SILENCE, ON COULE...
Ultime parution, à ce jour, de l'inénarrable série des
Silex and the city, tome 7 : Poulpe Fiction aborde, cette fois, un sujet aussi dramatique que crucial, le cruel et souvent mortel problème des réfugiés clandestins fuyant les massacres perpétrés, en l'occurrence, par "l'Etat Jurassique en Irak et au Levant".
Il est bien évident que, dans ce qui suit, nous ne jugeons qu'à l'aune d'un cycle ayant fait de la caricature anachronique, décalée et humoristique son credo et qu'il n'est absolument pas question de remettre en question les horreur humaines que peuvent vivre ces malheureux syriens, libyens, érythréens, somaliens, irakiens, afghans (la liste serait trop longue, hélas) qui tentent d'échapper à l'horreur de guerres aussi affreuses qu'elles mettent en scènes, bien souvent, des peuples contre eux-mêmes, au nom du pouvoir, d'une terre, d'un dieu ou du sang, et les non moins horribles tentatives, trop souvent soldées d'échecs - partant, d'échecs sordidement mortels - de ces gens qui fuient le pays de leurs ancêtres, la terre qu'ils ont travaillée, les lieux où ils sont nés, ont ri, se sont aimés, afin de tenter de rejoindre nos côtes, notre occident, symbole déformé d'un paradis possible, à défaut d'être certain.
Il était déjà arrivé à Silex And The City de se saisir, ici où là, du terrorisme, des fous de dieu et autres débordements terrifiants de sectateurs religieux aussi stupides que dangereux. C'est tout particulièrement le cas du cinquième volume intitulé "Vigiprimate". Mais la dérision, un sens inné de l'absurde et une absence totale de jugements moralisateurs avait fait de cet album une réussite réelle. Sans doute cette thématique si terrible et douloureuse des migrants, symbolisée par la mise en scène photographique, certes involontaire, mais toutefois écoeurante (par le seul fait qu'une telle chose puisse exister) de ce petit enfant de trois ans qui s'appelait Aylan a-t-elle tant remué notre auteur, Jul, que toute la tonalité de l'album s'en est ressenti.
De fait, non seulement on ne rit pas dans cet album - du moins nous a-t-il été impossible de rire. Et à peine de sourire, de loin en loin - mais de plus, il nous a semblé que Jul tombait dans tous les travers possibles de ce que cette thématique pouvait impliquer, que tout y était plombé : jugement moraux pour ne pas dire moralisateurs, injonction à penser unanimement d'une seule "bonne façon" l'ensemble du problème, caricatures poussées, cette fois, jusqu'au pur manichéisme, et, sur la forme, manque de rythme, jeux de mots répétitifs, poussifs, qui tombent à plat, références dont on se demande franchement ce qu'elles viennent faire là (par exemple, cet hommage vraiment longuet, sans véritable chute et très pesant fait à
Hergé et à son Tintin, renommé pour la cause "Bouquetin"), apparition - élections présidentielles alors à venir obligent - de "Darwin le Pen" et des membres du "Front Néanderthal" (qu'on a déjà croisé, pour le meilleur, dans d'autres albums) qui manque cet fois totalement d'humour et de dérision - peut-être est-ce une erreur, mais nous avons toujours pensé que les attaques frontales et moralisantes ne servaient à rien contre ce mouvement de néant politique-. Jusqu'à la victoire finale du Front Bleu-Darwin.
Bien évidemment, il est plus aisé, maintenant que les élections sont passées, d'affirmer "je vous l'avais bien dit qu'elle n'avait aucune chance" (NB : la "vraie"). Il n'empêche, cet engagement de Jul (parfaitement légitime, étant donnée la tonalité générale de son oeuvre) sans le décalage loufoque et irrévérencieux qu'il a pu adopter auparavant tombe décidément bien à plat et ne convaincra politiquement que ceux qui le sont déjà du danger que représente cette idéologie.
L'erreur principale de Jul est de s'essayer à la démonstration, tandis qu'il est doué, surdoué même, lorsqu'il s'agit pour lui de dresser le portrait, par une mise à distance permanente et sans concession de notre époque à travers cette famille Dotcom et ceux qui l'entourent, mais sans la volonté trop voyante et évidente de prouver quelque chose. Ainsi le format qu'il a adopté d'un album à thématique globalement unique s'avère-t-il globalement insatisfaisant et à côté des buts recherchés. On aimerait pourtant s'attacher au héros malgré lui de cet ouvrage, à ce jeune poulpe très intelligent nommé Paul, ce petit migrant poulpe, mais décidément, ce fut difficile.
Peut-être, aussi, et n'en déplaise à ce cher
Pierre Desproges, ne peut-on décidément pas rire de toutes les détresses humaines...? Voir !
Demeure entre les mains un album sans aucun doute beaucoup plus factuel et épidermique que réellement sociétal et distancié. Après un sixième volet déjà franchement en demi-teinte, il est de plus en plus à craindre que cette série ne sombre dans la répétition, une certaine fadeur attendue et la facilité.
On craint le pire pour le suivant...