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EAN : 9782743662424
272 pages
Payot et Rivages (06/03/2024)
3.69/5   8 notes
Résumé :
De retour sur Terre, Clay, l'unique survivant d'une funeste mission de trois ans sur Mars, fait l'objet de beaucoup d'interrogations. Atteint d'une amnésie post-traumatique, il peine à se souvenir des conditions de son improbable voyage. Alors que la Californie est en proie à une vague d'incendies, son destin tragique écorne le mythe de la colonisation martienne et effraie l'agence spatiale, laquelle voudrait nier sa responsabilité dans le fiasco pour continuer son ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Première incursion dans les littératures de l'Imaginaire pour Gil Bartholeyns qui signe un roman de science-fiction abordant la conquête spatiale... mais depuis la Terre.
L'histoire d'un astronaute de retour de Mars, seul survivant de son équipe et largement pris en charge à Los Angeles. Entre rendez-vous médicaux et auditions auprès d'une commission pour connaître le déroulé des évènements, Clay Sawyer va peu à peu plonger dans une paranoïa, de plus en plus conquérante.
En toile de fond, la Californie est ravagée par des incendies d'une intensité inédite et menaçante.

Le personnage principal n'est pas franchement attachant. Lourdaud, persuadé de son charme, il lutte contre les souvenirs de cette mission martienne alors même qu'on cherche à lui les faire dire. Il ressemble à un héros vu et revu.
L'auteur ménage le suspense en retardant au maximum la révélation du fin mot de cette affaire morbide. La narration est plutôt bien menée mais il n'aurait pas fallu retarder plus longtemps le dénouement.
La fin, d'ailleurs, est assez étonnante. Alors que les deux premières parties sont composées de courts chapitres - aux titres parfois très réussis, jouant à l'occasion avec leur contenu -, la troisième et dernière est bâtie différemment avec seulement deux chapitres, bien plus longs. La focalisation quitte alors Sawyer et on a alors le droit à des enchaînements de paragraphes expliquant le pourquoi du comment, tant de ce futur et de l'histoire de la ruée vers Mars - en tirant un trait depuis les premières expéditions maritimes du quinzième siècle - que de l'accident de la mission de MarsUnivers. Si le plaidoyer et la réflexion sur les conquêtes sont intéressantes, elles tombent un peu comme des cheveux sur la soupe en cette fin d'ouvrage de fiction.

Les incendies permettent sur le fond d'appuyer le message écologique de l'auteur sur la fuite en avant que représenterait une tentative de "nouvelle Terre" sur Mars. Sur la forme, cela lui donne l'occasion de jolies comparaisons et d'effets miroirs entre le paysage de la Californie en proie aux flammes et la planète rouge.

La forme, parlons-en. Gil Bartholeyns déploie une envergure lexicale qui fait osciller certains passages entre l'éloquence et la lourdeur.
L'auteur dispose d'un riche vocabulaire... mais n'est pas capable de féminiser les noms de métier ! Même la poussiéreuse Académie Français a fini par s'y mettre - c'est dire. le faux neutre masculin pullule et c'est assez agaçant.
D'ailleurs le livre ne passerait pas le test de Bechdel (sur le troisième point).

Une lecture ni tout à fait passionnante, ni tout à fait désagréable - malgré un baume archaïque qui parasite.

Merci à Babelio et aux éditions Rivages pour ce livre reçu via la Masse critique.
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Non pas seul sur Mars, mais seul survivant de l'expédition sur Mars : un superbe contre-récit de la conquête spatiale contemporaine.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/05/20/note-de-lecture-loccupation-du-ciel-gil-bartholeyns/

Pas de note de lecture proprement dite pour « L'occupation du ciel », roman de Gil Batholeyns paru en mars 2024 dans la collection Imaginaire de Rivages : l'ouvrage fait en effet l'objet d'un petit article de ma part dans le Monde des Livres daté du vendredi 17 mai 2024 (à lire ici). Comme j'en ai pris l'habitude en pareil cas, ce billet de blog est donc davantage à prendre comme une sorte de note de bas de page de l'article lui-même (et l'occasion de quelques citations du texte, bien sûr).

Hasard des calendriers éditoriaux ? Cette superbe fiction de Gil Bartholeyns est parue quelques semaines après le brillant travail d'investigation socio-historique d'Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin, « Une histoire de la conquête spatiale », et contribue comme lui, par un autre angle d'attaque, à une saine remise en cause d'un récit dominant dont les enjeux réels avancent souvent masqués, consciemment et inconsciemment, par un ensemble de relations publiques de très haut vol (c'est évidemment le cas de le dire).

Les contre-récits (quasiment au sens des contre-narrations de John Keene) spatiaux demeurent relativement rares en science-fiction. Je le détaillais dans la note consacrée au travail d'Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin, à laquelle je vous renvoie, bien sûr, mais on peut résumer cela ici en soulignant que si l'on excepte les cas notables de Barry MalzbergApollo, et après ? », 1972) et l'évolution de Kim Stanley Robinson (servie par une rigueur scientifique et politique rare, en la matière) de la « Trilogie martienne » à « 2312 » puis à « Aurora », l'imaginaire dominant dans la science-fiction (influençant ensuite plus ou moins directement celui de la culture en général) est resté celui des « space enthusiasts » (n'incluant pas nécessairement toutefois la frange la plus « radicale » regroupée par exemple, parfois à l'insu de son plein gré, autour d'un Jerry Pournelle à la charnière des années 1980), courant qu'incarnait encore récemment, littérairement – en faisant la part belle, logiquement, à une forme de désenchantement – un Stephen BaxterVoyage », 1996), ou l'Andy Weir du très réussi « Seul sur Mars » (2011), et davantage encore le beau film de Ridley Scott qui en a découlé.

« L'occupation de l'espace » incarne brillamment une forme de scepticisme raisonné qui se glisse désormais dans le paysage, capable d'appeler capitaliste un astrocapitaliste, bureaucrate soucieux de sa propre continuité un donneur d'ordres public soigneusement « dépolitisé » et simples commerçants l'ensemble de prestataires de soft skills gravitant autour de la manne financière toujours renouvelée (même après disettes et autres vaches maigres).

On pourra noter la puissance développée comme mine de rien par Gil Bartholeyns pour construire un sous-texte extrêmement rusé derrière cette quasi enquête administrative conduite comme un thriller d'espionnage ou un roman policier hardboiled, avec un sens de l'humour et de la formule à la fois débonnaire et redoutable. Les implications de ce qui s'est passé là-haut et de ce qui se passe ici en termes de relations publiques, bien sûr, mais aussi de sécurité nationale, de financements publics, d'implication des « mécènes » – alors même que la lutte contre les incendies de plus en plus gigantesques, aux quatre coins des États-Unis, fait rage – sont mises en scène avec une virtuosité de cinéaste aguerri, alors même que l'astronaute Clay Sawyer, au centre de tout, s'affirme comme un personnage faisant vivre sous nos yeux avec grâce le délicat équilibre entre l'ordinaire et le hors normes.

Et c'est bien ainsi que Gil Bartholeyns apporte une contribution hautement significative à cette littérature contemporaine qui se préoccupe de questionner le sens des priorités, politiques et économiques, de nos élites dirigeantes et de leurs sponsors, à l'image du travail de Nathaniel Rich (dans son « Paris sur l'avenir » comme dans son « Perdre la Terre ») ou, à nouveau, de Kim Stanley Robinson, du côté de ses monuments d'urgence systémique que sont « La trilogie climatique », « New York 2140 », ou, bien sûr, « le ministère du futur ».

On notera aussi la maestria avec laquelle Gil Bartholeyns s'empare du motif du grand incendie, bien au-delà de ce que l'actualité contemporaine, pourtant déjà bien chargée de ce côté dans l'Ouest des États-Unis, au Canada ou en Australie, propose à l'écran. Emblème cruel et beaucoup plus immédiatement perceptible du dérèglement climatique, en comparaison de montées des eaux plus insidieuses et de sécheresses pour l'instant moins perceptibles en Europe et en Amérique du Nord, l'incendie de forêt, qui s'en prend désormais régulièrement – et massivement – aux installations humaines et aux habitations, incarne avec éclat (comme dans le « Triple zéro » de Madeleine Watts ou, en effroi paroxystique, comme préalable au redoutable « Hors sol » du regretté Pierre Alferi) ce qui ne va pas aujourd'hui dans la défense molle et comme résignée de notre Planète A victime de l'acharnement fossile.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Clay se réveille à l'hôpital, de retour sur Terre après une mission sur Mars qui a mal tourné. Il est le seul survivant, ses souvenirs des événements de la mission ne lui reviennent pas vraiment et il éprouve de grandes difficultés à se sentir à nouveau véritablement sur Terre. Sur fond de mégafeux embrasant la Californie, il est aux prises avec ses questionnements sur le bien-fondé de l'exploration spatiale, et s'engage alors dans un bras de fer avec le gouvernement, qui lui demande une prise de position évitant le fiasco médiatique et assurant la poursuite des investissements.

J'ai trouvé cette lecture prenante et surprenante ! L'auteur rend bien les multiples angoisses qui assaillent Clay, celle de ne pas être vraiment revenu et que le trauma des événements l'ait figé psychologiquement à 6 mois-lumières de la Terre, celle de douter des extrémités auxquelles le gouvernement est prêt à aller pour sauver les meubles, celle de voir les feux se rapprocher lentement mais inexorablement de sa maison natale. le ton du récit est résolument psychologique mais ces doutes maintiennent le lecteur dans une attente des événements. le reveal de la catastrophe sur Mars, se jouant de notre imaginaire, est bien géré et s'inscrit parfaitement dans le ton et le message du récit, même si j'ai peut-être trouvé qu'il faisait l'objet d'un poil trop de rétention de la part de l'auteur. Sur le style, la lecture est fluide mais j'ai été régulièrement surpris par les mots et les tournures dans les pensées de Clay, qui venaient renforcer la sensation d'étrangeté qu'il ressent depuis son retour.

Plus globalement, le récit adopte un positionnement super intéressant, d'actualité et que je retiendrai : dans un futur proche, que penserait un astronaute de la conquête spatiale à son retour sur une Terre en feu ? La réponse de l'auteur est claire : cette conquête est probablement vaine aujourd'hui, trop difficile, et malvenue lorsqu'elle vient retarder la sauvegarde de notre planète, mais cela n'empêche pas d'aimer lever les yeux pour regarder les étoiles. Un beau message selon moi !
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Clay Sawyer est le seul survivant d'une mission sur Mars dont le succès devait préfigurer l'avenir glorieux de la colonisation de la planète rouge. Malheureusement, la mission se termine très mal et Clay, amnésique, est traumatisé à la fois par la perte de sa compagne, membre elle aussi de l'équipage, et par la violence de l'expérience. Alors qu'il reconstitue péniblement les conditions du drame, l'Agence spatiale à l'origine du projet tente de sauver le programme de colonisation de la planète en faisant porter les raisons de l'échec sur les seules épaules de Clay. Au-delà des enjeux géopolitiques et financiers, c'est le vieux rêve d'exploration spatiale de l'humanité qui est en péril alors que la Terre subit les ravages dûs au dérèglement climatique, avec notamment des incendies extrêmement meurtriers en Californie.
Roman d'anticipation sur fond de thriller bien documenté. J'ai regretté quelques enchaînements que j'ai trouvé mal amenés mais globalement c'est une bonne lecture qui tient en haleine.
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critiques presse (1)
LeSoir
10 avril 2024
Dans une Amérique en proie à des incendies qui dévorent tout, le survivant d'une mission vers Mars cherche à faire éclater la vérité sur un accident qui a coûté la vie à tout son équipage
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Le soir même, le journaliste Benjamin Manning commentait sur CAL•BC les images amateur des flammes colossales diffusées en arrière-plan et sa collègue pointait des pictogrammes d’incendie sur une carte virtuelle, après quoi Manning reprenait en expliquant avec une gravité professionnelle que les vents forts rendaient la situation très préoccupante. Il n’arrivait pas à boire son verre d’eau entre les témoignages et les nouveaux décomptes. La situation était localement hors de contrôle. Les feux progressaient à la vitesse du cheval au galop. leur propagation et leur nombre croissant dépassaient les capacités d’extinction. Dans quelques jours, on parlerait de « Complexe d’Août », les dizaines de foyers formeraient un système autogène. Certains fusionneraient. Et ces très grands feux étaient proprement inextinguibles. Comptant pour moins de cinq pour cent des feux de forêt, ils représentaient plus de quatre-vingt-dix pour cent des surfaces brûlées. Leur intensité était telle que les sols ne parvenaient plus à se régénérer. Ces généralités édifiantes finissaient par devenir des frayeurs ontologiques servies par un Manning doré comme une brioche. Au bas de l’écran, une bande défilante annonçait les premières victimes, les dizaines de milliers d’acres déjà avalées, les dégâts signalés un peu partout dans le pays, un hall de sport, des vaches sidérées par un mur de flammes, des maisons isolées dans une forêt devenue un faubourg sans fin, et Benjamin Manning, qui n’avait pas dû beaucoup dormir non plus, recevait sans cesse des nouvelles dans l’oreillette pour dire des choses comme « des nouveaux foyers… en Oregon… très dispersés… dans l’Etat de Washington… en Colombie-Britannique aussi… principalement dans le nord de la Californie… San Francisco pourrait se retrouver encerclé… Voyez ces chevaux hagards qui se précipitent dans l’écurie en flammes… »
Autant d’informations sans appel, allant de l’anecdote à la climatologie humaine.
La sécheresse des derniers mois, le vent chaud en provenance du désert, les allumages criminels, même le complot incendiaire n’était pas écarté. Des évacuations préventives étaient en cours un peu partout. Les gens remplissaient leur coffre. On quittait son pavillon, le coude sur la portière. « On n’est jamais trop prudents pour les enfants. » On accrochait la remorque. « On a pris tout ce qu’on a pu. On ne sait pas si on reverra notre maison. » Et celui-ci pleurait.
C’était le genre d’endroits où je suis né : une école et une église en brique rouge en arrivant, un parc à roulottes au bord de la rivière, un poste de police surdimensionné, une caserne de pompiers avec des drapeaux totémiques flottant mollement, des maisons de planches peintes, plus de voitures que de permis de conduire, des stères de bûches, des vélos couchés sur le bas-côté, un archipel de granges délabrées, de la ferraille agricole un peu partout, des piscines autoportées en juillet et, pour tout centre psychologique, un distributeur de bourbons glace de la chaîne 24/7 et un bar à tombola qui se donne des allures de repaire de trappeurs, le tout disposé de part et d’autre d’une voie principale qu’on n’emprunte jamais sans risquer la noce avec un semi-remorque. Des chiens aboient, un ballon roule, d’immenses oiseaux stoïques aux yeux jaunes tournoient dans le ciel en attendant un lièvre imprudent. C’est mon enfance, et les flammes y allaient.
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Avant que l’Agence ne m’installe sans compter dans ce vaste appartement d’altitude, où je me tiens à présent dans le silence affligeant des décisions sans retour, je venais de passer trois semaines en observation à l’hôpital. Une vie parallèle qui avait commencé par cette pensée, en me réveillant seul dans la chambre : Depuis combien de temps suis-je là ? J’avais dû dormir comme un bas-relief. Je me suis tourné dans le lit et je me suis vu dans le reflet de la vitre, en chemise à petits pois, sans barbe, sans souvenirs, et j’ai senti que je pleurais. Au-delà, il faisait nuit. C’était la nuit de Los Angeles, envahie de lumières pétillantes et de mouvements.
– Bonjour Clay.
C’était une voix douce et sûre de ce qu’elle disait.
– Je suis le docteur Anak. Comment vous sentez-vous ?
Le Dr Grace Anak a contrôlé le moniteur et l’infusion de glucose, acides aminés et lipides, pour me donner un peu de temps. Elle ne m’a pas demandé si je savais comment je m’appelais. Elle me l’avait peut-être déjà demandé. Combien de fois avais-je déjà vécu ce réveil ? Je parvenais à suivre son doigt. Je parvenais à mettre mes index l’un contre l’autre. Et tandis que le droit faisait Dieu et le gauche l’homme dans la Sixtine des tests fonctionnels, j’ai réalisé qu’Anita n’était plus là. J’ai su qu’Anita ne serait plus jamais auprès de moi ni nulle part, et je me suis rendormi.
La fois suivante, le Dr Anak me présentait le Dr Zolla Flores, une rencontre en mi bémol. Je savais qui j’étais. Je savais d’où je revenais. Mais j’avais oublié le reste et, si j’en crois sa déconvenue devant mon ignorance, ce n’était pas des choses qui s’oubliaient facilement. Le Dr Flores m’a promis qu’on allait essayer d’y voir plus clair, il ne fallait pas précipiter les choses.
Le lendemain, j’avais devant moi la Secrétaire générale de l’Agence spatiale martienne, accompagnée peut-être d’un conseiller juridique, un nouveau chef de bureau ou un communicant. La Secrétaire générale m’a expliqué que j’étais en quarantaine depuis huit jours, depuis le 25 juin. Je devais vraiment avoir l’air égaré pour qu’elle se donne la peine de préciser qu’on était donc le 2 juillet. Une commission d’enquête s’était constituée depuis l’incident survenu il y avait presque un an. Un an ? Comment tout ce temps pouvait-il être passé, qui me semblait n’être que deux ou trois mois ? Cela aurait dû être de l’histoire ancienne. J’aurais dû seulement être là pour corriger des détails, intervenir à la marge, rendre visite aux familles endeuillées de mes coéquipiers. C’était tout le contraire. Non seulement, j’étais très attendu, mais la possibilité de recueillir mon témoignage changeait totalement la donne.
D’une main légèrement levée depuis les draps, j’ai arrêté la Secrétaire générale. Qu’est-ce qui s’était passé ? Je les ai sentis troublés. Elle s’est touché le nez, l’autre a croisé les bras.
– Vous ne savez vraiment pas ?
j’ai été obligé de leur dire non.
– Vraiment ?
– Non, vraiment.
Passé leur surprise, ils se sont montrés comme soulagés, indécis mais apaisés. Satisfaits, même. Cela semblait changer la face du monde. Le soleil est venu baigner la chambre. La Secrétaire générale m’a alors exposé les faits connus à ce jour, presque rien, et le conseiller a pris le relais, arrivant vite à la pommade. Comment avais-je pu survivre et surmonter tant d’épreuves ? Tout ce temps passé là-bas ! Et ma prouesse du retour, s’injecter comme ça sur une trajectoire si tendue, et sans assistance en temps réel.
Le jour suivant, mes parents me faisaient signe depuis la fenêtre du couloir. Ma mère essayait de sourire, mon père s’est retourné pour s’essuyer les yeux, puis on les a laissés entrer. Ils m’ont baisé le front et parcouru de leurs vieilles mains douces, terrifiés et reconnaissants. Ils retrouvaient leur fils unique après plus de deux ans, mais dans quel état. Mon père m’a proposé de revenir à la maison, ma mère de reprendre ma chambre. Une convalescence estivale dans la Sierra, les cèdres, les papillons, c’était à espérer.
Le surlendemain, une journaliste est parvenue jusqu’à la chambre. Est-ce que j’étais inquiété ? Sur le moment, je n’ai pas compris. Comment avais-je fait ? Qu’est-ce qui s’était passé ? Toujours les mêmes questions. Elle a confirmé que les installations étaient jugées perdues et que j’étais le seul survivant. Aucune cause officielle n’avait encore été avancée, aucun bilan définitif établi. Et elle a eu cette étrange formule, comme remontant du fond des âges de la vérité : un seul témoin suffit mais il est nécessaire. Elle regardait sans cesse la vitre du couloir, sur ses gardes. Nécessaire et souvent embarrassant.
Les médias et les réseaux s’étaient interrogés tant et plus sur l’incident qui avait frappé MarsUnivers. Un vertige d’hypothèses et de clichés : c’était une maladie foudroyante, une tempête dévastatrice, une panne générale, une mutinerie… L’agitation médiatique était relancée. L’Agence était à nouveau critiquée pour son manque de transparence. On se demandait maintenant où j’étais, ce que j’avais à raconter. Personne n’avait accès à cette aile du bâtiment. La journaliste s’était faufilée. Est-ce que je lui donnais l’exclusivité ? J’étais trop amorti pour réagir.
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On a remis ça la semaine suivante, la ville étale et les palmiers frottés par le vent du désert jusqu’au siège de l’agence martienne, avec une Elsie Lokeleani psychopompe. J’ai fait un nouveau refus d’obstacle, cette fois au niveau des ascenseurs.
– Mais venez le leur dire vous-même !
Elle voulait que je répète ce que je lui avais servi dans la voiture. Ce qui me manquait le plus, ce n’était pas la mémoire mais un avenir, un temps où je pourrais commencer à entrevoir une vie possible. Je comprenais parfaitement ce que faisait l’Agence, m’entourer d’attentions pour qu’une fois remis sur pied, étançonné comme il faut, je sois en capacité de faire face au « drame » collectif de MarsUnivers et que je puisse prendre à part ce que je pensais encore être la chose la plus importante pour l’Agence : l’élucidation des faits ayant entraîné la perte sans doute définitive de la base opérationnelle et des modules d’habitation.
Mais ce jour-là, non, je n’en étais pas capable.
Quand je suis revenu dans la chambre, Ron-Le-Séquoia m’a couché comme une cuillère dans un tiroir. J’avais à nouveau la lourdeur d’une poire tombée de l’arbre. Une poire mûre qui s’écrase au fond d’un puits de gravitation de plus de six mille kilomètres. C’était l’image que nous avait servie le physiologiste de Houston, Gorky Hamilton, pour nous donner une idée de ce qu’on ressentirait lorsque nous serions de retour. Et Gorky Hamilton avait ajouté : lourds, lents, saturés, faiblards comme des oisillons, au moins pendant deux semaines, avec d’intenses rechutes. Je savais que je devrais me refabriquer une ossature, des muscles, un coeur. Il nous avait aussi prévenus : d’être là-bas il y aurait quelque chose de trop pour nos petites âmes humaines, et on le ramènerait avec soi. C’était arrivé à Carol Szocs, à Yul Evans… et pas question d’aller embêter Evans dans son ranch. C’était comme ça, on allait revenir légèrement autre que terrien, mais légèrement, c’était déjà beaucoup. Je n’étais plus tout à fait adapté aux conditions élémentaires de la vie terrestre. La vie extraterrestre avait modifié mon organisme. Non seulement je devais me refaire une santé mais, en réalité, aussi, une nature.
Comme un fait exprès, le jour suivant, Gorky Hamilton est venu me saluer derrière un immense bouquet de fleurs en papier de soie. Je n’ai pas eu l’impression que plusieurs années s’étaient écoulées entre nous, mais plutôt seulement quelques jours. Après des mots d’une extrême sollicitude, il m’a dit :
– Clay, on n’est pas que son corps, mais on n’a que lui. Vous devez essayer de retrouver cette fantastique sensation d’être vivant.
Cette sensation fantastique, je l’avais éprouvée en quittant le champ de force terrestre, me dévidant progressivement, et cette grâce organique ne m’avait pas quitté, même là-bas, jusqu’à ce que je me retrouve à nouveau sous l’influence de la Terre, brutalement soumis à une pompe de remplissage à grand débit. Je me réorganisais dans le vacarme de la rentrée atmosphérique, et je me suis réveillé à l’hôpital. Il n’y avait personne dans la chambre, sauf le reflet de mon visage et, au-delà, la ville infinie une nuit d’été. Depuis combien de temps j’étais là, en effet ? À quelle époque je vivais ? Pourquoi, étant allé si loin, j’avais l’impression d’avoir traversé le temps ? Qu’était-il arrivé à nos existences ? Que s’était-il passé ? Les réponses étaient en moi, mais inaccessibles. J’étais revenu, elles devaient revenir aussi.
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La flèche du temps a parcouru mon néant intérieur jusqu'à la cible pleine des évènements abolis. (9-10)
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Le faux contamine le vrai plus vite que la vérité ne conjure l'erreur. (149)
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Gil Bartholeyns présente "L'occupation du ciel".
De retour sur Terre, Clay, l'unique survivant d'une funeste mission de trois ans sur Mars, fait l'objet de beaucoup d'interrogations. Atteint d'une amnésie post-traumatique, il peine à se souvenir des conditions de son improbable voyage. Alors que la Californie est en proie à une vague d'incendies, son destin tragique écorne le mythe de la colonisation martienne et effraie l'agence spatiale, laquelle voudrait nier sa responsabilité dans le fiasco pour continuer son programme.
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