Ecrire ou vivre, mais elle n'avait jamais eu l'option de vivre. Elle écrivait déjà parce qu'elle ne pouvait s'empêcher d'être vivante. Il fallait bien être quelque chose ou quelqu'un. Elle écrivait pour échapper à une vie qu'elle ne pouvait mener, qu'elle n'avait pas choisie, qui ne l'avait pas choisie. Des mots d'écorchée vive, des mots pour ne plus crier? Et écrire encore - pour exister, dans le néant, ou disparaître, dans l'être, ou le mouvement de l'un à l'autre.
Il faut persévérer jusqu'au silence
où tout est dit
Brûler entièrement
une présence qui se fuit
Casser les mots
Ne pas laisser de cendres
Attendre
Déshabiller les paroles
Inventer un poème vivant
un poème à capture quantique
qui capturerait les pensées aléatoires
les mots de l'endormissement
le quantique contre l'antique
une façon de quantifier le quantique.
"Il semblerait que la femme que j'étais alors, excusât jusqu'à ses détracteurs, à condition qu'ils soient intelligents. Ce trop d'intelligence que j'en avais les absout d'office ou s'en vient à les dissoudre, y compris ceux qu'il nous faudrait abattre pour retrouver une certaine liberté ou une certaine folie. Cette pensée singulière m'émeut au plus profond, comme si mieux valait un ennemi intelligent qu'un allié stupide, ou simplement affectueux."
Le soir tombait sur la petite ville de Westwood. Le vent était doux, et la lumière légèrement rosée du crépuscule donnait un air féérique aux rues pavées de frais, aux murs de pierre ou de briques. Gabriel
marchait d'un pas nonchalant dans le quartier nord, le plus cossu de tous, sans même savoir où ses pas le
menaient.
Au premier coup d'oeil, Westwood semblait être une ville heureuse, mais en y regardant de plus près,
beaucoup d'anomalies s'y produisaient, surtout depuis qu'il n'y avait plus d'éducation, plus de bibliothèque,
et que très peu de centres de loisirs parvenaient à subsister. Les seuls qui aient survécu étaient ceux
rattachés à la Nouvelle Eglise, arrivée en même temps que les derniers envahisseurs, qui n'étaient par ailleurs pas plus vils ou intelligents que les précédents. Mais dans l'histoire certains cycles immuables resurgissent et cette fois-ci, ils avaient décidé d'implanter leurs idéaux ici.
Elle appelait
Sans voix
Dans le cyberspace
Sans toi
Les anges se tiennent là
Dit-il
Messagers
Des sphères
Cent voies
Sans traces
D'un clic
sans toit
Les être-là
de l'espace
S'espacent
L ou pas
«Ils passent, des groupes, des individus, sans une seule œillade de son côté. Personne ne s’arrête. Elle les regarde, et à leurs voix fortes, à leurs pas décidés, affairés, elle comprend enfin qu’elle est devenue INVISIBLE.
C’est un choc, un réveil violent.
Elle voit mais ne peut être vue. Un défaut d’existence, ou de substance, filtre à travers elle, à travers tout. Sa matière est devenue transparente, elle n’a plus prise sur la réalité. Elle n’existe plus. Sa vie a décollé de ses faits et gestes. Envolée »
Comme son titre l'indique, ce livre est l'histoire d'une femme invisible. Si invisible au monde, en fait, qu'elle en est pour ainsi dire absente. Les gestes de la vie quotidienne se déroulent pour elle sans passion malgré l’amour qu’elle a pour ses quatre enfants.
Un jour, elle découvre cette terrible invisibilité qui la frappe. Elle découvre qu’elle mène une existence dénuée de substance et de sens et cette découverte la mène à la dérive.
Confrontée à sa propre vacuité, elle décide d’écrire. Petit à petit son esprit se délite, jusqu’à l’issue fatale …
Par moments, ce livre m'évoque « L’Etranger » de Camus dont il emprunte le style fluide et froid, le tragique banal ou la banalité du tragique. Sous-jacent le mythe fondateur de l’infanticide, cette Médée moderne. Ou de l’inconvénient d’être né (Cioran).
Du très grand art, qui possède sa cohérence propre sous le fragmentaire.
La vie en soi, nous dit Tina Noiret, est une erreur.
Mais sous cette première lecture il y en a peut-être une autre, en filigrane. C’est de l’invisible et d’une expérience mystique dont il s’agit ici.
Message finalement codé qui fait à la fois la grandeur de ce livre et celle de son auteur.
« Pour Chantale, l'émancipation était d'abord économique. L'amour sous toutes ses formes était une aliénation, le début de la fin, de la faim sous toutes ses formes pour une femme. Le travail était le seul salut, et l’argent gagné la seule absolution possible pour vivre libre, un semblant de liberté dans un monde aliéné toujours misogyne au fond. Travailler, gagner son pain, même péniblement mettait à l’abri du malheur.»
On ne choisit pas la folie. Pas vraiment. On vous force à trouver en elle la seule issue, la délivrance. Le seul, le dernier refuge qui enferme.
Elle ne fait pas la prière, signe qu’elle a renié dieu. Un dieu sans traces, invisible comme elle, mais qui arrange tout dans bien des cas. La mort par exemple. L'éternité, autre exemple. Après tout, aussi invisible qu'elle-même. Dieu, si l'on y songe un instant, c'est peut-être elle, a-t-elle envie de crier en passant devant les 343 lieux de culte de sa commune. La plupart se cachent derrière des portes closes, des rideaux épais. Dieu, c'est moi ! Rien qu'à imaginer leurs têtes, elle rit.
La divine Alexina rit aux éclats.