Jungeun Yun

— Vous savez ce qu’il y a de mieux, quand on écrit de la poésie ?
Jieun se mordille la lèvre inférieure en réfléchissant à la question.
— Hmm… Le fait de pouvoir exprimer ses sentiments avec des mots ?
— Bien sûr, ça aussi c’est bien. Mais ce que je préfère, c’est que si ce qu’on écrit n’est pas bien, on peut recommencer. J’écris mes poèmes au crayon sur un cahier, et si je ne suis pas satisfait, ou si je me trompe, je peux tout effacer avec la gomme, ou bien rayer et recommencer. Quand on efface ou qu’on raye, il reste des traces, mais c’est la marque à laquelle on a réfléchi, et ça aussi, ça me plaît.
— Je vois ! Et tout comme la poésie, si jamais on écrit mal notre vie, on n’a qu’à l’effacer un peu ou la réécrire. 

Nos propres blessures sont toujours les plus graves et les plus douloureuses. On les garde au fond du cœur, bien cachées, sans avoir jamais le courage de les ressortir pour y appliquer du baume ou les soigner. Lorsqu’on se blesse physiquement, au moins les croûtes finissent par tomber, une fois que le sang a séché ; mais avec les blessures du cœur, les croûtes ne peuvent pas tomber. Quand on se blesse au même endroit, sur une blessure qui a cicatrisé, ça fait encore plus mal, pas vrai ? Eh bien c’est la même chose pour l’âme : elle nous fait de plus en plus mal, à force d’être frappée encore et encore au même endroit. 

À ces mots, les pétales s’élancent dans les airs et disparaissent en tournoyant. Qu’il est doux de s’endormir dans une nuit pareille, pleine de la chaleur des gens qui se soucient les uns des autres ! Même la lune sourit dans le ciel, en inondant la ruelle de ses rayons argentés. Lorsque c’est ainsi, l’air est plus chaud et joyeux qu’en plein jour, même si le soleil ne brille pas. Ce n’est pas parce qu’on est dans l’obscurité qu’il fait sombre, et ce n’est pas parce qu’on est dans la lumière qu’il fait clair. Même dans l’obscurité, il y a des choses qui brillent, et même dans la lumière, il y a des ténèbres. 

Soi-disant, sa mère n’avait pas de pouvoirs magiques ; mais pour Jieun, c’était une véritable magicienne, capable d’apaiser son cœur. Les jupes de sa mère dégageaient toujours une odeur sucrée de petits gâteaux, et son cou avait le parfum des fleurs. Jieun se plongeait dans ses jupons pour s’enivrer de l’odeur des gâteaux ; et lorsque sa mère se penchait pour la prendre dans ses bras, la petite fille inspirait à pleins poumons le parfum des fleurs. La cuisine était toujours emplie d’effluves délicieux ; c’est ainsi que Jieun avait grandi, petite fille adorable, aux joues toutes rondes. 

J’ai bien fait de vivre. Je suis restée en vie et j’ai pris souffle après souffle parce que j’étais née, parce que j’étais en vie. J’ai vécu parce que je ne pouvais pas mourir. Mais maintenant, c’est le fait même d’être en vie qui me donne envie de vivre ; et parce que j’ai envie de vivre, cela me rend heureuse. Après tout ce temps, Yeonja comprend enfin que le bonheur ne vient pas des autres, mais de notre propre attitude face au monde. Si elle a traversé ce long, long tunnel de malheur, c’était peut-être pour découvrir que le bonheur lui aussi ne s’obtient qu’avec de l’entraînement. 

Yeonghui a l’impression de renaître depuis qu’il a effacé cette unique tache de son cœur : « le sentiment que tout était de sa faute ». Depuis qu’il a commencé à se dire que les choses arrivent comme elles viennent, que ce n’est pas à cause de lui, que ce n’est pas de sa faute, il est maintenant capable de se détourner du passé, et de vivre seulement sa vie à venir. Il a gardé dans son cœur tous ces souvenirs douloureux, mais il ne se dit plus que « s’il avait fait un peu mieux, tout ça ne lui serait pas arrivé », ou bien que « c’est sa faute si toutes ces choses se sont produites ». 

Le bonheur est une lumière intérieure. Une lumière qui ne vient pas du ciel là-haut, hors d’atteinte, mais du ciel de notre cœur. Le bonheur est déjà dans notre cœur. Il est ici et maintenant. On ne peut pas revenir sur le passé, et l’avenir n’est pas encore arrivé : il faut se concentrer sur cet aujourd’hui que nous vivons actuellement. Même si on fait un pas sur la droite, un seul, il appartient déjà au passé. Et si on fait un pas en avant, il n’appartient pas à l’avenir, mais au présent. 

...lorsqu’on vous insulte, refusez les émotions ou les paroles qu’on vous envoie. Si on vous donne un objet mais que vous le refusez, il n’est pas à vous. Si quelqu’un vous hait, vous déteste, n’acceptez pas ces émotions qui deviendront des blessures en vous, retournez-les à l’envoyeur. Puisque vous ne l’avez pas acceptée, cette blessure n’est pas la vôtre, mais celle de l’envoyeur. Ne dérangez pas le paradis de votre cœur, et refusez les colis qu’on vous envoie. C’est votre droit. 

Si l’on est capable d’endurer l’hiver qui s’abat sur notre cœur, c’est grâce à l’espoir que cette saison n’aura qu’un temps. L’espoir : c’est ce qui fait vivre les hommes, mais aussi ce qui les tue. Nous vivons de l’espérance que le printemps arrivera dans notre cœur, que parfois un torride été embrasera notre âme, qu’il sera bientôt remplacé par un automne d’une agréable fraîcheur. Si nous n’avions pas même l’espoir, comment pourrions-nous supporter de vivre ? 

Quand la pluie viendra, elle s’y mouillera ; quand le vent soufflera, elle se laissera fouetter le visage ; quand le soleil brillera, elle savourera sa chaleur. Elle acceptera d’être bringuebalée par les rafales du vent. Elle s’aimera elle-même, telle qu’elle est, avec tous ses défauts, ses erreurs, ses errances, ses faiblesses. N’est-ce pas cela, le vrai secret pour éliminer les taches de l’âme une bonne fois pour toutes ?