Attiré par la couverture colorée de cet ouvrage et le titre indiquant des références au conte de
Lewis Carroll, j'ai lu quelques critiques positives de cet ouvrage et j'ai fait le choix de le lire sans comprendre au premier abord ce dont il était question.
Il s'agit en réalité d'une pièce de théâtre, dont la mise en scène semble pensée pour être jouée par des enfants et pour des enfants. le livre lui-même est édité dans le souci d'être accessible à un jeune public (à partir de 9 ans) : les mots spécifiques du théâtre sont expliqués ainsi que les mots et expressions des textes, quelques activités de découpage sont ajoutées.
L'ouvrage présente moins d'illustrations que je l'aurai pensé mais celles présentes m'ont plu.
AL, c'est une autre version de iel, qui peut désigner ceux qui n'ont pas choisi un genre précis parmi le genre féminin ou le genre masculin. L'histoire qui nous est proposée ici est donc une prise de position très sensible sur le choix de genre que chaque humain devrait avoir.
Si un professeur des écoles se prenait l'envie ou le courage de faire jouer cette pièce de théâtre à ses élèves, il rencontrerait des obstacles, non pas sur la difficulté pour les élèves d'apprendre les textes, mais peut-être de les comprendre et surtout des difficultés par rapport aux adultes qui n'accepteraient pas la prise de position de l'enseignant qui se doit d'être neutre. Car, oui, il s'agit bien pour moi d'une prise de position.
Voici un résumé de l'action :
AL est un garçon (je parle de sexe masculin), qui fête ses onze ans avec des camarades : 5 garçons et 6 filles. Une dispute s'ensuit avec des insultes sexistes des 2 côtés. Chaque groupe d'enfant (les filles d'un côté, les garçons de l'autre) incitent AL à choisir son camp : les filles, parce qu'AL leur ressemble, les garçons, parce que c'en est un. (Tiens ça me rappelle quelqu'un). AL refuse de choisir et s'en va.
Il se retrouve dans un monde parallèle, inspiré de celui d'Alice au pays des merveilles, le jour de l'anniversaire de la reine. Il se doit pour chaque personne présente de mettre une robe qu'il soit garçon ou fille, pour cet anniversaire. On suit la préparation du costume.
Une fois la fête arrivée, on demande à chacun de choisir le côté où il souhaite aller (les messieurs d'un côté, les dames de l'autre). AL regarde sa robe (un truc de fille) puis ce qu'il a sous sa robe (un truc de garçon) et ne parvient pas à choisir et finit par refuser de faire le choix.
L'idée véhiculée par cette oeuvre est donc que chacun a le droit de choisir son genre ou même de ne pas le choisir. Je pense que c'est une question sociétale très « à la mode » et qui dérange. En tant que professeur et biologiste de formation, je ne considère pas comme sain qu'on puisse tenir à tous les enfants un discours selon lequel il peut choisir son genre quelque soit son sexe.
Comprenons-nous bien: le sexe correspond à une réalité biologique et le genre est défini comme une construction sociale et culturelle. On cherche à les présenter comme indépendant l'un de l'autre. Je pense que dans ce discours qui se veut bienveillant (bienpensant ?), on oublie un peu vite des données scientifiques. Ce n'est pas parce qu'une caractéristique relève d'un comportement, d'un tempérament, d'un goût, qu'il s'agit obligatoirement d'une caractéristique socio-culturellement construite. Ce qui fait ce que nous sommes, y compris dans nos comportements, c'est la résultante de la génétique et de notre environnement (au sens large, c'est-à-dire de l'éducation, du climat, du vécu, etc.). Il y a donc des comportements plutôt masculins ou plutôt féminins et des comportements neutres.
J'ai tendance à penser que des personnes qui ressentiraient un genre différent de leur sexe biologique sont des personnes qui ont pu avoir des libérations d'hormones inhabituelles lors de leur développement embryonnaire et foetal, ou des personnes qui ont eu un vécu particulier où leur sexe a posé problème (par exemple, un enfant garçon alors qu'une fille était souhaitée).
Tout cela pour dire qu'il s'agit, à mon avis, de cas très exceptionnels et je ne pense pas qu'il faille laisser entendre que chaque enfant est concerné.
Sur ce sujet, comme sur d'autres, on ne peut pas laisser le politiquement correct (ou le médiatiquement correct) nous empêcher de penser.
Pour autant, je suis pour un maximum de tolérance et j'ai bien conscience que certains individus naissent avec un corps qui semble en contradiction avec leur ressenti de genre (ce qui au passage confirmerait donc bien que genre masculin et féminin sont différents) et qu'il est nécessaire que ces personnes puissent accéder au bonheur. Ce bonheur passe par la tolérance des autres, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas directement concernés.
Si cet ouvrage permet aux enfants d'apprendre à être tolérant vis-à-vis de ceux qui se sentent différents et de comprendre qu'un garçon peut « aimer les poupées » et une fille le « foot », et qu'ils n'en sont pas moins respectables, c'est une bonne chose. Si le message est que chaque enfant doit, un jour ou l'autre, choisir son genre d'appartenance, non. Seuls certains sont concernés. Et de toute façon, il ne s'agit pas d'un choix mais d'un ressenti qui s'impose. En tout cas, le débat me semble assez complexe, et je ne pense pas que le grand public (c'est à dire les parents d'élèves) soit capable de le comprendre.