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Critique de Kirzy


Kirzy
21 décembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 52 °°°

1367. Deux jeunes moines dominicains prennent la route vers Toulouse, chargés par leur prieur d'aller acheter du parchemin vélin de la meilleure qualité afin de rédiger ses mémoires. Plutôt heureux de quitter la monotonie de leur couvent, les deux candides ne se doutent pas du guêpier dans lequel ils se sont fourrés. L'Inquisition les attend, alertée par les projets du prieur dont les confessions pourraient révéler un secret capable d'ébranler l'Eglise et ses fondements.

Dès que parait un polar historique érudit situé au Moyen-Age, mettant en scène des ecclésiastiques, des inquisiteurs et des controverses religieuses, on le compare inévitablement au Nom de la rose d'Umberto Eco, le maitre étalon du genre, absolument indépassable. Dans ce cas précis, oui, j'y ai pensé, évidemment, mais la comparaison s'arrête vite car ici, pas de huis clos, on est autant dans le roman d'aventures que le polar car l'auteur fait voyager ses personnages de Toulouse à Paris, en passant par Cologne, Avignon où siège la papauté à cette époque, et surtout le Moyen-Orient sur la route de la soie.

A partir de là, Antoine Sénanque construit un récit à deux temps maitrisé de bout en bout : le récit au passé des mémoires du prieur racontant sa jeunesse aux côtés de Maître Eckart, renommé théologien, ainsi que les origines de la Peste en 1347 lors du siège de Kaffa ; vingt ans après, le récit au présent de la lutte entre l'Inquisition et les moines dominicains menés par le prieur.

L'auteur alterne avec brio scènes de bravoure ( incroyables descriptions du siège de Kaffa, comptoir génois, par la Horde d'Or tatare du Khan Djanibeg, ou encore des geôles cauchemardesques de l'Inquisition toulousaine ) et scènes plus intimistes, notamment celles centrées sur la philosophie religieuse de Maître Eckart dont le prieur a été le disciple. C'est une prouesse de rendre accessible sa théologie complexe qui est au coeur de l'intrigue. J'ai eu l'impression de tout comprendre de sa mystique abolissant la distance de majesté entre Dieu et les hommes à partir du moment où ces derniers accomplissent un dénuement radical de l'âme. Maître Eckart n'a jamais été déclaré hérétique ( il s'en est fallu de peu ) mais ses écrits ont été condamnés et censurés.

Et puis, il y a les personnages, tous formidablement incarnés, tous dotés d'une psychologie fouillée qui se révèle progressivement ( pour les plus âgés comme le prieur Guillaume et son sacristain ) ou se transforment ( pour les plus jeunes, Antonin l'érudit et Robert, plus rustique ), y compris le « méchant », le fourbe inquisiteur Louise de Charne, qui avait tout pour être caricatural et finalement est bien plus complexe, et donc intéressant, que l'expression manichéenne de sa haine et de son ambition. Sans oublier les formidables béguines formant des communautés de femmes pieuses et travailleuses vivant leur foi de façon enflammée, quasi charnelle.

Le récit est rempli de surprises, de secrets révélés, de rebondissements au coeur de la folie des luttes intestines entre les différents ordres religieux ( ici Franciscains vs Dominicains ) et au sein de ces mêmes ordres religieux. On se régale des dialogues enlevés,. Bref, ce roman est palpitant et passionnant !
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