Notre responsable communication ne faisait finalement que générer du vent, de façon si intense parfois que nous l'appelions l'éolienne entre nous.
Pourtant, je n’avais qu’une envie : refuser l’obstacle. Prendre mes jambes à mon cou, remonter chez moi pour remplir mon sac, saisir mon passeport et commander un taxi, direction Roissy Charles de Gaulle. Fuir l’ordre établi en échange d’une destination au hasard, tel un fantasme absolu de reconquête de liberté. Partir, s’enfuir, s’arracher et s’accorder le droit de ne rendre aucun compte. À personne. Puis sentir l’avion quitter le sol. Passer au-dessus des nuages et tutoyer le soleil levant. Cela devait être si bon de briser ses chaînes ainsi. Si puissant.
J'avais surtout l'impression en les entendant qu'ils ne supportaient pas que j'ose faire ce qu'eux étaient incapables d'entreprendre. Et que si je franchissais le pas, ça les renvoyait direct à leurs propres renoncements et à leurs propres chaînes.
Pour la plupart de mes contemporains, un crédit à taux réduit et l'accès à la propriété étaient l'horizon désirable d'une vie de consommation. Une vie sans échappatoire, en somme. Quiconque se trouvait ainsi assujetti à la conservation d'un logement acheté à prix d'or ne voyait ensuite plus aucun de ses réveils lui appartenir. La "Matrice" le savait : bosser afin de rembourser sa dette transformait immédiatement tout citoyen en ressource humaine obéissante et sous contrôle. Il est vrai que dans ce monde, les gens ayant trop à perdre ne faisaient jamais les révolutions.
Passer une nuit dans le train était une expérience fascinante : le voyageur s'endormait en un point du globe et le temps d'une sieste, il ouvrait les yeux à mille lieues de là.
Ne plus concevoir aimer les fringues sans se croire obligé d'en faire un blog, ne plus pouvoir apprécier la bonne bouffe sans publier son bœuf bourguignon sur Instagram, ne plus imaginer voyager sans en faire une chaîne YouTube et mettre son grain de sel sur Tripadvisor : dans les prisons de nos existences vouées à l'autopromotion permanente, le smartphone en était devenu les barreaux.
Blondin avait raison, le monde se divisait bien en deux catégories, ceux qui possédaient un pistolet chargé et ceux qui creusaient. Alors, ne pouvant pas échapper aux lois du monde, il fallait m'y résoudre : tant qu'on me le demanderait, moi, je creuserai, l'habitude ayant eu raison de mes velléités à fuir la secte des creuseurs de tombes.