Citations sur Chambres noires (116)
À l’école, le maître nous avait dit que notre pays était l’un des plus grands de la planète et quasiment le plus vaste d’Afrique. Que notre sous-sol regorgeait de choses précieuses dont le monde entier avait besoin. Que nous avions d’immenses forêts, de beaux lacs, et même des volcans ! Mais personne, pas même le maître, n’avait pu répondre à ma question pourtant simple. Si nous possédons tout cela, pourquoi sommes-nous si pauvres ?
Extrait de la nouvelle : Les hommes du soir
Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Les animaux, aussi. Ceux qu’on élevait avec soin. C’est tellement important, les animaux. Les hommes ne peuvent pas vivre sans eux. Alors que l’inverse est possible, je crois.
Extrait de la nouvelle : Les hommes du soir
Quand à celui qui nous gouverne, il a parlé de guerre. Il est bien trop jeune pour savoir ce qu'est la guerre. La vraie.
Moi, je sais.
Chaque soir, à la télé, un médecin en costard-cravate fait le décompte macabre de ceux qui meurent à l'hôpital. Peut-être ferait-il mieux d'enfiler une blouse et d'aller aider ses collègues ! En tout cas, il pourra se recycler en expert-comptable si le corps médical ne veut plus de lui après la guerre.
( p 172)
"Ce que le vieux voit couché, le jeune, même debout, ne peut l'apercevoir."
L'été où nous sommes allés au Mali voir mes tantes, mes cousins et mes cousines, j'ai découvert que là-bas, j'étais un Blanc. Ici, en France, je suis un Noir. La couleur, finalement, c'est peut-être une question de perspective. C'est comme la pauvreté, on ne la choisit pas. On fait avec.
- Ton camarade t'a encore importuné ? me demande-t-elle.
La formulation me fait sourire. Du Madeleine tout craché. La même question posée par l'un de mes potes donnerait un truc du genre : il t'a encore fait chier ce bâtard ?
J'ai vu le progrès changer nos vies, adoucir notre quotidien.
J'ai vu les congés payés, la pilule, la légalisation de l'avortement.
J'ai vu les voitures remplacer les chevaux et les vélos. J'ai vu Paris se rapprocher de Marseille, les avions passer le mur du son, les hommes aller sur la Lune.
J'ai vu mourir la variole et la rage, naître les greffes de cœur et de rein, le scanner et l'IRM.
La télévision, la radio.
J'ai vu tout ça...
Mais j'ai aussi vu l'eau se troubler et le ciel se voiler. J'ai oublié le goût et l'odeur de la terre, le rythme des saisons. J'ai vu disparaître les arbres et les espèces qui volent ou qui marchent. J'ai vu le niveau de la glace descendre, celui des océans monter, j'ai vu les déserts avancer.
Et surtout, j'ai vu revenir les ombres effrayantes du passé, les hommes perdre la mémoire, commettre les mêmes erreurs, encore et encore...
Aujourd'hui, pour changer un peu, Madeleine m'a préparé un gâteau au chocolat et j'en avale deux parts.
- Ton camarade t'a encore importuné ? me demande-t-elle.
La formulation me fait sourire. Du Madeleine tout craché. La même question posée par l'un de mes potes donnerait un truc du genre : Il t'a encore fait chier, ce bâtard ?
Je hausse les épaules. En vérité, pas plus que d'habitude.
- Il m'a traité de fils de bonniche.
- Réponds-lui que ta mère est une femme courageuse qui travaille pour élever son enfant du mieux qu'elle peut ...
- Si je lui réponds ça, il va bien se marrer !...
Si je veux lui clouer le bec, je dois plutôt lui dire
d'aller se faire enculer !
Outrée, Madeleine écarquille les yeux. Puis, au bout de quelques secondes, elle part dans un grand éclat de rire.
Je la suis et nous allons jusqu'aux larmes.
Je range mon livre et sors mon cahier de poésie. je trouve ça chiant la poésie. Surtout quand ça rime. Dans la vraie vie, rien ne rime, après tout.
Bien sûr, ici comme partout, il y a des cons. Une proportion raisonnable, car on ne devient pas con en devenant vieux. En général, on attrape cette maladie indolore dans sa prime jeunesse.