Résurrection de Léon Tolstoi, un nouveau genre russe à la française

Je sais gré à Veronika Altashina, docteur es lettres, professeur à l'université d'Etat de Saint- Petersbourg, écrivain, de se pencher sur cette tâche ardue qui est d'apporter un peu de lumière sur le dernier grand roman de Tolstoi qui s'entoure encore de points d'ombre eu égard aux projecteurs des biographes qui abondent très largement sur le reste de son oeuvre dont Anna Karénine et Guerre et Paix. Je précise avant toute chose que Résurrection était l'oeuvre à laquelle son auteur tenait le plus à son coeur.

Je ne me dois pas d'en définir le genre puisque Veronika reste approximative à ce sujet. Peut-être pencherais-je pour un roman de moeurs, voire testamentaire ? En tout cas, par sa longueur de 800 pages, ses 7 remaniements de brouillon, plus une ébauche de 150 pages intitulée un Cas de conscience, et par son effet direct qui lui valut d'être excommunié par l'Eglise, on mesure tout de suite chez l'auteur qui a alors la soixantaine consommée, l'intérêt qu'il y porte. Cela d'autant que la cause à agir part d'un sentiment rédempteur, comme il l'avoua à un ami qu'il se devait de réparer par le haut si je puis dire le geste coupable de séduire une bonne lors d'un séjour chez des tantes. Certes l'infortunée y avait consenti mais c'est la suite qui ne fut pas glorieuse puisqu'elle fut pour cela congédiée sans que l'écrivain ne levât le petit doigt pour amender cet abus.

Comme quoi dans la vie, tout ce que nous sommes nous les hommes il vaut mieux le moment venu nettoyer ses écuries d'Augias plutôt que de mettre à bout sa conscience pour le restant de sa vie. Il n'y a sans doute que les salopards qui n'ont pas de remords. Et quand on est écrivain comme Tolstoi c'est vraiment à la mesure d'un grand effort sur soi-même qu'on parvient à exhumer des souvenirs encombrants.

Veronika écrit que : « après sa crise de 1870, Tolstoi récuse toute son oeuvre romanesque antérieure ». Sa crise selon moi est plus diffuse déjà, et on la repère naissante lors de l'élaboration de Guerre et Paix, à mi-chemin, et il dénoncera dès 1859 la même chose en substance, après l'écriture du Bonheur conjugal.

Veronika fait un parallèle entre les 3 romans : Candide de Voltaire, Justine, les Malheurs de la vertu De Sade et Résurrection de Tolstoi. Ce point de vue original vers l'introduction du mal, vers la nature et les conditions sociales qui forgent le tempérament humain, je l'approuve sans réserve particulière ou du moins j'en apprécie l'étude. La résurrection est possible à condition d'être confronté au mal, à l'expérience acquise. Les événements s'enchaînent dans les trois romans dès lors que le rapport de causalité prend effet.

La nouveauté de Résurrection pour la professeur est l'envergure de son enquête-réquisitoire qui se déploie dans tous les pans de la société. La vue en est panoramique. le choix des 3 prénoms immaculés de femmes que sont Candide, Justine et Katioucha n'est évidemment pas le hasard et permet de montrer de manière privilégiée tout le mal inhérent à la société, génèré essentiellement par des hommes. Cette introduction du mal dans la société comme élément inévitable, voire naturel, provoque la religion dans son essence même. C'est toute la société qui est bâtie sur des faux-semblants et le mensonge. La diversité des 3 auteurs à cet égard que sont Voltaire, Sade et Tolstoi les place toutefois dans un tronc commun qui est la défausse des valeurs par le mal ou la transgression comme on voudra qui arrive finalement à un résultat sympathique qui est celui d'émettre un véritable esprit critique.

Merci de tout coeur Veronika d'aller plus loin avec vous dans la connaissance du grand romancier russe et de mieux appréhender le dernier pavé de son oeuvre littéraire. Je dis pavé parce qu'il ne faut pas oublier Hadji Mourat ce joyau qui paraîtra 3 ans plus tard et dont je recommande la lecture à tous.