Robert Macfarlane est un l'un des plus grands explorateurs de ce siècle. Depuis 20 ans il arpente le monde, au sommet des montagnes, sur les chemins et dans les profondeurs de la Terre. de ses nombreuses expéditions il a tiré des récits, célébrés comme des chefs-d'oeuvre de la littérature de voyage.
Dans cet entretien,
Robert Macfarlane nous raconte la première fois qu'il est parti marcher, ce qu'il ressent lorsqu'il est sur la route. Il se remémore les endroits les plus dangereux qu'il a visités, ceux où il aimerait aller et ceux qui le hantent encore.
Son livre «
Par les chemins » est un éloge de la marche et un puissant appel au voyage. Découvrez-le par ici : https://arenes.fr/livre/
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Entretien mené par Flore Gurrey, éditrice aux Arènes.
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En haute montagne, la vue est le seul sens qui nous reste : les autres sont abolis. Le froid engourdit le toucher, l'altitude supprime l'odorat, les papilles gustatives sont affaiblies et aucun son n'est perceptible sinon celui de voir respiration. La vie devient bizarre : sans yeux, on ne peut pas repérer les traînées de cirrus qui annoncent peut-être un orage, ni poser méthodiquement un pied devant l'autre pendant une tempête de neige, ni surtout admirer la vue - or c'est sans doute pour elle que vous avez grimpé jusqu'à ces hauteurs célestes et périlleuses.
Les « pistes de rêve » suivies par les Aborigènes d’Australie font également converger la marche, le savoir et la mémoire. Selon cette cosmogonie, le monde fut créé durant le « temps du rêve » : les Ancêtres, émergeant des profondeurs de la Terre, ont découvert à la surface un terrain noir, plat et sans âme. Ils se sont mis à parcourir ce non-lieu et, ce faisant, ont brisé la croûte de la Terre et libéré la vie qui sommeillait juste au-dessous. C’est ainsi que leurs pas ont fait naître le paysage.
Avec les montagnes, l'écart - l'ironie - entre l'imaginaire et le réel peut être suffisamment large pour tuer.
Ce livre tente d'expliquer comment une telle chose est possible, comment une montagne peut parvenir à "posséder" si totalement un être humain, comment peut naître un attachement si extraordinaire pour ce qui n'est, après tout, qu'une masse de rochers et de glace. Voilà pourquoi il examine non pas comment les gens ont exploré les montagnes, mais comment ils ont imaginé qu'ils le faisaient, comment ils les ont ressenties et perçues. Voilà pourquoi il ne se préoccupe pas de noms, de dates, de sommets et d'altitudes, comme les histoires classiques de la montagne, mais de sensations, d'émotions et d'idées. Ce n'est en fait pas du tout une histoire de l'alpinisme, mais une histoire de l'imagination.
Dans l’Antiquité, les érudits irlandais étaient réputés pour leur pratique de la « navigatio », […] voyage entrepris en bateau, itinéraire circulaire de l’exode et du retour. […] Il s’agissait d’apprendre à repérer les signes de l’étrangeté afin d’être plus attentif aux significations de son propre temps et de son propre environnement – géographique, spirituel, intellectuel.
Les mots « pèlerin » et « pèlerinage » sont aujourd’hui, en tout cas pour le profane, entachés d’une piété ennuyeuse. Pourtant, les gens que j’ai rencontrés au cours de mes promenades étaient des improvisateurs aussi modestes qu’inspirants. Tous attendaient de la marche qu’elle donne un sens à leur existence ; certains très simplement, d’autres de manière plus complexe ; certains pour un moment, d’autres pour la vie.
Il nous manque – il nous faudrait – un mot pour désigner ces lieux où l’on fait l’expérience d’une « transition », du passage d’un paysage connu à « la face cachée de la Lune » que mentionnait Burroughs, ou au « pays nouveau » que décrit Hudson, ou à l’« autre monde » qu’évoque Berry : un lieu où l’on ressent, où l’on pense de manière sensiblement différente.
Ce que nous appelons un montagne et donc, en réalité, une collaboration entre les formes physiques du monde et l'imagination des humains : une montagne mentale.
Ils étaient alors à mes yeux les voyageurs idéaux, impassibles face à l'adversité et d'un naturel sans prétention. Je voulais leur ressembler.
Si vous avez déjà vu des empreintes de lapin sur la neige, vous savez qu’elles ressemblent à un masque de fantôme, ou au visage du crieur d’Edvard Munch : les deux pattes arrière, bien parallèles, forment deux yeux oblongs ; juste en dessous, légèrement décalées, les pattes avant dessinent un nez et une bouche ovale. Ces milliers d’yeux creusés dans la neige m’observaient.
Les humains sont des animaux, et comme tous les animaux ils laissent des empreintes en marchant ; des signes de leur passage sur la neige, le sable, la boue, l’herbe, la rosée, la terre ou la mousse. La langue de la vénerie dispose d’un terme particulier pour désigner ces marques : les « voies ». Les « voies » d’un animal permettent de suivre sa piste. Nous avons tendance à oublier que nous laissons des empreintes, nous aussi : la plupart de nos déplacements s’effectuent désormais sur du béton ou de l’asphalte, deux matières qui résistent à l’impression.