Ce matin, minute après minute, je reprenais mes marques et je jubilais en répondant aux nombreux appels du lundi :
- Eh bien non, Gary n'est pas là aujourd'hui mais laissez-moi gérer votre problème.
Je retrouvais mon grade, mon pouvoir, mon univers. Celui que j'avais perdu quand cet enfoiré avait fait irruption dans ma vie. Je respirais, j'étais bien, enfin… Je me prenais même à rêver : et s'il ne revenait plus, et s'il avait trouvé un nouveau poste, et si…
Extrait de "Voile Gris" de Céline Fuentès
Comment avait-il pu passer à côté de tant de beauté? Il avait l'impression de se réveiller, de découvrir le bonheur de vivre. Ce décor était pourtant si simple! Il en était resté subjugué. Il connaissait ce jardin depuis toujours, mais aujourd'hui il pouvait apprécier sa beauté. L'émotion humidifiaut ses yeux.
Je le suivis dehors. J’étais beaucoup trop effrayée pour oser faire preuve d’une quelconque initiative. Le village que j’avais connu n’existait plus. Les maisons brûlaient, certaines n’étaient déjà plus qu’un tas de cendres. L’immense homme mit le feu à notre maison et avança vers le rivage. Je trottinai derrière lui essayant de suivre le rythme de ses grands pas en fixant son large dos. Je concentrai toute mon attention sur son dos afin d’éviter de voir les corps familiers jonchant le sol. Des éclats de rire provenaient de la plage contrastant avec l’image apocalyptique du village.
Une lueur automnale éclairait le salon désormais transformé en atelier. Durant l’été, les chansons du Grand Jacques provenant de la porte d’entrée laissée ouverte avaient attiré quelques curieux. Guidés par l’odeur du cigare, après quelques pas dans un couloir, ils découvraient alors sur leur gauche une pièce garnie de tableaux attendant un acheteur. Près de la fenêtre, avec vue sur le couloir, le peintre travaillait sur son chevalet. Peignant de sa main droite, fumant de sa main gauche.
- Je peux vous aider, mademoiselle, questionna-t-il.
Il essaya d'être poli, mais sa voix trahissait son énervement. Il avait horreur d'être observé. Il assimilait cela à du voyeurisme violant son intimité.
- Pourquoi toutes les peintures représentant l'automne sont lugubres ?
Jacque ne sut que répondre. Ses yeux s'étaient agrandis et sa bouche restait résolument fermée. Jamais on ne lui avait fait ce type de remarque.
Les Jacques sont des gens admirables… Jacques Brel à la chanson, Jacques Prévert aux rimes et moi, Jacques Muller aux pinceaux !
Le feu, les cris, la fumée. Terrée, terrorisée, incapable de bouger, l’homme immense avançait vers moi, une épée gigantesque à la main. Sa grosse main m’attrapa par le col de ma robe et me plaqua contre le mur du salon. Ses yeux effrayants regardèrent droit dans les miens.
Jacques était incrédule. Il n’avait pas souvenir d’avoir bu une seule fois dans sa vie du thé. Il n’était pas anglais et même s’il possédait un chat il ne pensait pas ressembler aux grand-mères racontant leurs ragots autour d’une théière fumante.