Pour la première fois de ma vie, je connais la peur véritable, celle qui glace le sang. Pour la première fois de ma vie, je comprends la fragilité de la liberté.
— Je t’aime de tout mon être, répond-il. Tu es l’espoir dans tout ça. [...] Quand je suis avec toi, je me souviens de celui que j’étais, un homme qui espérait, un homme qui n’était pas cerné par la mort. J’ai envie d’être le genre d’homme qui te mérite. Un homme bien, un homme honorable. Un homme dévoué à son pays et à sa famille. [...] Je veux être un homme dont tu puisses être fière. Un homme que tu pourrais aimer.
Je souhaite les mêmes choses, être quelqu’un qu’il admire, me battre pour ce en quoi je crois, tout comme lui.
Notre amour s’emmêle à nos attentes, à notre perception de la réalité.
Peut-être pensera-t-on toujours de nous que nous possédons trop dans un pays où tant de personnes n’ont pas assez. Et même alors, je constate les limites auxquelles mon père est confronté – les caprices du sucre qui était autrefois florissant et le fait maintenant travailler tard dans son bureau. Je surprends parfois des conversations où il me semble déprimé à cause de promesses non tenues, de craintes quant à la direction prise par le pays. Les riches ne sont pas exempts d’angoisses : certains de nos amis ont été jetés dans les prisons de Batista ; nous craignons le peloton d’exécution autant que les pauvres. Mon propre frère en est la preuve. L’argent nous achète la proximité avec le pouvoir, mais dans le climat actuel cette proximité signifie que nous avons chacun une cible dans le dos
— Autrefois, c’était magnifique, déclare Luis, ce qui me surprend.
Nos regards se croisent.
— Oui. On le voit bien.
Il soupire et se tourne de nouveau vers la route.
— Chaque année, la ville vieillit un peu plus. On peint, on plâtre, on tente de la maintenir, mais un projet de cette ampleur ?
Inutile d’en dire plus. Sans argent, les Cubains ne peuvent pas faire grand-chose.
— La vieille Havane est en meilleur état que la plupart des quartiers. Les autorités la préservent pour les touristes, alors si tu veux un aperçu de ce qu’était la ville avant la révolution, c’est là qu’il faut aller.
Certaines de ces explosions font les gros titres le lendemain ; parfois ce n’est pas le cas et on en vient à se demander si ces bruits terribles, ces hurlements, sont le fruit de notre imagination, le produit d’une ville attendant la nouvelle manifestation de violence. Il est terrible de voir son pays plonger dans un tel tourment, encore plus quand tant de groupes se battent pour le pouvoir, cherchent à festoyer sur la carcasse d’une île mourante.
J’ai de nouveau l’impression qu’il se moque un peu de moi.
— Tu parles de passion, mais le reste alors ? L’amitié, la compagnie, le respect mutuel ? Pourquoi, quand il s’agit de juger une relation, les gens se fondent-ils toujours sur la flamme qui risque de faiblir ?
A-t-il cette flamme avec sa femme, ou leur mariage est-il solide, fort de ces qualités qu’il évoque ?
- Tu parles de passion, mais le reste alors ? L'amitié, la compagnie, le respect mutuel ? Pourquoi, quand il s'agit de juger une relation, les gens se fondent-ils toujours sur la flamme qui risque de faiblir ?
Nos mouvements sont ponctués par quelques éclats de rire, pris dans un raz-de-marée de désir, jusqu'à ce que l'évidence de nous deux éclipse tout le reste.