AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lenocherdeslivres


Alors que Paris finit de se préparer à recevoir les Jeux Olympiques, Fabrice Schurmans imagine l'avenir de cette ville. En version post-apocalyptique. Comme le montre bien la couverture signée Caza, tout ne sera pas rose dans la capitale. Les clivages vont s'accentuant et la cité s'effondre progressivement. En six nouvelles, Paris perdus nous offre le spectacle de cette déliquescence inexorable, de cette chute définitive.

Les six textes peuvent se lire indépendamment, et d'ailleurs deux d'entre eux (« le Revers du silence » et « La nuit des mots vivants ») ont déjà été publiés dans des recueils collectifs. Cependant, ils forment bien un tout et se suivent, de façon chronologique. À travers les histoires que nous propose Fabrice Schurmans apparaît en filigrane un portrait de Paris. de feue Paris devrais-je dire, car on assiste à sa transformation progressive, tout d'abord en îlot de bonheur préservé (« le Revers du silence »), où tout le monde semble heureux, même les oiseaux qui gazouillent, en forteresse assiégée (« L'Inconnue du mur »), puis en cadavre de ville (« La nuit des mots vivants »).

Et l'auteur nous fournit même plusieurs pistes quant aux raisons de ce devenir peu glorieux : tout d'abord, et c'est le plus notable, la tendance des plus privilégiés à s'enfermer chez eux en laissant la misère dehors (tendance qui a toujours existé et qui atteint un niveau élevé ces derniers temps en France et dans le monde), qui va jusqu'à utiliser les plus défavorisés dans un jeu où ils seront tués comme de simples objets sont détruits sans pitié (« le Dernier niveau »). Mais, conséquence de ce qui précède ou d'un autre évènement, international celui-ci, une explosion réduit une partie de la ville en cendres (« le Dernier niveau »). L'apocalypse a ses classiques et les bombes en font partie. Et cela ne fait qu'achever un travail déjà entamé par l'humain depuis longtemps, avec son entreprise de destruction massive. C'est lui le « bug bien vicieux » qui est hélas « sans antivirus connu ». Et la « Nature » a plié. Et Paris n'est plus qu'un champ d'immeubles abandonnés, pillés, fragilisés où survivent les plus forts, les plus solides, comme la narratrice de « La nuit des mots vivants », femme qui tente d'aider ses consoeurs à se regrouper pour résister aux viols et autres violences. Car, « les femmes ramassent toujours plus que les hommes ». Un portrait peu glorieux de l'humanité. Sans concession, comme on dit. Mais assez lucide.

Ce qui m'a frappé en premier en découvrant ce recueil, c'est l'impression de me retrouver dans certaines lectures de ma jeunesse. Dans ces mondes en pleine déliquescence où Pierre Pelot, Serge Brussolo (et justement je suis en train de lire un de ses romans récents, le Hasard et la nuit) et bien d'autres nous contaient les tribulations des derniers humains face au monde qui s'effondrait. On y retrouvait ces villes en partie effondrées ; ces sociétés dont les derniers ressorts lâchaient pour la plus grande détresse de ceux qui se croyaient protégés ; ces femmes et ces hommes transformés en monstres, par leur comportement avec le meurtre sauvage et le cannibalisme (« le Revers du silence » par exemple), mais aussi par des mutations ou quelque chose d'équivalent (« L'Inconnue du mur ») ; ces dirigeants imbus d'eux-mêmes qui assènent des vérités et font régner la paix, seulement pour certains, grâce à la violence la plus brutale (d'ailleurs, je me demande si le nom du président n'est pas un léger clin d'oeil… Guy Maclot).

On y retrouve aussi d'autres thèmes classiques de SF, mais traités de façon toujours aussi désabusée, comme si, de toute façon, tout était fichu : nous courons à notre perte et, même si nous profitons de ce qui reste, la noirceur finira par l'emporter. Dans « Les Intrus », des pratiquants de ce qu'on appelle urbex en font la terrible expérience : on trouve toujours des hommes ou des femmes prêts à profiter de la misère, de la souffrance des autres. Même thème dans « le Dernier niveau » où des joueurs vont dans un escape game terriblement réaliste, où leur pognon permet toutes les transgressions, y compris les plus monstrueuses. Décidément, la frontière entre humain et monstre est bien fine.

Très bonne surprise que la découverte de ce recueil et de cet auteur dont j'ignorais l'existence. Je dois donc remercier vivement Lionel Évrard des Éditions Flatland pour m'avoir proposé cette lecture. Car Fabrice Schurmans est un auteur qui manie la langue avec finesse et sait, en quelques courts textes, dresser une image fine et vivante (quoique…) d'un lieu, d'hommes et de femmes, d'une époque. Cela m'a bien évidemment donné envie de chercher et de découvrir d'autres oeuvres de cet écrivain. Et justement, Hugues, sur son passionnant blog Charybde 27 vient de parler de Moloch Academik. Je sais ce qu'il me reste à faire…
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
Commenter  J’apprécie          384



Ont apprécié cette critique (37)voir plus




{* *}