J'avais tellement aimé la première trilogie, il y a près de 15 ans! Quand j'ai reçu La communauté des esprits, j'ai décidé de me faire plaisir en relisant les 4 précédents tomes. Avec celui-ci, quel bonheur de retrouver pleinement Lyra et Pantalaimon! Encore une fois,
Philip Pullman nous entraine dans une grande aventure riche en rebondissements.
On n'est toutefois plus dans un monde d'enfants : tous les personnages principaux sont des adultes qui ont des préoccupations d'adultes. Lyra, jeune femme de 20 ans, n'est plus la petite fille intempestive et insolente qu'elle était à 12 ans. Elle est plus réfléchie et toujours endeuillée par sa séparation d'avec Will. Si Pan devait la tempérer à l'époque, c'est aujourd'hui elle qui le critique d'être imprudent! La relation entre les deux est d'ailleurs au coeur du roman. Avant cette lecture, je ne comprenais pas trop les « rouages » d'un daemon, et je considérais Pantalaimon comme une marionnette littéraire efficacement attractive, mais tellement effacée qu'elle en devenait presque futile. Ici, Pan est au premier plan du récit, et on s'en délecte! le duo a des débats philosophiques et ses nombreuses chicanes laissent constamment le lecteur dubitatif. En effet, comment interpréter les dissensions entre un humain et son daemon, alors que ceux-ci ne forment qu'un? Ce postulat fantastique permet à l'auteur d'exposer brillamment des conflits internes humains. Par exemple, on voit, d'une part, Lyra qui affiche l'arrogance et le nihilisme d'une jeune étudiante dans l'ère de son temps, et Pan, de l'autre, qui tente de lui rappeler la magie et la valeur incommensurable de la vie (d'ailleurs, bien que ce soit convaincant, c'est plutôt comique de lire une Lyra qui rejette les croyances de « contes de fées » alors qu'elle-même a voyagé à bord d'un ballon tiré par des sorcières avec un ours polaire en armure pour suivre son père dans son exploration de mondes parallèles). Vaut-il mieux s'en tenir aux certitudes ou devrait-on se permettre de rêver? Par les tourments de Lyra et par son cheminement, on devine aisément le penchant de l'auteur pour la seconde option.
Un autre bonheur que nous offre ce livre est de renouer avec des personnages qu'on avait tant aimés! On savoure entendre Alice raconter à Lyra, incrédule, comment elle et Malcolm l'ont sauvée de l'inondation et des griffes de l'homme à la hyène. On déguste les retrouvailles avec l'ingéniosité et le courage du petit Malcolm, devenu érudit d'Oxford. Et surtout, quelle douceur de retourner sur les bateaux des gitans, avec Ma Costa et Farder Coram! Leur sagesse et leur esprit de solidarité font du bien autant au lecteur qu'à Lyra.
Même si l'aventure est au rendez-vous, vous aurez compris que La communauté des esprits va aussi ailleurs. Je sais que le livre a reçu un accueil mitigé, et je peux comprendre. Oui, on reconnait l'intensité de l'aventure de Pullman imbriquée à des considérations philosophiques (même s'il les pousse plus loin cette fois). On peut pardonner, avec une pointe de déception, la moindre place laissée à la magie depuis deux tomes. Cependant, je crois que c'est la complexité du récit qui peut davantage rebuter ici certains amateurs. L'auteur s'amuse à créer une intrigue riche, élaborée, qui recèle nombre de personnages, de réflexions, de mystères, de digressions – du moins en apparence – et de sous-entendus. Cela ralentit clairement le rythme. Malgré tout, j'ai de mon côté trouvé que l'ensemble se tenait plutôt bien et que ma lecture, sauf pour quelques passages, était fluide. (La traduction est peut-être à blâmer; mon niveau d'anglais ne me permet pas de m'avancer. Toutefois, voici une petite anecdote : quand j'ai lu, perplexe, que Lyra allait prendre l'avion, ma vérification m'a montré qu'en version originale, elle prenait effectivement le train...)
Je ne peux finir sans évoquer les critiques sociales véhiculées par Pullman. On connait le combat contre l'autorité religieuse, au coeur du monde de Lyra depuis le tout début. Toutefois, avec cette nouvelle trilogie qui présente des religieux empreints d'une immense bienveillance, on sent ses attaques davantage tournées vers la tyrannie qu'exerce le Magisterium que vers les croyances religieuses personnelles. de plus, le livre se veut moins manichéen que ses prédécesseurs. Il y a les ultra-conservateurs, les fanatiques religieux, les scientifiques, les assoiffés de pouvoir, les défenseurs de la liberté, les rationalistes implacables, les rêveurs... Chaque groupe, souvent indistinctement défini, cherche à tirer son épingle du jeu dans un monde dynamique et multidimensionnel. Complexe, je disais? Et ce n'est pas tout. Pulman évoque plusieurs autres enjeux, tels les droits des migrants, le terrorisme, le féminisme, l'ostracisme, l'aide sociale. Il va un peu partout, s'enfarge peut-être par moments, mais reste crédible dans ses propos.
Somme toute, La communauté des esprits m'a été une lecture bien agréable qui m'a grandement impressionné. J'ai maintenant hâte de lire la finale, qui devrait être en directe continuité de ce tome. Vous vous ennuyez de Lyra et êtes prêt à une lecture plus ardue? Vous devriez apprécier!
Lisez la critique complète ici : http://sophielit.ca/critique.php?id=2539