur n’était pourtant pas dans leur caractère. Ils étaient de vrais Russes, élevés dans le culte du corps naturel et de la force physique, habitués à la nudité collective des douches et des dortoirs du pensionnat ; mais pas avec Natalia, dont les seins saillaient sous l’étoffe de ses robes et dont le sexe devait se dissimuler sous un buisson de poils pubiens légèrement frisés. Ivan était le plus en proie à cette timidité embarrassée, lui dont les transformations anatomiques n’en étaient qu’aux balbutiements en comparaison de la masculinité déjà affirmée de son frère.
Il croisa les prunelles brillantes d’Alexeï et, sans s’être consultés, ils dévalèrent les pierres éboulées les séparant du sol pour courir à toute bride vers la mer Baltique. Dans leur précipitation, ils jetaient à la diable leurs habits dans les broussailles et les futaies. Après avoir dépassé Natalia sans ralentir leur allure effrénée, ils retirèrent leurs derniers sous-vêtements et plongèrent en même temps dans l’onde fraîche.
En émergeant des flots, ils se regardèrent, incapables de se départager de manière certaine. Ils se retournèrent vers la terre ferme à la recherche de Natalia et de son verdict. Celle-ci les observait en riant à gorge déployée de les voir trempés dans leur plus simple appareil au milieu de l’immensité aqueuse. D’un air badin, elle ramassa leurs pantalons et leurs culottes.
Alexeï et Ivan comprirent instantanément quel tour elle était en train de leur jouer. Les mains sur leur sexe, ils essayèrent tant bien que mal de la rejoindre pour l’empêcher de mettre son projet à exécution.
Malheureusement, le temps qu’ils claudiquent ainsi, Natalia avait pris la poudre d’escampette.
*
Le profil altier d’Ekaterina passait de la cuisine au perron, de la salle de réception aux différents salons, précisant là une instruction, corrigeant ici l’agencement d’un bouquet. Élancée, la peau et le teint blanc porcelaine d’où saillait parfois le fin liseré vert pâle de ses veines, les yeux et les cheveux noir d’encre, d’un caractère à fleur de nerf, l’humeur fragile, sans cesse prête à basculer dans une euphorie excessiv
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Alexeï traversa un pays encore plus décharné que lors de son long périple pour rallier les troupes de Dénikine deux ans auparavant.
Les paysages d'apocalypse et les charniers se succédaient les uns aux autres dans une monotonie funèbre. Partout, le même chapelet de villes et de villages fantômes, pillés, saccagés ou incendiés; partout les mêmes tableaux d'exécutions massives dont les dépouilles avaient été abandonnées en des tas de chairs putréfiées à même le sol ou dans des fosses hâtivement creusées et laissées à ciel ouvert; partout, la même litanie de corps mutilés, violés, éventrés, brûlés vifs; partout, les mêmes silhouettes spectrales d'enfants affamés en quête de charognes à ronger pour ne pas mourir, solitaires ou en meutes, chancelant sur la peau pendante de leurs jambes maigres, le ventre gonflé et harcelé par la faim, le visage fané dans des figures de vieillards prématurés, le regard éteint, creux, comme excavé de leurs yeux. p. 188
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Alexeï referma le journal et laissa son regard se perdre dans a perspective Nevski à travers les fenêtres du salon.
Ivan avait dit vrai. Le coup d’État du général Kornilov n'aurait jamais pu être évité sans les bolcheviks. Grâce au nombre de leurs partisans, les cheminots avaient dévié et bloqué les trains emmenant les bataillons vers la capitale. En parallèle, des émissaires des soviets ouvriers et de la garnison révolutionnaire s'étaient rendus auprès des soldats de la ville et les avaient convaincus de rester fidèles au gouvernement provisoire. Isolées, noyautées de toute part, les forces de Kornilov s'étaient désagrégées, la menace s'était éteinte sans effusion de sang. Et depuis, les bolcheviks étaient armés.
Ivan avait aussi eu raison sur les conséquences de cet événement. Kerenski ne contrôlait plus rien. À l’image du soviet de Petrograd, désormais présidé par Trotski, les bolcheviks dominaient l'ensemble des soviets du pays, tant dans les grandes agglomérations que dans les campagnes. Les moujiks, lassés d'attendre les mesures agraires sans cesse repoussées dans l’expectative brumeuse de la convocation d'une Assemblée constituante, avaient pris leur destin en main. Ils avaient procédé au partage des terres, allant jusqu'à brûler les propriétés des maîtres récalcitrants et à assassiner sauvagement leurs anciens oppresseurs. Lorsque la nouvelle était parvenue sur les lignes de front, les conscrits, majoritairement d'origine paysanne, avaient commencé à déserter pour rentrer dans leur village natal et participer à ce mouvement. Et au-delà, aux frontières de l’Empire, les populations allogènes s'étaient mobilisées lors d’un Congrès des peuples à Kiev, en Ukraine, afin d'obtenir plus d'indépendance. p. 118
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Ivan se leva brusquement et, d'un pas nerveux, arpenta son bureau de long en large. La mort de Lénine avait ouvert une période de turbulences invisibles aux yeux du profane. Une lutte sans pitié avait débuté entre Staline et Trotski dans les plus hauts sommets des institutions soviétiques. Jour après jour, le Parti se fissurait davantage. Une guerre sourde se déployait, menaçant de fracturer la société russe et de réveiller le spectre d'une guerre civile qui signifierait l’implosion irrémédiable de la Révolution.
Ivan se figea. Le regard dans le vide, il suivait l’enchaînement logique des rapports de force en présence. À chaque fois, le résultat était rigoureusement le même: Trotski serait éliminé, et ses soutiens avec lui. C'était inévitable, et surtout nécessaire. p. 241
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[EMISSION] LES COUPS DE COEUR DES LIBRAIRES 13-03-20
L'émission "Le coup de coeur des libraires est diffusée sur les Ondes de Sud Radio, chaque vendredi matin à 10h45. Valérie Expert vous donne rendez-vous avec votre libraire Gérard Collard pour vous faire découvrir leurs passions du moment ! • Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici ! • • Vincent qu'on assassine (L'Arpenteur) de Marianne Jaeglé aux éditions Folio • La grande histoire du système immunitaire : Mieux comprendre notre corps et ses défenses de Matt Richtel aux éditions Harper Collins https://www.lagriffenoire.com/1037572-article_recherche-la-grande-histoire-du-systeme-immunitaire.html • La dynastie des Forsyte - tome 1 le propriétaire de John Galsworthy et Camille Mayran aux éditions ArchiPoche https://www.lagriffenoire.com/1037556-article_recherche-la-dynastie-des-forsyte-t1-----le-proprietaire.html • La dynastie des Forsyte - tome 2 Aux aguets de John Galsworthy et Rene Pruvost aux éditions ArchiPoche https://www.lagriffenoire.com/124112-divers-litterature-la-dynastie-des-forsyte---tome-2-aux-aguets.html • La dynastie des Forsyte - tome 3 A louer de John Galsworthy et Camille Mayran aux éditions ArchiPoche https://www.lagriffenoire.com/124113-divers-litterature-la-dynastie-des-forsyte---tome-3-a-louer--.html • Rebecca (Les Grandes traductions) de Daphné du Maurier et Anouk Neuhoff aux éditions Livre de Poche https://www.lagriffenoire.com/35476-poche-rebecca.html • Chien pourri est amoureux de Colas Gutman et Marc Boutavant aux éditions EDL https://www.lagriffenoire.com/6187-romans-pour-enfants-chien-pourri-est-amoureux.html • Chien Pourri au Cirque de Colas Gutman et Marc Boutavant aux éditions EDL https://www.lagriffenoire.com/1020259-romans-pour-enfants-chien-pourri-au-cirque-.html • Brèves de comptoir - Tome 4 de Jean-Marie Gourio aux éditions Robert Laffont https://www.lagriffenoire.com/1037562-article_recherche-breves-de-comptoir-t4-----bouquins.html • I love mes petits plats mijotés de Annabelle Schachmes aux éditions Solar https://www.lagriffenoire.com/1034714-livres-de-cuisine-i-love-mes-petits-plats-mijotes.html • Les recettes de la vie de Jacky Durand aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/1035880-divers-litterature-les-recettes-de-la-vie.html • La Femme à la fenêtre de A.J. Finn et Isabelle Maillet aux éditions Pocket https://www.lagriffenoire.com/141147-nouveautes-polar-la-femme-a-la-fenetre.html • le Rouge et le Noir de Stendhal aux éditions Belin - Gallimard https://www.lagriffenoire.com/1009773-poc
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