Sarah parcourut le rapport et ses mains se mirent immédiatement à trembler. Des glaçons coulèrent dans ses veines et sa cage thoracique étrangla ses poumons. Lorsqu’elle posa son regard affolé sur les dernières lignes, les feuilles glissèrent de ses doigts, le sang quitta son visage cadavérique, ses lèvres bleuirent est ses yeux écarquillés de terreur se cernèrent d’une carnation violacée. Sa main chercha à se retenir à la table, mais elle glissa comme un muscle mort, son corps s’avachit et Henrick Whalberg n’eut que le temps d’appeler à l’aide avant que Sarah ne s’effondre par terre dans un crissement de pieds de chaise.
"Dormir sa vie pour ne pas la souffrir." (p. 368)
- Trouvez-moi un spécialiste en géologie, qu'on lui envoie les analyses de la craie. Et transportez la victime dans la tente de l'autopsie, s'il vous plaît. Je vous y rejoins. Et inspectrice... soyez prudente.
Elle trouva l'attention touchante, jusqu'à ce qu'il ajoute :
- Je n'ai pas envie de vous voir nue sur ma table en inox.
Et pourtant c'était l'exploit que les femmes accomplissaient chaque jour depuis des milliers d'années: se battre, mais sans effusion de sang.
Le refuge du sommeil, pensa Sarah. Dormir sa vie pour ne pas la souffrir.
Et dès qu'on sort du cadre, l'humiliation, le mépris, le rabaissement guettent. Un homme ne peut pas comprendre ça parce qu'il ne le vit pas. Il n'a pas à se soucier de la remarque désobligeante sur son physique, de la blague sexiste qui va mettre son intelligence en doute, de la prise de parole qu'on lui refusera, ou tout simplement de cette impression permanente de devoir prouver sa compétence. Il est réellement libre, sans menace diffuse prête à surgir à tout moment songea-t-elle encore.
Et si l'on doit reconnaître à ces usurpateurs un génie, c'est celui d'avoir choisi la meilleure des ruses pour aboutir à leurs fins : en réécrivant l'inconscient collectif. Cette mémoire collective de l'espèce humaine qui guide nos vies de génération en génération à travers les mythes, les traditions et la religion.
Katrina Hagebak lui avait ouvert les yeux sur les ruses perverses de la domination masculine, elle se demandait dans quelle mesure un ordre opprimé pouvait rétablir la justice sans violence.
Puisque, par définition, le groupe qui domine exerce une violence sur le dominé, comment ce dernier peut-il se libérer sans affrontement ?
- Je n'arriverai jamais à comprendre comment des hommes braillant à tout-va les valeurs de l'égalité, de la justice et se réclamant des Lumières ont pu rejeter toutes les demandes des femmes, les renvoyer à leurs tâches domestiques, les museler et les tuer par milliers.
Elle se regarda un instant dans la glace, les gouttes d’eau perlant sur ses taches de rousseur. Ses yeux s’étaient cernés et leur éclat bleu de glace s’était terni. C’était donc à ça que ressemblait le visage de la défaite, pensa-t-elle.