Cette semaine, "La Grande Librairie" se tient à Strasbourg, en public, dans l'enceinte de la Bibliothèque nationale et universitaire. La ville vient d'obtenir, pour une durée d'un an, le label "Capitale mondiale du livre UNESCO". Augustin Trapenard accueille Paolo Rumiz, pour "Chant pour Europe", publié chez Arthaud ; Olivier Guez, pour "Le Grand Tour Autoportrait de l'Europe par ses écrivains", paru chez Grasset ; Annick Cojean, pour "Nous y étions", édité chez Grasset ; William Marx, pour "Un été avec don Quichotte", paru aux Editions des Equateurs. La journaliste Florence Aubenas et le compositeur et écrivain Abd al Malik sont également présents.
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La littérature est un combat permanent contre le silence, dont elle prétend restreindre l'empire en étendant le domaine de la représentation. Dans cette histoire des progrès de l'écriture et de la pensée, Don Quichotte occupe une place que nul ne lui peut ravir. Sa beauté et sa force consistent à faire droit à tout ce qui forme un être humain : l'idéal, l'amour, le politique, l'économique, le social, l'expérience des minorités - et aussi le physiologique. C'est un livre décidément, sur tout.
Or, ce qui est vrai de la tragédie l'est aussi de la littérature en général. Aucun discours ne peut rendre compte de sa force épiphanique ou de sa forme. On ne peut parler des livres que l'on a lus : on peut dire l'émotion qu'ils donnent, les décrire et décrire leurs alentours (historiques, culturels, sociaux etc.), mais eux-mêmes restent inaccessibles. L'oeuvre de l'art le plus élevé est une machine à bloquer l'interprétation définitive - ou à multiplier les interprétations provisoires, ce qui produit le même résultat.
Rire de l'existence plutôt que d'en pleurer : telle est aussi la leçon que nous donne Cervantès. Elle est assez rare de nos jours pour quelle vaille d'être entendue en ces temps plombés par l'esprit de sérieux, sinon par un sentiment de tragique.
Par le miracle de la lecture, le sens de l'œuvre change à chaque époque, et le roman de Cervantès devient un livre proprement infini.
A défaut de tout autre, la littérature est le point fixe autour duquel on peut structurer sa vie.
Que nous fait la tragédie grecque ? Rien : elle nous est totalement étrangère. Elle devrait nous l'être. Et pourtant, contre toute attente, elle n'en continue pas moins de nous toucher et de nous transformer.
Diogène Laërce rapporte que, dans sa jeunesse, Platon "écrivit des poésies, d'abord des dithyrambes, puis des poésies lyriques et tes tragédies". Un jour, "tandis qu'il s'apprêtait à concourir pour la tragédie, il entendit Socrate et brûla ses poésies devant le théâtre de Dyonisos". Alors âgé de vingt ans, il décida de consacrer le reste de son existence à la philosophie. Tel fut le premier adieu à la littérature dont on ait conservé la trace. Tel fut le premier autodafé de poésie, par les mains du prince des philosophes. Claire est la leçon : poésie et philosophie ne sont pas compatibles, mais c'est parce qu'elles se disputent les mêmes pouvoirs, les mêmes territoires - et les mêmes hommes.
Une chose est certaine : quoi que l'on puisse dire et écrire du Quichotte (et j'espère en dire beaucoup et en révéler bien des facettes ignorées), et même s'il fait partie de ces œuvres qu'on connaît sans les avoir lues, on est éternellement voué à rester en deçà. Ce livre nous débordera toujours : c'est le propre des plus grands d'entre les chefs-d'œuvre. Rien ne remplacera la lecture elle-même, le contact intime avec le texte.
Je pense que ce discours sur la mort de la littérature est un discours assez permanent. L'expression "haine de la littérature" a été forgée par Flaubert, par Zola précisément, pour parler de la façon dont leurs oeuvres étaient reçues à cette époque. La littérature est toujours d'une certaine manière minoritaire, une partie de la littérature est toujours en opposition avec la société.
Qu'appelle-t-on image en littérature ? Des mots, des simples mots. Mais des mots en capacité de se lier à une vision, à évoquer une configuration déjà connue dans la réalité, ou bien susceptible plus tard d'être reconnue si jamais l'on y était confronté.