AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,81

sur 95 notes
5
17 avis
4
7 avis
3
2 avis
2
1 avis
1
0 avis
°°° Rentrée littéraire 2023 # 39 °°°

L'ouverture du roman place le lecteur sur le terrain familier d'un polar. On fait la connaissance d'un détective fraichement retraité, Tom Kettle, vivant à l'écart dans un manoir irlandais dont il loue un appartement ; puis de deux détectives en activité qui viennent demander son aide dans le cadre d'un cold case réouvert.

« Cette visite l'avait déstabilisé, troublé, terrifié. Oui, terrifié. Leurs révélations étaient un acte de terreur. (…) le contenu de ces dossiers lui sautait à la gorge avant même qu'il puisse les consulter. »
Mais ce n'est qu'une feinte. Très rapidement, on se rend compte que derrière la troisième personne se cache le point de vue de Tom Kettle. Avec une maestria évidente qui ne craint pas la complexité narrative, Sebastian Barry fait glisser latéralement tout le récit sur ce guide peu fiable, ravagé par d'insupportables traumatismes, à la mémoire friable. Il distille les révélations attendues sur un élastique narratif très laxe, retardant leurs divulgations au maximum.

Tout doucement, on est conduit dans le monde de Tom, ses digressions, ses retours sur le passé, sur un fil instable avec comme seul guide conducteur l'immense amour qu'il portait à son épouse décédée. Son esprit semble en permanence à la dérive entre passé et présent, réel et imaginaire. L'écriture élégante de l'auteur frôle le courant de conscience de Tom alors que ce dernier lutte pour suivre ou éviter ses propres pensées.

Sebastian Barry ne lâche pas pour autant sa trame enquête. On saura en temps voulu tous les tenants et aboutissants du cold case présenté dans le prologue. Mais très clairement, ce magnifique roman va bien au-delà. Son vrai sujet est l'impact d'un traumatisme sur la mémoire, entre déni et honte, puis sa transmission sur les générations suivantes.

Les fantômes de Tom sont très présents et rejoignent les fantômes de l'Irlande depuis la révélation, dans les années 1990, du scandale des abus sexuels commis par des prêtres sur des enfants, dissimulés par l'Eglise catholique. J'ai rarement lu des passages aussi puissants sur l'enfance maltraitée :

« Toutes ces âmes éteintes, plongées comme une bougie dans une mer de luxure. Un océan de luxure recouvrant une lueur qui ne longerait plus jamais le sein brillant de la terre pour éclore de nouveau telle une marguerite, une marguerite au coeur jaune vif, ce soleil d'un nouveau matin. Eteintes et oubliées. »

L'épigraphe est tirée du Livre de Job, un homme juste qui réagit à des épreuves difficiles en restant fidèle à ses valeurs. A mesure qu'il avance, ce majestueux roman devient de plus en plus déchirant, questionnant inlassablement les notions de rédemption, expiation, justice et morale. Il le fait avec une grave compassion et une rage feutrée mais nette.

Malgré la noirceur des propos et la brutalité de certaines scènes, ce magistral roman est illuminé par la seule grâce d'une écriture à l'immense pouvoir d'évocation, par la présence enjoué de Tom ( quel humour ) ainsi que par un hommage à l'amour éternel et sa capacité à éclairer l'obscurité. Assurément splendide.


Commenter  J’apprécie          12013
En Irlande, il n'y a pas que le temps qui pleure.
Un ancien flic profite d'une retraite pépère et méritée dans une station balnéaire. Comme les côtes de la mer d'Irlande n'ont pas grand-chose à voir avec celles de la Floride ou de la côte d'azur, il fréquente davantage les fantômes et les cormorans que les casinos et les chihuahuas à sa mémère. Veuf, l'homme a également perdu ses deux enfants et il n'aspire qu'à se passer en boucle les vieux disques de ses souvenirs heureux. Ses défunts lui tiennent compagnie et sa réalité se limite à quelques rencontres fortuites avec son propriétaire et quelques voisins.
Les drames qui ont émaillé son existence remontent à la surface et polluent l'écume de sa plage déserte quand de jeunes enquêteurs le contactent sur une vieille affaire de prêtres pédophiles. Tom Kettle a été lui-même abusé dans un orphelinat et sa défunte épouse a elle-même été victime d'un certain Père Matthews dont le corps a été retrouvé dans une montagne. Les soupçons pèsent sur l'ancien flic qui peu à peu, exhume son passé douloureux.
J'ai trouvé le roman de Sébastian Barry d'une puissance rare et d'un style aussi perturbant qu'envoutant. le sujet est difficile et âpre mais l'auteur fait prévaloir la mémoire sur le polar. Alors que la plupart des romanciers auraient fait le choix d'un récit centré sur l'évocation des scandales de pédophilie dans certains orphelinats d'Irlande qui ont défrayé la chronique il y a quelques années, le choix de confiner la narration dans l'esprit du flic permet de révéler toutes les fêlures psychologiques qui résultent de ces crimes.
J'ai été bluffé par cette capacité de l'auteur à structurer sa prose comme une lutte intérieure, presque inconsciente comme une écriture de résistance, qui se traduit par des passages où le récit chevauche la réalité, le rêve ou l'hallucination dans une même page. Je me suis parfois perdu dans le récit car le narrateur a la mémoire qui flanche et un Alzheimer à la carte mais il grappine le lecteur dans l'ascension complexe de cette histoire grâce à son fil de survie : l'amour pour sa femme.
Ce n'est pas la comédie de l'année, difficile de faire une petite place à l'humour devant une telle accumulation de drames sur un seul personnage (c'est même un peu trop pour être crédible !) mais cette lecture n'est pas dépressive. Bon, évitez seulement d'avoir une corde ou une falaise à proximité, de lire ce magnifique livre par temps pluvieux en automne et gardez le numéro de votre psy à proximité.
Dans les lacs du Connemara, si on écoute Sardou le sardonique, autour des lacs, c'est pour les vivants. Chez Sebastian Barry, en bord de mer, c'est plutôt pour les morts.
Commenter  J’apprécie          977
Guerre de Sécession, Grande Guerre, main mise de l'Église catholique sur l'Irlande nouvellement indépendante : chaque livre de Sebastian Barry apporte sa pierre à la fresque irlandaise que l'auteur bâtit peu à peu autour de deux familles, les Dunne et les McNulty. Il fait cette fois un pas de côté, n'accordant qu'un rôle secondaire à une Miss McNulty qui fuit son mari pour protéger son fils, et centrant son roman sur Tom, un policier dublinois fraîchement retraité venu lui aussi s'établir dans cette petite ville côtière proche de la capitale, et que le passé, ce « bon vieux temps de Dieu » qui fermait les yeux sur les abus sexuels commis sur des enfants par le clergé irlandais, revient tourmenter.


A 66 ans comme l'auteur, cet homme pour qui les violences, pourtant terribles, rencontrées dans son métier n'ont jamais pu oblitérer celles subies dans son enfance au pensionnat religieux, se retrouve face au vide que, depuis sa retraite, l'activité professionnelle ne remplit plus. Pour ne pas laisser la part sombre de sa mémoire prendre le dessus, calé dans son fauteuil d'osier et la fumée de ses cigarillos face à la capricieuse mer d'Irlande, il s'abîme dans ses seuls meilleurs souvenirs, convoquant volontiers les fantômes de ceux qui firent son bonheur, son épouse June – morte suicidée – et ses deux enfants – décédés à l'âge adulte. Mais le déni le plus résolu ne suffira bientôt plus à le protéger. Ses anciens collègues policiers viennent d'exhumer un dossier remontant aux années 1960 et étouffé depuis trente ans. L'enquête s'intéresse aux abus sexuels perpétrés par deux prêtres dont l'un fut sauvagement assassiné. Et elle vient toquer jusqu'à sa porte.


« S'il s'écoule suffisamment de temps», s'était-il efforcé de se convaincre, « au bout d'un moment, c'est comme si les choses anciennes n'avaient jamais existé. Des choses autrefois fraîches, soudaines et terribles qui finissaient par se dissiper dans ce bon vieux temps de Dieu, comme ces promeneurs qui s'avancent si loin sur Killiney Strand que, lorsqu'on regarde, au bout d'un moment, ils ne forment plus qu'une tache noire avant de disparaître. » Et voilà que soudain, bousculé et terrifié, il est renvoyé à « des ténèbres pleines de crasse et de violence. » « A nouveau, toute cette humiliation. » Extirpé en même temps que Tom des rêves éveillés qui repeignaient la réalité aux couleurs des fantasmes du bonheur, le lecteur se retrouve au coeur du souvenir traumatique, douloureux et confus, affolé de se voir débusqué après avoir si longtemps joué la diversion.


Tom, le garçonnet violenté. June, la fillette abusée. Et tant d'autres dans ces orphelinats catholiques de l'époque, condamnés leur vie durant à porter seuls et en secret le poids de leur humiliation et de leurs souffrances par le déni d'une société corsetée par la toute puissance morale d'un clergé intouchable. Une telle impunité a ici appelé au meurtre. Un acte impensable, et pourtant le seul que le justicier ait trouvé, pour se venger ou pour mettre un terme à la liste sinon toujours croissante des victimes. Car, en ces années 1990 encore, la chape du silence continue à peser, au sein de l'Église catholique mais aussi des familles, les victimes à ce point sans recours que rien n'est par exemple prévu pour les protéger d'un père incestueux. Crime ou suicide : ce sont finalement les seules issues laissées aux malheureux qui ne veulent ou ne peuvent poursuivre leur vie comme si de rien n'était.


Un texte troublant et bouleversant, qui, tout en ambiguïté, tourne avec son personnage autour du non-dit et du déni dans l'effort désespéré de ne pas sombrer d'horreur. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          9612
Écrire beau.

Deuxième incursion chez Sebastian Barry avec Au bon vieux temps de Dieu (traduit par Laetitia Devaux) et même sentiment de « me sentir bien dans ma lecture ». Au point, une fois n'est pas coutume, de prendre mon temps pour avaler ce court mais dense roman.

Récemment retraité de la Garda Síochána, la police nationale irlandaise, Tom Kettle vit sans vraiment vivre, dans le souvenir de sa famille disparue : Winnie sa fille, morte ; Joseph son fils, assassiné ; et June, sa femme tant aimée, dont le seul défaut fut de mourir trop tôt.

« Tout ça, c'était avant June : pas avant et après J.-C., mais avant et après June. »

Tourmenté de la vie, cherchant la force de continuer malgré tout, Tom est un être complexe qui se pose sans cesse mille questions sur son passé et son histoire, ses actions ou absences d'actions, ses omissions et petites compromissions. Sans que cela n'y change rien. Jusqu'à ce que…

Jusqu'à ce que son ancien chef le sollicite pour un court retour aux affaires destiné à faire tomber des prêtres pédophiles longtemps impunis. Mais loin de l'apaiser, cette mission replonge Tom dans les tourments de son passé.

Au bon vieux temps de Dieu est un régal de lecture tellement la langue est belle. Une écriture dense, resserrée qui convient parfaitement au rythme volontairement lent de Barry, ponctué de digressions comme autant de fulgurances resurgies dans la tête de Tom. Mais aussi de quelques aphorismes délectables jetés ci-et-là.

« Ils étaient d'humeur à ne parler de rien, mais à parler de rien aussi bien que possible, ce qu'ils firent. »

Amateurs de pageturner et d'intrigues addictives, passez votre chemin. Mais pour tous ceux qui « lisent beau », c'est un régal !

« Au bout d'un moment, c'est comme si les choses anciennes n'avaient jamais existé. Des choses autrefois fraîches, soudaines et terribles, qui finissaient par se dissiper dans ce bon vieux temps de Dieu… »
Commenter  J’apprécie          343
Les bons livres de Sebastian Barry ne manquent pas (Y en a t-il un de vraiment moyen ?) mais avec Au bon vieux temps de Dieu, l'intensité de son écriture et son lyrisme douloureux n'ont sans doute jamais été aussi brûlants. On peut y ajouter l'humour, aussi surprenant que cela puisse paraître, dans un roman aussi sombre, mais qui permet de tempérer la noirceur de son sujet. le narrateur, Tom Kettle, policier retraité depuis 9 mois, on va s'en apercevoir assez vite, vit dans le passé et va remonter les stations de ses souvenirs, dans un désordre savamment organisé par l'auteur, et d'une fiabilité plus que douteuse. Il n'empêche, le personnage principal du roman a subi plusieurs deuils successifs, dont celui de son épouse adorée, et que son esprit batte plus ou moins la campagne, alors que la vieillesse l'a rattrapé, n'a rien d'étonnant. Parti sur les bases d'un polar, Au bon vieux temps de Dieu ménage un grand suspense qui ne se dénoue que progressivement mais c'est définitivement le style de Sebastian Barry qui transcende un récit dont la toile de fond est l'épouvantable époque des viols d'enfant par les prêtres irlandais, méfaits commis dans le silence assourdissant d'un environnement social qui savait, peu ou prou. Difficile de dire qu'un livre est splendide, lorsqu'il traite d'un sujet pareil, mais il est pourtant touché par une grâce éthérée, si l'on ose l'écrire ainsi.
Commenter  J’apprécie          200
De Sebastian Barry j'ai toujours en tête et au coeur les inoubliables Thomas McNulty et John Cole du merveilleux Des jours sans fin ; vient désormais s'ajouter à ma collection le Tom Kettle qui habite ce nouveau et déchirant roman. J'ai bien envie de dire grand roman mais c'est encore trop commun, il faudrait lui trouver un qualificatif rien que pour lui plutôt que d'utiliser ceux qui ont déjà servi pour d'autres. En tout cas, si on me demande ces jours-ci ce qu'est un grand romancier j'inviterai à lire Sebastian Barry.

"Il prépara un thé si fort qu'il avait la couleur de l'enfer dans la tasse. Un thé de policier, ça vous coulait le coeur dans du goudron". Tom Kettle est un jeune retraité de la police de Dublin. Il coule depuis neuf mois des jours tranquilles dans une petite station balnéaire, ne recherchant pas spécialement la compagnie. Il faut dire qu'il a vu assez de choses au cours de sa carrière, on le comprend. Alors quand d'anciens collègues viennent frapper à sa porte pour solliciter son concours sur une affaire en lien avec l'un de ses anciens dossiers, Tom n'est pas très enthousiaste à l'idée de replonger dans ses souvenirs. D'autant que cela ravive des douleurs plus personnelles dont il est désormais seul à connaître la teneur et les détails. le partage a cessé à la mort de sa femme, June plusieurs années auparavant ; ses deux enfants ont aussi disparu. Tom est seul avec son esprit dont les méandres se font chaque jour plus sinueux et opaques. June et lui avaient en commun des enfances maltraitées en orphelinat, de ces traumatismes que l'on porte toute une vie. Cette histoire de prêtre assassiné qui remonte à la surface provoque chez Tom un mini cataclysme d'émotions et de sensations qui nous sont livrées au rythme des soubresauts de son esprit, dans un formidable crescendo de tension dramatique.

La maîtrise de Sebastian Barry est saisissante, tant dans l'incarnation que dans la construction narrative. le lecteur est invité dans l'esprit de Tom et épouse ses sautes d'humeur, ses égarements autant que ses efforts pour y voir clair. Les certitudes font place au doute, et inversement. le trouble gagne tandis que l'on peine à discerner les vrais souvenirs mais qu'affleure la réalité de la souffrance de Tom. A travers cette histoire déchirante qui prend sa source dans les traumatismes d'un pays entier, l'auteur questionne l'essence d'une vie bâtie sur la souillure d'une enfance détruite, la difficulté de résilience dans une société incapable de réparer les torts causés. La solitude de chaque être humain face à lui-même.

J'ai absolument tout aimé dans ce roman, soufflée par la beauté et la force de l'écriture si enveloppante (merveilleusement rendue par la traductrice), impressionnée par l'orchestration du fil narratif. Sublime, bouleversant, inoubliable.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
Commenter  J’apprécie          162
Après une vie difficile le flic Tom Kettle vit sa retraite le plus paisiblement possible, un peu cloîtré, au contact de la nature dans une banlieue maritime de Dublin. Et ce jusqu'au jour où deux inspecteurs frappent à sa porte pour soulever une vieille affaire à laquelle il aurait peut-être été mêlé. Voilà la trame du livre.
Cette visite déclenche chez Tom une avalanche de réminiscences. Déstabilisé, remué, son passé lui revient en force, comme des bulles crevant à la surface d'un épais magma.
Sa femme adorée est morte, victime comme Tom de la sale histoire irlandaise, à savoir la maltraitance et les abus dont on été victimes tant de jeunes Irlandais de la part du clergé catholique, et ce dans le silence et l'ignorance voulue des autorités.
Ses enfants ont également disparu, on saura peu à peu comment et pourquoi.
Comme dans d'autres romans de Sebastian Barry, Tom s'avère être un beau personnage, meurtri par la vie mais plein d'humanité, sensible, aimant, amoureux du bonheur sous toutes ses formes.
A noter la tenue et la maîtrise de la narration par l'auteur, qui suggère longtemps avant de dire et qui a le sens des détails qui font mouche.
Un livre superbe.
Commenter  J’apprécie          150
Tom Kettle, un ancien inspecteur de police de 66 ans, est retraité depuis neuf mois et vit seul dans une petite dépendance du château victorien occupé par Mr Tomelty sur l'île de Dalkey en Irlande. Il aperçoit bien le propriétaire et les locataires de temps à autre mais ne reçoit jamais de visite, aussi est-il surpris lorsque deux policiers se présentent chez lui pour l'entretenir d'une affaire d'abus sexuel au sein de l'église catholique dans laquelle son nom est évoqué.

Une visite qui fait remonter à la surface de sombres souvenirs .
Tom et son épouse, June, ont tous les deux grandi dans un orphelinat et n'ont pas été épargnés par les gestes répugnants des prêtres.

Tom, endeuillé par la disparition de sa femme et de ses deux enfants, puise sa résilience dans ses souvenirs heureux et les visions et conversations qu'il entretient avec les défunts et le vivants parfois.
Nous ne savons jamais très bien quand l'auteur nous emmène dans la réalité, la démence ou le rêve.
Tout se mélange dans une écriture envoûtante qui rend parfaitement l'altération de la mémoire causée par les traumatismes.
Des dommages immuables qui affectent aussi la descendance des victimes.

«Au bon vieux temps de Dieu» est un roman puissant et douloureux qui relate l'épisode honteux des abus sexuels au sein de l'église catholique irlandaise et ses conséquences tout en abordant la solitude qui s'insinue après la retraite et l'éclatement familial.

Je découvre avec ce titre l'écriture incroyable de Sebastian Barry qui m'a immédiatement séduite tant par sa poésie, son symbolisme et son lyrisme gothique dans la description des paysages irlandais que par la profondeur de la psychologie des personnages principaux auxquels on sent qu'il voue une réelle affection.

Une lecture coup de coeur qui me marquera longtemps.
Commenter  J’apprécie          150
Aux éditions Joëlle Losfeld, on aborde parfois le genre policier avec un certain bonheur comme à la lecture des romans de Richard Morgiève nous entraînant du côté de l'Utah avec le Cherokee (Joëlle Losfeld 2019) ou du Texas avec Cimetière D'Etoiles (Joëlle Losfeld 2021) au gré de récits d'une intensité peu commune qui pourront déconcerter certains lecteurs de polars qui n'apprécieraient pas d'être un peu bousculé. Cette intensité on la retrouve sans nul doute chez Sebastian Barry, romancier irlandais, mais également dramaturge et poète qui aborde dans son dernier roman Au Bon Vieux Temps de Dieu, le thème de la pédophilie des prêtes en Irlande avec un récit aux allures de roman policier se concentrant autour des souvenirs défaillants d'un policier retraité qui se voit contraint de se remémorer son passé à son corps défendant. Récipiendaire à deux reprises du Costa Book Award, prix prestigieux distinguant les grands auteurs du Royaume Uni comme Salman Rushdie ou Philipp Pullman, Sebastian Barry se distingue dans son écriture de haute volée avec un texte au lyrisme envoûtant, nécessitant une attention particulière pour appréhender la densité de la personnalité de Tom Kettle qui nous entraîne dans les méandres échevelés de ses pensées.

C'est du côté de Dalkey, petit village côtier situé à la périphérie de Dublin, que Tom Kettle a choisi de passer sa retraite en emménageant dans la modeste annexe de Queenstown Castel que le propriétaire, Mr Tomelty, a divisé en plusieurs logements. Ayant perdu sa femme June ainsi que ses deux enfants Winnie et Joseph et hormis ses voisins qu'il croise de temps à autre, cet ancien policier décline sa solitude en contemplant la mer et la faune depuis son fauteuil en rotin délavé. Engoncé dans ses souvenirs, Tom Kettle ne s'attendait pas à la visite de deux policiers venus lui demander son avis sur un ancien dossier d'abus sexuel au sein de l'Eglise en faisant ressurgir ainsi un passé douloureux qu'il tente d'occulter ce d'autant plus que l'affaire a été enterrée. Mais difficile d'effacer les années de maltraitance des prêtre de l'orphelinat et surtout les viols successifs dont June a été victime lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Et ce nom du bourreau qui revient sans cesse : le père Matthews dont on a retrouvé le corps dans les landes. Et tandis qu'un témoin affirme qu'il était présent aux abords des lieux du crime, Tom Kettle passe soudainement du statut de consultant au rôle de suspect.

Avec Au Bon Vieux Temps de Dieu il n'y aura pas à proprement parler d'enquête policière mais une plongée assez immersive dans les pensées de Tom Kettle se remémorant, d'une manière quelque peu chaotique, le courant de sa vie déclinante au seuil de la vieillesse, en convoquant quelques fantômes qui semblent l'accompagner en permanence. Situé à la période des années 90, au moment où une commission d'enquête faisait la lumière sur la situation endémique des abus sexuels au sein des institution catholiques du pays, Sebastian Barry aborde donc ce sujet sensible avec une délicatesse saisissante, en évoquant plus particulièrement cette loi du silence qui protégea les diocèses durant tant d'années ainsi que les meurtrissures des victimes mais également des proches qui ne se sont jamais remis de ces événements tragiques. Il faudra donc tout d'abord dompter ce flot de souvenirs submergeant un Tom Kettle désarçonné dont la raison oscille entre sa projection de la réalité et les faits qu'on lui rapporte tandis qu'il se remémore les circonstances terribles de la disparition de ses proches dont il distingue portant la présence dans ce cadre magnifique de Dalkey que Sebastian Barry dépeint avec la pointe de nostalgie émanant d'un lieu qu'il a fréquenté durant son enfance. Une fois que l'on a dompté le mode de pensée de Tom Kettle, on se laisse littéralement emporter dans le courant de cette écriture au lyrisme envoutant pour s'insinuer au coeur de la trajectoire de ce policier vieillissant qui remet à jour les fragments d'une mémoire défaillante. C'est ainsi que l'on prend la pleine mesure de ce scandale dont Sebastian Barry se garde bien de nous en faire l'étalage sordide pour se concentrer sur la douleur des victimes et de leur entourage en faisant également ressurgir cette colère sourde qui imprègne l'ensemble du texte avec cette certitude foudroyante que rien ne pourra jamais être réparé et dont il ne reste qu'à en faire le compte-rendu pour mettre à jour des décennies de souffrance. Et malgré cette douleur sous-jacente, il émane de ce roman une beauté indicible qui nous saisira tout au long de cette lecture éprouvante s'achevant de manière magistrale sur une scène aux contours surréalistes à l'image d'un récit à la fois flamboyant et mélancolique. Sebastian Barry incarne sans nul doute cette magie de l'écriture.


Sebastien Barry : Au bon Vieux Temps de Dieu ( Old God's Time). Joëlle Losfeld Editions 2023. Traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux.

A lire en écoutant : Kol Nidrei, Op. 47 de Max Bruch - Steven Isserlis, Olivia Jaggeurs et Connie Shih. Album : A Golden Cello Decade, 1878-1888: Dvorák, R. Strauss, Bruch, le Beau. Steven Isserlis, Connie Shih. 2022 Hyperion Records Limited.
Lien : http://www.monromannoiretbie..
Commenter  J’apprécie          141
Depuis sa retraite, Tom, ancien inspecteur, vit quasiment en ermite en bord de mer avec pour compagnie ses souvenirs. Sa tranquillité va être bouleversée quand des policiers viennent solliciter son aide sur une enquête.

Avec une immense finesse, Sébastien Barry nous parle du pouvoir de l'Église catholique en Irlande, des abus sexuels et des traumatismes infligés à un nombre incalculable d'enfants.

Il saisit les émotions et les profondeurs d'un homme solitaire qui souffre depuis longtemps.

Une histoire remplie de perte, de traumatisme et de chagrin, mais magnifiée par la beauté d'un amour inébranlable.

Un roman dans lequel rien n'est tout à fait ce qu'il paraît comme les histoires que nous nous racontons pour tenir le coup, comme le pacte que nous concluons avec nous-mêmes pour laisser derrière les souvenirs nuisibles.
Commenter  J’apprécie          100




Lecteurs (312) Voir plus



Quiz Voir plus

Quiz de la Saint-Patrick

Qui est Saint-Patrick?

Le saint patron de l’Irlande
Le saint-patron des brasseurs

8 questions
253 lecteurs ont répondu
Thèmes : fêtes , irlandais , irlande , bière , barCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..