Non ! Quoi qu'en disent beaucoup de lecteurs enthousiastes, qui ont dégainé leurs cinq étoiles plus vite que leur ombre et usé et abusé d'adjectifs dithyrambiques,
L'Ile du point Némo n'est certainement pas, à mon sens, le "chef-d'oeuvre" promis. C'est même de mon point de vue une escroquerie littéraire, qui certes ne démarre pas mal mais devient de plus en plus exaspérante au fil des pages, tant les ficelles sont grosses et le lecteur pris pour un imbécile.
Bien sûr, il y a beaucoup de bonnes idées. Bien sûr, le style est relativement (relativement) fluide. Mais quand je vois des lecteurs écrire "il y a du Hugo, du
Shakespeare, du
Jules Verne là-dedans"... Vraiment ? Sauf qu'il ne suffit pas d'enchaîner les voyages pour faire du
Jules Verne, ni de multiplier les clins d'oeil aux grands auteurs pour en devenir un.
Au chapitre des bonnes idées - celles que l'on espère tout au long du livre voir développées, en vain - il y a cet étrange décalage du temps, cette impression d'un récit qui se déroulerait au XIXe siècle, alors que les références à la technologie prouvent que l'on est au moins au XXIe, ou après. Mais un XXIe siècle post-apocalyptique, où l'on découvre par petites touches impressionnistes que les grandes capitales sont livrées à l'insurrection, que la Russie est déchirée par les guerres civiles entre sectes religieuses... Que le pétrole a visiblement disparu et qu'il faut pédaler - au sens propre - pour faire fonctionner sa liseuse. Tout cela aurait pu être intéressant.
De même, on ne peut que saluer quelques belles pages sur l'amour des livres et de la littérature. J'ai bien aimé les épisodes consacrés aux ateliers où la lecture à haute voix est faite aux ouvriers, avec une mention spéciale pour l'analyse brillante du Comte de Monte-Cristo.
Et après ? Rien. Plus on s'achemine vers la fin du livre, plus on tombe dans le grotesque, le boursouflé, le tout agrémenté d'une leçon de morale écologico-décroissante bien dans l'air du temps, peut-être, mais pénible et laborieuse. À force de vouloir faire un roman à clés, l'auteur lasse, épuise, et finit par sombrer dans le ridicule. Les derniers chapitres et le dénouement (que l'on voit venir à des kilomètres) m'ont été insupportables, même si, pour ne pas les dévoiler, je n'en dirai rien...
Et que dire de l'inflation pornographique aussi inutile que dénuée de talent ? Qu'ajoute-t-elle, quelle valeur supplémentaire donne-t-elle à l'histoire et au livre ? Une femme qui, déçue de son mari lorsqu'elle découvre que son impuissance était en fait due à son homosexualité, décide de finir son existence devant la télévision en laissant germer une pomme de terre dans son sexe... quelqu'un peut-il m'expliquer le symbole, la signification, l'utilité littéraire, au-delà d'une bien piètre idée des femmes et de clichés bien éculés ?
Vive la liberté en art ! On peut faire, dire, écrire n'importe quoi. Mais faire passer une longue accumulation décousue de situations extravagantes ou sordides pour un "grand chef-d'oeuvre", non. N'est pas Hugo qui veut, et, si l'on veut parler d'extravagance, de délire mystique transformés en oeuvre d'art, n'est pas non plus
Nerval qui veut.