Bande-annonce de Micmac à Bucarest
Vous n'êtes que des [...]. Des pions manipulés par le Capital, acceptant de vivre dans des sociétés où les objets ont pris plus de valeur que les gens !
(p. 115)
Février 2017
Malgré un froid à pierre fendre, nous tenons bon. L’immense place de la Victoire est pleine à craquer et des centaines de milliers de corps emmitouflés frémissent à l’unisson dans cette nuit glacée. Jamais, depuis décembre 1989, autant de Roumains ne sont descendus dans la rue. Il aura fallu attendre qu’une parodie de gouvernement fasse voter en catimini un décret d’urgence dépénalisant plusieurs délits de corruption pour que le vase déborde. Chaque soir depuis une semaine, partout à travers le pays, une foule excédée se rassemble pour crier sa colère sous un seul mot d’ordre : #REZIST.
L’ambiance est bon enfant. On offre des fleurs aux gendarmes. On distribue des boissons chaudes à des inconnus. On crée, à qui mieux mieux, des slogans percutants.
Assisterait-on enfin au réveil d’une conscience civique en Roumanie, bientôt trente ans après la fin de la dictature ?
Rien n’est moins certain.
Oui, parce qu'attention, la playlist de cette petite rave urbaine a été concoctée avec soin par Constantin soi-même et je peux vous garantir que ça dépote: Cotton Eye Joe, hung up, Dragostea din tei... et là, cerise sur le gâteau, I Will Survive de Gloria Gaynor ! Vous me direz, cette chanson a bien servi d'hymne quasi national à la France lors de la Coupe du monde de foot en 1998 alors qu'elle n'avait pas grand-chose à voir avec le ballon rond. Pourquoi dès lors ne pas la diffuser au cours d'un enterrement ? je vous le demande !
(pp. 9-10)
Tandis que cette année [2018] encore, des centaines de milliers de Roumains désabusés quittent le pays pour aller tenter leur chance ailleurs, Arthur Weber décide, lui, de s'y installer et d'y fonder un foyer.
(p. 13)
[...] les services de l'Institut culturel roumain, ou ICR pour les pressés, sorte de machin ayant à peu près l'âge du téléphone que je viens de glisser dans ma poche [Nokia] et ayant pour mission principale d'assurer le rayonnement culturel de ce cher pays. Comme toute institution publique qui se respecte sous ces latitudes, elle est davantage connue pour ses douteuses accointances avec la sphère politique que pour l'efficacité époustouflante de ses actions.
(p. 149)
Dans la physionomie de ces deux gardes du corps, autant d'angélisme que de probité dans les comptes de n'importe quelle institution publique de Roumanie. Et côté discrétion, on est plus proche d'un concert de Rammstein que de Carla Bruni !
(p.76)
Ces quelques heures à Bucarest m’ont largement suffi pour constater de nouveau, et avec regret, que cette ville est toujours d’une étonnante fidélité à elle-même : tumultueuse, désordonnée, inclassable, épuisante, et par-dessus le marché, peuplée de près de deux millions d’habitants à son image.
— Nous n’avons retrouvé aucun téléphone cellulaire sur Denis Haiducu. C’est tout de même étonnant, vous ne trouvez pas ? Surtout en Roumanie où tout le monde en a au moins deux.
La Guerre Froide a laissé des traces indélébiles sur notre continent. Y compris dans le domaine de l’humour ! Quand j’étais plus jeune, après la chute du Mur de Berlin, je pensais qu’en quelques années cette cicatrice disparaîtrait, qu’il nous suffirait d’apprendre à nous connaître, que je pourrais, par ma double culture, contribuer à ce remaillage européen. Mais ces retrouvailles ont tardé et j’ai dû vite abandonner cette présomptueuse ambition d’édifier mes contemporains.
— Quatre avril 1944. Une pluie de bombes américaines s’abat sur Bucarest. Boum ! Boum ! Boum !
[...]
— Les Amerlocs balancent leurs pruneaux sans pitié sur la populace. Z’aviez qu’à être du bon côté ! Trois mille refroidis ! Le Guernica roumain ! Et au milieu de ce charnier, le corps sans vie du saltimbanque. Finie la rigolade ! Fini de pousser la chansonnette ! Le couperet tombe sans prévenir et n’épargne jamais personne. Même le meilleur des clowns !