Son entière existence de misère et de solitude défile dans sa conscience, et Edmond a ce sentiment qu’on ferme et cloue le sarcophage dans lequel on enterre son existence. Plus jamais d’amie. Plus jamais de lumière. Mille fois cet instant repassera en boucle dans sa tête au fil des années de misère qui s’accumuleront comme les grains d’un sablier qui ne peut être retourné.
Edmond n’a peut-être pas un âge avancé, ni l’expérience qu’il faut pour comprendre ces choses dont les adultes parlent parfois. Cependant, s’il est une vérité dont il est persuadé, c’est que le mensonge est un coffre dans lequel on emprisonne le secret – coffre dont lui seul possède une clé de rechange.
− Ta marraine nous a dit que tu étais gravement malade, commente Géraldine. Tu n’es pas malade du tout, Edmond. Tu es sensible, c’est tout. Tu vois avec ton cœur.
Le garçon hoche la tête, toujours détourné.
− Parfois, j’aimerais voir avec mes yeux, comme tout le monde.
À l’ingénuité fragile de l’enfance
Qui s’éloigne à regret vers l’azur délavé,
Sans être retenue, sans la moindre défense,
Humblement, je dédie ce conte dépravé.
L.P. Sicard
− Ça doit être vraiment difficile, être aveugle.
− C’est moins pire que tu le penses. Quand tu vois ce qu’il y a autour de toi, tu choisis rien : les choses sont comme elles sont. Moi, je peux imaginer ces choses comme je le veux. En ce moment, tu m’observes peut-être avec une grimace. Mais dans ma tête, tu me souris.
Les douleurs nous définissent bien plus que les joies ; nous sommes le résultat de nos échecs, de nos peines et de nos blessures.
- Tu croyais que je venais te sauver ? Ah ! Tu croyais que ton prince charmant viendrait te sortir de l'enfer, t'emmener sur son cheval blanc et te fourrer dans une cabane romantique ? Je regrette, petite.
Dans un rire terrible, il lui envoie violemment sa botte dans les côtes, la faisant plier de souffrance.
Et moi je restai là, étendue dans mon abandon ainsi qu’en un cercueil, enveloppée de la noirceur pour seuls draps, nue et morte de l’intérieur.
La réalité me frappa alors comme l’éclair : où aller, maintenant ? J’avais, jusqu’à ce moment, été guidée d’une mort à une autre, mais s’il n’y avait plus une âme à assombrir, qui m’aurait indiqué le chemin ?
Sotte que j’étais, il en restait bien une !
La mienne.
Les rideaux brusquement écartés me font tout à coup reculer. Levant la tête, j'aperçois à travers la vitre sale un vieil homme coiffé d'un haut-de-forme d'une autre époque. Il me dévisage, un œil exorbité, l'autre presque clos ; ses lèvres sont crispées en un rictus effrayant. Je ne peux retenir ma gorgé d'être nouée par l'horreur que m'inspire ce visage : des cicatrices innombrables hachurent la peau livide. Ces marques de lacérations, méthodiques, alignées en accord avec les courbes de son visage, sont la preuve qu'elles ne sont sûrement pas le résultat d'un horrible accident.