Soirée de mobilisation organisée par La revue LA RÈGLE DU JEU, le 3 juin 2024, au Théâtre Antoine avec :
Yäel BRAUN-PIVET (présidente de l'Assemblée nationale), Gérard LARCHER (président du Sénat), Anne HIDALGO (Maire de Paris), Bernard-Henri LÉVY, Christine ANGOT, Caroline FOUREST, Delphine HORVILLEUR, Yann MOIX, Justine LÉVY, Julia KRISTEVA, Jean-Claude MILNER, Bernard CAZENEUVE, Manuel VALLS, Jean-Michel BLANQUER, Sandrine KIBERLAIN, Yvan ATTAL, Patrick BRUEL, Haïm KORSIA (Grand Rabbinat français), Yonathan ARFI (CRIF), Douglas MURRAY, Philippe VAL, Maurizio MOLINARI (la Repubblica), Daniel RAMÍREZ (El Español), Émilie MOATTI (Forum des Familles d'otages, Tel Aviv).
Pour voir l'intégralité de la soirée https://laregledujeu.org/2024/06/03/40388/suivez-le-live-streaming-leurope-contre-lantisemitisme/
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Si bien que nous vivons dans un monde furieusement paradoxal, où la liberté de haïr n'a jamais été si débridée sur les réseaux sociaux, mais où celle de parler et de penser n'a jamais été si surveillée dans la vie réelle.
Depuis quelques années, les professeurs se montrent terrorisés à l'idée d'aborder certains sujets jugés "offensants" pour les élèves. Ils doivent même prévenir s'ils comptent évoquer des oeuvres susceptibles de les perturber ou de contenir des "micro-agressions".
Une meute d’inquisiteurs
Comme toutes les tempêtes, les vents mauvais de l’Inquisition moderne commencent toujours par se lever sur les réseaux sociaux. Lieu de liberté, Internet est aussi le lieu de tous les procès. On s’y déchaîne anonymement, on y lynche au moindre soupçon. Une meute de trolls furieux que la philosophe Marylin Maeso appelle « les conspirateurs du silence », tant ils parviennent à nous museler. Nous vivons l’avènement de ce « monde de silhouettes », ce monde de faux-semblants que redoutait Albert Camus. Partout, règne la tyrannie de l’offense, comme préalable à la loi du silence.
En mai 1968, la jeunesse rêvait d'un monde où il serait "interdit d'interdire". La nouvelle génération ne songe qu'à censurer ce qui froisse ou l'"offense".
En France, le journaliste conçoit son métier comme un devoir : dire sa part de vérité, même si elle est difficile à entendre. C'est un journalisme souvent engagé, plus éditorialisé, plus idéologique aussi, parfois moins rigoureux. Le journalisme anglo-saxon est plus « factuel », plus précis, mais plus clientéliste. Il cherche avant tout à satisfaire ses lecteurs ou téléspectateurs, considérés comme des clients. D'où l'explosion de tabloïds et d'affaires exploitant la vie privée. Extrêmement choquants et jugés indignes du journalisme du point de vue français.
Les médias anglo-saxons qui ont fait la leçon à Charlie Hebdo pour sa couverture « offensante » sur Mahomet n'ont eu aucun scrupule à montrer les images du policier abattu par un terroriste juste avant sa mort, sans se demander si elles pouvaient « offenser » sa famille. Le client est roi. Le client veut du sang et des ragots sur la vie privée, pas qu'on insulte sa religion. Comme il y a peu de « clients » nord-coréens vénérant Kim Jong-un aux États-Unis, et bien plus de « clients » musulmans vénérant Mahomet, c'est donc Mahomet qu'il faut veiller à ne pas dessiner.
Les combats contre le racisme, l'antisémitisme, le sexisme ou l'homophobie ne sont ni secondaires, ni des batailles « bourgeoises ». La discrimination tue, détruit, avilit. On doit continuer de s'attaquer aux préjugés armant cette toxicité. Mais de façon intelligente, dans le but réel de convaincre, lever les obstacles, déconstruire les stéréotypes, briser les chaînes des cases ethniques, revoir la répartition des rôles et des genres. En rêvant d'identités fluides, de sexualités libres, de transculturalisme et d'une société métisse. L'exact opposé du monde de la gauche identitaire, qui se nourrit des conflits enfermant les gens dans leur case, de compétition victimaire et d'antagonismes sans fin.
Cette tyrannie de l'offense nous étouffe. Il est temps de respirer, de réapprendre à défendre l'égalité sans nuire aux libertés.
L'université doit rester un lieu ouvert à tous, où se croisent les idées. On ne peut pas y pratiquer la ségrégation, même inversée.
On rêverait de campus redevenant des "safe space" pour le débat d'idées et la transmission d'une culture commune. Des sanctuaires où l'on pourrait avoir des débats contradictoires et courtois impossibles à mener sur Internet. Ces débats deviennent de plus en plus difficiles à organiser.
Si bien que nous vivons dans un monde furieusement paradoxal, où la liberté de haïr n’a jamais été si débridée sur les réseaux sociaux, mais où celle de parler et de penser n’a jamais été si surveillée dans la vie réelle.
À force de vivre dans un monde décontextualisé, celui des réseaux sociaux, sans que l'université les éduque à l'esprit critique, ces jeunes sont d'une injustice anachronique. Leurs excès régalent l'électorat de Donald Trump. Un jeune conservateur qui a initié une contre-pétition pour défendre la statue de Jefferson a pu parader sur les plateaux de Fox News en défenseur de la mémoire et de la liberté d'expression. C'est ainsi que la gauche identitaire fait gagner la droite identitaire. A force d'attaquer toutes les libertés, de parler ou de créer.
Loin de contester les catégories « ethnicisantes» de la droite suprémaciste, la gauche identitaire les valide, et s'y enferme. Au lieu de rechercher la mixité et le métissage, elle fractionne nos vies et nos débats entre « racisés » et non-« racisés », monte les identités les unes contre les autres, finit par mettre les minorités en compétition. Au lieu d'inspirer un nouvel imaginaire, revisité et plus divers, elle censure. Le résultat est là : un champ de ruines intellectuel et culturel.
Qui profite aux nostalgiques de la domination.