Bill François

Mais peu importe que l'on apprécie ou non son goût : ouvrir une huître, c'est un peu comme ouvrir un livre.

C'est dès mes toutes premières plongées, dans les fonds rocheux de la Méditerranée, que je découvris avec émerveillement la diversité de la vie sous-marine : je voyais les girelles et les sars planer au-dessus des mousses et des rochers, et j'étais fasciné, comme devant un spectacle.

Peu de gens savent à quel point une sardine vivante est jolie. Elle était toute brillante et argentée, avec une ligne d'un bleu électrique comme une guirlande le long de son dos noir. Sur ses flancs rutilait un large trait doré.

Même s'ils sont à l'origine de nombre de nos mets, nous réservons un triste sort aux insectes. Leur masse totale dans nos campagnes a diminué de 80 % en moins de trente ans. La cause est ironique : protéger nos cultures... alors même que ces bestioles nous offrent bien plus de plantes qu'ils ne nous en volent.

Dans l'eau, le son voyage plus vite que la lumière, et parcourt des kilomètres sans s'atténuer. Dans la voix de la mer se mélangent donc des sons venus de loin, dont on ne voit pas les auteurs.

il récoltait triomphalement des pistaches tout à fait locales, et avec elles la preuve scientifique irréfutable de la fécondation des plantes.
Vaillant relata sa découverte devant l’Académie des sciences, en un discours au vocabulaire… fleuri. « Les fleurs sont le sexe des plantes », déclara-t-il d’emblée, avant de comparer pistils et étamines aux organes génitaux femelles et mâles des animaux et de décrire les « ébats amoureux » des arbres et leurs « violents transports » – des termes extrêmement osés pour l’époque.

La société fait taire les histoires des poissons, comme elle fait taire les humains. On est rendus timides à force d'indifférence. On se retrouve dans un monde d'une complexité qui nous dépasse, où chacun court après le temps sans pouvoir s'arrêter.

La mer est pleine de sons, plus encore que l'air où nous vivons.

Dans la société d'aujourd'hui, notre place dans la chaîne alimentaire est perdue. On ne capture plus ce qu'on mange, on ne voit même plus nos aliments sous une autre forme que celle d'aliments, et, peu à peu, on oublie jusqu'à l'existence de ces êtres dont on se nourrit. On nie la vie de la créature qui est devenue un plat industriel. On devient sourd à tous les récits de ces existences que l'on consomme, à toutes leurs histoires qui sont pourtant autrement plus nutritives que les seules calories décomptées sur l'emballage.

Parmi les vrais amateurs d'huîtres, seule une élite sait véritablement les ouvrir, sans avoir recours aux astuces, souvent périlleuses, d'innombrables tutos internet.

"Lorsque vous avez plongé la tête sous la mer pour la première fois, vous avez entendu un son très étrange..."

Pourquoi l’homme moderne a-t-il  toujours peur des requins, alors que les statistiques nous prouvent que même les grille-pain font chaque année dix fois plus de victimes que tous les requins réunis ?

L'huître est pleine de rumeurs marines, d'histoires océanes, que, renfermée, elle ne partage pas souvent.

La mer nous parle. Pour que le dialogue soit complet, pourquoi ne pas lui répondre?

Mais en un instant un crissement se fait entendre dans le calme des abysses. Les panneaux de ferraille d'un chalut raclent le récif, à une vitesse prodigieuse à laquelle rien ne peut échapper, emportent tout dans une vaste poche, ne laissent qu'une traînée de vase. Il faudrait des millénaires de travail minutieux des polypes pour reconstruire le récif, des siècles de la lente croissance des sébastes pour le repeupler. Mais le chalut revient, inéluctable, creuser dix fois par an les mêmes cicatrices.

Le bruit ambiant marin est un minerai de sons, où se dissolvent les voix de mille êtres invisibles, qui nous content leurs histoires. La tempête comme la molécule d'eau, la baleine bleue comme la crevette jouent chacune sa mesure du concert, jettent chacune sa pincée de notes dans le mélange.

Les vrais dialogues avec les créatures marines, ceux qui sont sincères et ont perduré, n'ont jamais requis qu'on comprenne leur langue, ni que l'on leur enseigne la nôtre.

Mais, dans aucun dialogue, il n'est nécessaire de tout comprendre.

Dans l'obscurité des mers, nagent les découvertes de l'avenir, qui n'attendent que nos rêves pour exister et nous faire croire à leurs légendes.

Quiconque a vu une anguille ressent facilement que ces poissons ne sont pas anodins, qu'ils cachent des mystères sous leur apparence hybride si étrange.