Salut les petits rats, comme promis, on se retrouve pour un nouveau tuto : comment planter un cadavre sur la colonne Vendôme.
Si vous êtes sages, on verra aussi comment en semer plein d'autres, façon tueur en série aux manies plutôt macabres. Comment mettre la police sur les dents, tisser de belles amitiés, quelques bluettes pour souffler et surtout frissonner à perdre haleine à la poursuite d'un tueur vraiment, vraiment méchant et vraiment, vraiment cinglé. Vous êtes prêts, les canaillous ? Z'est partiii !
Bon, vous récupérez la place Vendôme, de nuit, en 1870, un pauvre bougre venu de sa province encore éberlué avec son fatras de meubles sur le dos, ce sera notre témoin, et, oui, un futur macchabée. Là, j'en ai pris un blond mais faites avec ce que vous avez sous la main. de la corde, un scalpel ou un fin poignard et pas mal de coeur au ventre. Non, Bichette, pas de loup ici. Je sais bien que c'est à la mode, mais là, y en n'a pas. Pour un autre tuto peut-être ? Un tueur aussi, il vous faudra un tueur. Grand, le visage en lame de couteau et des motivations sombres comme la nuit.
Voilà, vous avez tout votre matériel ? Chauffez-vous avec une ambiance pleine de gonds qui tournent, de silhouette encapuchonnée, de « râle ou peut-être grognement », ajoutez une « physionomie statufiée aux yeux immenses, écarquillés par l'étonnement, allumé par la rage ». Z'avez vu le rythme ternaire, les précisions qui ne font qu'en rajouter dans le mystère ? Vous me balancez une allusion à un cimetière, parsemez de sang, d'os et de cervelle quelques-unes de vos phrases. Vous me pendez le futur cadavre par les pieds sans vous appesantir sur la manière dont vous l'avez hissé, zigouillé, accroché. Et voilà, vous l'avez votre scène ! Alors, les p'tits loups, simple comme bonjour, non ?
Bon, je fais ma fiérote et la joue à la blague mais il faudrait un peu plus qu'un tuto pour pouvoir écrire
L'homme aux lèvres de saphir. Déjà, 500 pages, ça tient pas en une minute trente. Et puis, il faut savoir brosser le climat, les ambiances et les détails historiques. Cette période très particulière avant que
Napoléon III fasse un coup d'Etat, lorsque les émeutes ouvrières menacent le bon bourgeois, que l'Internationale socialiste enflamme les esprits et que les révolutions de 1830, 1848 sont encore dans les coeurs.
Après
Lemaitre, qui, dans
Au revoir là haut, prend pour toile un Paris de 50 ans plus vieux, Fouassier et son Bureau des affaires occultes autour de 1830, il ne me manquait plus que l'entre deux. Ce n'est plus le cas : Paris, ses révoltes, ses crimes et sa police en un siècle, j'ai toute la collec !
C'était mon premier le Corre. Je ne suis pas certaine qu'il y en aura d'autres. C'est dense, il faut s'accrocher, moins à la vraisemblance d'une intrigue cohérente qu'à l'originalité d'une idée fondatrice sur une trame littéraire, ma foi… aussi scabreuse que peu plausible. Mais originale, ne chipotons pas, originale. On sent toute la jubilation qu'il y a à peindre un Paris populeux et révolté, chaud comme la braise, dans les alcôves comme sur les barricades. L'application à nous faire frémir d'horreur à force de lire la violence des rues, la violence des flics, la violence des patrons, la violence… du tueur. Ah oui, tiens, le tueur !
L'homme aux lèvres de saphir est un roman rouge. Rouge sang, rouge communard, rouge passion, rouge meurtre. Rouge.
J'avoue avoir été très souvent à la peine, dégoutée par certaines scènes que je trouvais un peu trop là pour choquer sa bourgeoise (ça a fonctionné), ennuyée par les méandres d'une intrigue qui ne choisissait ni le profilage psychologique, ni l'enquête à la Papa, ni la fresque purement historique mais assumait plus ou moins vaillamment les trois. Lassée aussi des bagarres, traques, effets de surprises, scènes de bordel qui se succèdent en une ritournelle très mécanique. J'avoue, à la deuxième partie du roman, une fois qu'il était avéré que je ne l'abandonnerais pas puisque j'avais fait le plus gros, m'être contentée de temps en temps de lire en diagonale certaines pages pour ne choper que l'élément nécessaire à la poursuite de l'histoire et avoir laissé le reste sous une étiquette intérieure « scène attendrissante de gouaille populaire », « illustration de la cruauté des pognes », « cascades et bataille de rue à l'issue incertaine ». C'est ça d'avoir de la bouteille en tant que lectrice, one ne se laisse plus aussi facilement attraper que si ç'avait été son premier roman historique...
Les personnages sont… des personnages. La pute au grand coeur, la maquerelle odieuse, le flic pourri, le commissaire obtus, l'inspecteur au coeur tendre et pugnace, la famille ouvrière généreuse du pain qu'elle n'a pas et notre provincial inaugural, loyal homme du peuple, les meilleurs, camarade ! Pour le prix, vous avez même une innocente aux yeux hébétés et une choupinette de cinq ans à qui la société, le tueur, qui sait, promet bien des malheurs. Une vraie démonstration, ce casting !
Sans doute que je n'ai décidément plus la fibre pour les polars, historiques encore moins. Ca en fait trop qui me déçoivent (oui, Anna, je t'entends fulminer depuis le début de ce billet que tu me l'as déjà dit et que c'est tout de même incroyable qu'il me faille encore m'ennuyer dans ce type de bouquins alors qu'il est évident qu'ils ne sont plus pour moi.)
Mais je continue à aimer l'idée que j'aime me perdre dans un polar et que je vais me prendre de passion pour son intrigue. Il va falloir que je change de fantasme. Les cadavres et la traque des bandits ne me divertissent visiblement plus.