Moi qui avais tant aimé
Changer l'eau des fleurs (2018), j'ai été quelque peu déçue par ces Oubliés du dimanche, écrit avant, en 2015.
Certes, on suit avec intérêt l'évocation des destins croisés de Lucien et d'Hélène, d'Armand et d'Eugénie. Celui tragique de leurs fils jumeaux et de leurs épouses, tous les quatre tués dans un accident de voiture, et laissant orphelins Justine et Jules encore tout petits.
Et puis, on est sensible à l'engagement désintéressé de Justine, vingt-et-un ans, dans son boulot d'aide-soignante à l'EHPAD de Milly qui aime donner de son temps libre pour écouter les belles histoires de vie des résidents et laisser traces de celles-ci pour leurs proches. Elle cherche à puiser dans ce lien avec les personnes dont elle s'occupe au quotidien une affection qu'elle n'a pas reçue et à s'enrichir d'une histoire familiale qui n'est pas la sienne et qu'elle n'a pu vivre puisque dépossédée de ses parents très jeune.
Car elle n'a reçu que très peu de traces de vie de ses parents et encore moins d'informations sur les circonstances exactes de leur mort. Elle connaît bien sûr la version officielle mais s'interroge sur la réalité de celle-ci. Et si, derrière l'apparente normalité, se cachait autre chose ? Quel secret cachent ses grands-parents ? Pourquoi son cousin Jules, qu'elle considère comme son frère, ne veut-il plus entendre parler de ses grands-parents maternels suédois ?
Ne pas avoir la possibilité de comprendre le pourquoi du comment, c'est ce qui manifestement empêche Justine d'avancer dans sa vie somme toute trop "pépère" pour son âge, mais néanmoins dont elle se suffit et ne cherche surtout pas à changer. Alors qu'elle n'arrive pas à s'attacher à son petit ami "dont elle ne sait pas comment il s'appelle", elle accompagne Hélène jusqu'à la fin et vit, en quelque sorte, par procuration, la belle histoire d'amour contrariée qui l'a unie à Marcel, son homme balafré et amnésique, perdu de vue après la guerre.
Donc, ici, plusieurs histoires s'entremêlent dans le passé et dans le présent. Si l'on comprend bien l'idée de transmission de l'histoire d'une famille pour savoir, comprendre, se construire et grandir... on reste quand même sur sa faim face à une Justine mutique, soumise aux circonstances et somme toute peu désireuse de changer le cours des choses. En cela, elle prend le risque de reproduire les non-dits de ses aînés.
Une anecdote amusante (mais quand même un peu dramatique dans ses conséquences potentielles) s'ajoute au contexte et aux diverses histoires déjà en présence. Cela vient un peu comme un cheveu sur la soupe (mais c'est en fait le prétexte trouvé pour permettre à Justine d'accéder au dossier de l'accident de ses parents et oncle et tante). Un corbeau sévit au sein de l'EHPAD : il informe les proches des résidents de la mort de ceux-ci. Or, il s'agit d'un canular pour obliger ceux-ci à se déplacer et à rendre visite à leurs proches. Une façon pour l'auteure d'évoquer l'isolement dans lequel se trouvent les résidents placés et ce sentiment de solitude qui les tuent à petit feu.
A mon sens, ce qui ressort de cette lecture, c'est avant tout une grande sensation de tristesse :
1/ Triste est la vie d'Hélène, perdue sans son Marcel, restant veuve d'un mari qu'elle n'a jamais épousé, sans enfant et enfermée dans son illettrisme. Jusqu'à ce qu'un événement change la donne...
2/ Triste est la vie de Marcel perdu dans le noir de son enfance, puis dans les limbes d'une mémoire tronquée et sous l'emprise d'une femme qui l'a volé à une autre. Jusqu'à ce que, à la faveur d'un cambriolage, la lumière revienne...
3/ Triste est la vie d'Armand et d'Eugénie, les grands-parents de Justine, enfermés dans leurs erreurs et dans leurs secrets. Auront-ils le cran de faire face à leurs responsabilités ?
4/ Triste est la vie de Justine qui surprotège son cousin-frère, se contente du peu que la vie lui donne et préfère, via son cahier et son stylo, vivre la vie des autres plutôt que de vivre la sienne. Jusqu'à ce que... le mystérieux corbeau se dévoile à elle.
En conclusion, je trouve que c'est un livre bien écrit, sensible, avec une héroïne attachante, mais cela reste malgré tout très conventionnel (le caractère inéluctable du destin des petites gens et immuable de la vie dans un petit village où il ne se passe rien). Les personnages subissent tous leur destin, sauf peut-être l'infirmière qui prend en charge Marcel). Des sensations de tristesse, de fadeur, de silence et d'immobilité prédominent. Pour moi, c'est un livre qui ne me laissera pas un grand souvenir et vraiment je le regrette car j'avais vraiment bien aimé ma première découverte de
Valérie Perrin avec
Changer l'eau des fleurs.
Après-coup, j'ai découvert qu'il s'agissait du premier roman de l'auteure. Ceci explique sans doute cela.