Tate James

- Je suis venue… m’excuser. Pour avoir essayé de te tuer. Mais pour ma défense, je croyais que tu étais cette salope qu’est ta mère.
- Ces excuses sont terribles, lui dis-je avec un visage neutre. Est-ce que ce sont vraiment des excuses ?
La vieille femme renâcla, indignée, et se leva de son siège avant de déclarer : - Eh bien, tu n’auras pas mieux ! Bonne nuit.

« — Le premier qui arrive gagne ! criai-je, le dépassant en courant.
Il me suivait de près, j’avais ajusté ma vitesse pour qu’elle ne paraisse pas surnaturelle, mais je battis tout de même mon ami avec une bonne longueur d’avance. Quand il arriva, essoufflé, j’étais perchée sur un rocher qui surplombait le bassin profond au pied de la cascade majestueuse. Caleb me rejoignit et observa l’eau limpide.
— C’est magnifique, n’est-ce pas ? dis-je en le regardant observer l’eau en contrebas, tandis qu’il murmurait son approbation. Et c’est profond. On vient souvent nager ici en été, donc ne t’inquiète pas, il n’y a pas de rocher submergé ou quoi que ce soit.
— Pourquoi est-ce que ça m’inquiè… commença-t-il, confus, en fronçant les sourcils.
J’interrompis sa question innocente en le poussant dans le bassin. Il refit surface en toussotant, me jurant de prendre sa revanche. J’en conclus donc que l’eau devait être froide. »

Il m’avait raconté à l’époque que l’intimité d’une chambre seule me ferait me sentir plus en sécurité, mais je le soupçonnais d’avoir ressenti une bonne dose de culpabilité pour m’avoir envoyée à l’internat seulement six mois après mon adoption. Non pas que je lui en tienne rigueur, c’était un homme très important et la routine père-fille ne nous convenait pas vraiment. Nous avions fini par nous accorder sur une sorte d’amitié, ou tout du moins ce qui se rapprochait d’une relation avec un oncle aimant. Il avait contourné les lourdeurs administratives de l’adoption en apportant des « preuves » de notre lien de parenté. Son poste haut placé lui accordait une certaine indulgence sur ce genre d’affaires, mais c’était grâce à cette position que je me sentais en sécurité sous sa supervision.

« — Il fallait que je bouge, me défendis-je, avant même qu’il ne dise quoi que ce soit. Une bagarre a commencé juste devant moi, je ne voulais pas me faire piétiner !
Il m’observa encore un long moment, puis me choqua complètement en me serrant fort dans ses bras.
— Ne me refais jamais une telle frayeur, la renarde. Je suis allé récupérer mes affaires et tu avais disparu… Il y a des gens vraiment dangereux ici ce soir, murmura-t-il sans me lâcher.
— Je suis désolée, couinai-je en posant ma main sur son épaule. Je pensais être de retour avant que tu ne le remarques.
Il continua à me serrer dans ses bras pendant encore une seconde, son corps chaud et couvert de sueur trempant mon pull, puis me lâcha doucement. »

Depuis mes onze ans, je pouvais guérir de n’importe quelle blessure. Le truc, c’était que je ne pouvais pas le faire sur commande. Cela ne semblait fonctionner que lorsque j’éprouvais une émotion forte, comme la peur ou l’excitation, deux émotions dont mes escapades criminelles ne manquaient pas.
Malheureusement, si je ressentais la même chose sans avoir de blessure à guérir, je me retrouvais souvent au bord de la surcharge d’adrénaline, à moins de pouvoir la dépenser en m’épuisant. Et ma capacité à « guérir prodigieusement vite », comme le disait Lucy, s’accompagnait également d’une force et d’une rapidité peu communes.

N’ayant plus rien à perdre, je traversai d’un bond la distance qui me séparait encore de la vitrine. Le bijou qui l’occupait était une bague sertie d’un diamant jaune canari disproportionné, entouré de plus petits diamants vert chartreuse, le tout sur un anneau incrusté de saphirs roses. Le résultat final donnait mal à la tête, mais qui étais-je pour dire aux riches qu’ils avaient mauvais goût ? D’ailleurs, je me demandais souvent combien d’entre eux gaspillaient délibérément leur argent dans des objets à l’élégance douteuse mais au prix exorbitant, juste parce qu’ils en avaient les moyens.

Me retrouver si proche de deux hommes aussi beaux me picotait la peau, je décidai donc d’adresser un signe de tête poli au directeur ainsi qu’un petit sourire aux nouveaux étudiants avant de les guider hors du bureau.

Les renards sont des animaux nocturnes, c’est plutôt rare de les voir dehors en pleine journée. Et c’est encore plus rare quand il y a des gens autour. J’espère qu’il va bien…
Je devrais peut-être lui apporter un peu de nourriture. Ce serait malpoli de ne pas le faire étant donné que j’utilise son image pour mon identité secrète, le Renard. J’imaginais que la faim était la raison principale pour qu’un animal aussi craintif sorte en plein jour. Alors que je réfléchissais à ce que mangeait un renard, je fus interrompue par un bâillement exagérément long.

Et mes propres talents… Je souris. Dans un océan de personnes riches et belles, je ne sortais pas du lot, et je me servais de cet anonymat. J’adorais être une contradiction vivante.

Je lui adressai mon sourire le plus innocent, puis les deux jeunes hommes se levèrent avant de se tourner vers moi. J’en restai bouche bée. Caleb et Austin étaient des jumeaux, apparemment identiques à tout point de vue, mais ils étaient surtout les hommes les plus beaux que j’avais vus depuis longtemps. Non, les plus beaux que j’avais jamais vus, en fait.