[...] elle répétait n'avoir pas partagé grand-chose avec lui, mais c'est le poids de ce qu'elle aurait pu partager qui l'écrase aujourd'hui.
Elle a toujours honte. Et lorsqu'elle appuie sur le bleu du souvenir, elle se saoule de peine.
Il parait que ce qui compte, c'est d'essayer. D'essayer encore et encore, de se relever lorsqu'on tombe, de batir des victoires sur ses échecs.
Grandir ne devrait pas signifier qu'on renonce aux petits bonheurs. Ça devrait signifier qu'on en découvre des nouveaux.
Ça devrait être si facile de répondre. Aisling sait, elle. Elle sait qui elle est et ce qu'elle veut. Elle est plus jeune, mais elle
a mille lieues d'avance sur Lucile, qui est encore prisonnière de ses peurs.
Ce sont ces peurs qui les séparent. Elles qui tricotent des nœuds avec les mots de Lucile pour les empêcher de sortir. Peur d'être vulnérable. Peur d'être rejetée. Peur d'être blessée. Peur de ne jamais être aimée. Peur de plein de choses. Le sang qui pulse contre les tempes et la tête qui tourne, Lucile vacille.
Après tout, s'enfuir a toujours suffi jusqu'à présent. Aussi bien pour elle que pour sa sœur, pour sa cousine, pour sa mère, pour son père, pour ses grands-parents, pour toute sa famille. Personne ne lui a appris la confrontation, la vraie, celle qui mène au dénouement. Salomé n'est même pas sûre
que ça existe, un dénouement. Elle ne connait que la fuite perpetuelle.
Alors, elle court.
Parapluie en main, les pieds mouillés à cause de ses tongs, elle longea la promenade qui courait au bord de l'océan, soudain euphorique. Elle n'avait rien à faire. Elle n'était pas pressée. Pas de devoir à rendre, pas de covoiturage à attraper, pas d'amis à écouter, pas de sœur à surveiller, pas de parents à réconcilier. Elle était libre.
Au loin, la mer est bleue, elle aussi, bleue comme ces souvenirs d’été qui s’entrechoquent et qui se superposent, grande mosaïque mouvante, en perpétuelle reconstruction.
Parce qu’il y a des gens qu’on ne veut pas laisser s’échapper. Même quand ils nous on fait du mal, même quand ils ont commis les pires erreurs. Parce qu’on sait que ces gens-là ont un bon fond et qu’on les aime. Parce qu’on a envie de renouer. Parce qu’on sait que ça peut valoir le coup. Même si on risque de se tromper. On prend, ce risque. On le prend, car la vie est trop courte pour les regrets.
– Grandir ne devrait pas signifier qu’on renonce aux petits bonheurs. Ça devrait signifier qu’on en découvre des nouveaux.
– Je crois qu’on a grandi de travers.
– Non. Je crois qu’on a grandi entourées de travers.