Je me réjouissais de voir la pièce de ce soir-là. Une Nième adaptation de Roméo et Juliette certes, mais moi, cette histoire, à part si elle est particulièrement mal jouée, elle m’arrache toujours des larmes et des soupirs et me fait rêver quelques jours durant à l’AMOUR. Évidemment, je me reprends assez vite en me rappelant que les drôles avaient treize et quinze ans et que c’est finalement pas très compliqué (ni sublime !) de s'aimer passionnément quelques jours. Parce que, si ces deux-là étaient restés mariés plus d’une nuit ils auraient eu des gosses, auraient vieilli, se seraient engueulés pour un ménage pas fait ou un Roméo rentrant trop tard du boulot et un beau jour, fini les restaus en amoureux et les déclarations, ils n’auraient plus rien eu à se dire. Heureusement pour eux, ils sont morts avant, BIEN avant. Ce qui leur a évité rides, frigo vide et moutards qui chialent. (Et puis : treize et quinze ans ! L’âge des appareils dentaires, des boutons d’acné et des franges grasses ! Pour l’esthétisme torride, on repassera !)
MAIS, dans mon fauteuil de théâtre, j'oublie ces paramètres et je rêvasse... I am Juliet et Roméo, je le dream !
Oui, j’aime attirer les regards, et la langue pendante des mâles devant mes décolletés osés ou mes jupes en simili ne m’a jamais fait hurler au scandale féministe, tant que ça s’arrête là. Les rides, les articulations craquantes et mon ouïe défaillante me rappelleront bien assez tôt que « vanité des vanités, tout est vanité1 »… En attendant, je profite de cette illusion ponctuelle d’être un sex-symbol !
Nos regards se sont croisés, et je reste intimement convaincue que je n’ai pas le moins du monde rêvé ce clin d’œil mutin qu’il m’a adressé. Visiblement, il ne s’était pas vraiment réconcilié avec la mégère qui l’accompagnait durant le spectacle, et ils sont partis rapidement, sans qu’il se soit toutefois retourné une fois vers moi avant de disparaître.
Je suis restée assise sur mon siège jusqu’à ce que presque tous les spectateurs aient quitté la salle. Je fais pareil au cinéma. J’aime bien savourer l’ambiance le plus longtemps possible, avant que la saveur fade du quotidien ne me saute de nouveau à la face, sitôt de retour dans la rue.
Travailler l’aspect « charmante potiche » de sa personnalité est un art. Les féministes crieront au scandale et au sexisme. N’empêche, ça sert et souvent ça fait gagner du temps. Quand je n’arrive pas à accomplir une tâche quelconque, je n’essaie plus, je renifle où se trouve la testostérone dans le périmètre et je dis juste « J’aurais bien besoin d’un coup de main » avec des airs de biche effarouchée. Il faut juste le prendre comme un rôle et se rassurer en se rappelant que l’individu masculin connaît en général très bien sa réplique.
Ironie du sort, voilà que ma mère devenait notre premier sujet de conversation ! Elle était décidemment capable de me pourrir jusqu’à mes rêves. Il fallait embrayer vers autre chose, et vite !
Je me réjouissais de voir la pièce de ce soir-là. Une énième adaptation de Roméo et Juliette certes, mais moi, cette histoire, à part si elle est particulièrement mal jouée, elle m’arrache toujours des larmes et des soupirs et me fait rêver quelques jours durant à l’Amour. Évidemment, je me reprends assez vite en me rappelant que les drôles avaient treize et quinze ans et que ce n’est finalement pas très compliqué (ni sublime !) de s’aimer passionnément le temps de plusieurs nuits.
C’est quelque chose d’étrange que le temps. Depuis que j’ai étudié Einstein à l’école, je sais qu’il est relatif, mais ce jour-là, j’en ai fait l’expérience !
Je ne suis pas sans savoir qu’on donne plein d’explications physiques, biologiques, chimiques au coup de foudre. Il n’empêche : il porte bien son nom. Coup de foudre : tu te prends un éclair dans le cœur, les yeux, les poumons, qui te sèche sur place en une microseconde. Microseconde pendant laquelle j’ai dû entrer en catalepsie et, quand j’ai recommencé à respirer, abracadabra : il était assis à côté de moi.
Rien qui explique ce courant électrique pur qui m’a traversé l’échine, rien qui permette de comprendre pourquoi je n’ai pas un instant calculé la femme qui le suivait, ni plus rien de ce qui se passait dans la salle. Comme s’il y avait eu tout à coup un grand silence, une extinction des feux, avec juste une poursuite braquée sur lui. Une scène de cinéma. Mon cinéma.
Mon premier mariage avait été une erreur de jeunesse. J’avais tout bêtement épousé mon flirt de lycée par fantasme romantique et surtout par ignorance crasse. L’affaire s’était révélée aussi sordide que courte… Le deuxième « gagnant » avait enfilé la panoplie du chevalier servant pour me libérer du premier et m’enfermer dans une autre cage : celle de la maternité.