Citations sur En bons pères de famille (22)
J’ai été façonnée dans mon intime par la terreur de la violence et des changements d’humeur aléatoires des adultes. L’idée que leurs cris puissent s’abattre sur moi malgré tous mes efforts pour être sage me hante encore.
Derrière les portes closes, il insultait régulièrement ma mère, la dénigrait, la soupçonnait d’aller voir d’autres hommes quand elle partait faire les courses dans la ville la plus proche. « Qu’est-ce que tu ferais sans moi ? » lâchait-il quand elle menaçait de partir. En secret, elle avait commencé à mettre de l’argent de côté pour le quitter un jour.
Je crois que les hommes pauvres des classes populaires représentent pour les bons pères de famille autant un risque qu'une aubaine. Un risque, parce qu'ils mettent en danger le secret de la violence des hommes, en agissant de manière désordonnée et surtout en se faisant prendre, là où l'élite a l'élégance d'agir en marge, dans le silence de la sphère privée et des coulisses, et d'organiser autour d'elle un système de protection et d'omerta. Une aubaine, parce qu'ils peuvent assimiler ces hommes aux autres et les utiliser pour faire diversion de leur propre violence.
Si les violences ne sont plus lues comme des exceptions mais comme une norme, c’est bien le système qu’il faut changer. L’idée que les hommes violents sont potentiellement monsieur Tout-le-Monde suscite de très fortes résistances, interrogeant nos croyances sur l’amour, sur le couple et sur la famille, qu’on nous a présentée comme un lieu protégé des monstres.
Ils se rêvent aimants et protecteurs, contre les hommes violents, les autres, les marginaux, les monstres, les fous, les pauvres et les étrangers. Il est vital pour eux de continuer à alimenter ce mécanisme de distinction pour faire diversion à leur propre violence.
Lutter contre les violences domestiques, ce n'est pas désigner et combattre des monstres, qu'on pourrait garder en marge de la société, mais un système entier qui produit des pères, des maris violents, et maintient leur domination sur les femmes et les enfants.
Les hommes violents ne sont ni des monstres affreux, ni les héros d'un roman national inventé pour les dédouaner de leurs responsabilités. Ils sont là, parmi nous, exactement dans la norme sociale, au cœur de nos foyers, ce sont nos pères, nos maris, nos compagnons, nos fils, nos cou-sins, nos amis. Et tant que la société n'aura pas accepté cet état de fait, nous ne saurons pas mettre fin aux violences domestiques.
J'ai ressassé cette histoire quelques années avant de comprendre une chose importante.
Blaguer, ironiser, rire des violences conjugales ne consiste pas seulement à déshumaniser les femmes et les enfants. Le processus permet également de rendre sympathiques des hommes violents, qu'on considère comme de lointains copains gaffeurs, à qui on met une tape dans le dos avec fraternité. On prend de la distance avec leur comportement sans jamais dénoncer leurs violences, jugées secon-daires, ou légitimes.
Quand des militantes féministes s'opposent au principe voulant qu'on sépare l'homme de l'Artiste, elles demandent simplement de ne pas oublier les crimes et les délits de l'homme au nom de la qualité des œuvres. C'est logique, cela relève du bon sens, puisque quand on consomme les œuvres de l'artiste, on enrichit l'homme, en capital social et économique, c'est-à-dire en influence et en argent. Celui-ci dispose alors de davantage de moyens pour assumer le coût financier de sa défense et son impunité grandit avec le soutien qu'on lui apporte.
Ainsi, pour expliquer d'où survient la violence, on cherche encore trop souvent du côté du comportement des victimes, qui auraient transgressé les règles du père, comme si le non-respect des lois des patriarches constituait un mobile objectif.
Dans les brèves de faits divers, tout tourne autour des motivations et de la psychologie des bons pères de famille.