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Critique de Meps


Le Prix Nobel m'intéresse beaucoup et je suis les différents favoris au fil des années et notamment ceux qui sont souvent cités et jamais récompensés. L'hypothèse de voir Salman Rushdie l'obtenir me semblait pouvoir être un signal politique fort, mais je craignais que cela ne se fasse que pour cette raison et pas sur des critères littéraires qui restent pour moi les plus importants pour ce prix... Après l'avoir enfin lu pour me faire mon avis propre... je ne comprends maintenant pas comment l'Académie a pu passer à côté... à part si cela signifie une volonté politique, et là ce serait encore plus triste et dommageable.

En effet, l'écriture de Rushdie est foisonnante, son récit baroque, son style recherché, accouchant de formules fortes, de néologismes brillants. Il sait nous embarquer pour une épopée de plus de 700 pages sans jamais nous lasser, en menant de front un tableau brillant de son époque et un suspense haletant. Il est même terriblement actuel pour un livre publié en 1988, puisqu'on y retrouve toutes les problématiques de notre époque, presque 35 ans avant... ou alors est-ce notre monde qui stagne depuis 35 ans.

A la lecture, on ne peut évidemment s'empêcher de rechercher les raisons de la fatwa qui s'est abattu sur lui... et on ne peut aboutir à mon avis qu'à une seule justification : l'humour. En effet, Rushdie prend comme il l'a lui-même dit la précaution du récit indirect quand il s'agit de retranscrire (dans 100 pages sur les 750 que compte le livre) sa vision de l'histoire de Mahomet. Il décrit le rêve d'un de ses personnages principaux et concernant un certain Mahound, récit indirect donc et "anonymé". Quand on connait un peu la "vraie" histoire, on se rend compte qu'il y est vraiment fidèle... tout en maniant l'ironie. Et on découvre donc suite à sa condamnation que, au delà de la représentation iconique du Prophète, c'est la vision ironique et humoristique qui est interdite par les islamistes. C'est d'ailleurs le point commun avec la tristement célèbre affaire de Charlie Hebdo qui mènera à l'assassinat d'une grande partie de sa rédaction : l'humour. On meurt d'avoir fait rire.

Mais passé cette curiosité (malsaine ?) sur ce qui a fait de ce livre le phénomène médiatique qu'il est devenu, il ne faut définitivement pas l'y réduire. Ce livre est un pur bijou de littérature, un livre puissant et utile. L'histoire personnelle de Rushdie, musulman ayant grandi dans un pays où se confronte une religion monothéiste importée et une religion polythéiste traditionnelle le place dans la position idéale pour observer les questions religieuses actuelles. Et son émigration vers l'Angleterre lui apporte en plus la vision occidentale qui complète le tableau. Son choix de deux acteurs pour les personnages principaux, symboles des incarnations multiples, lui permet également d'aborder la question de la réincarnation, de la résurrection. Les différents concepts sont très intelligemment et finement évoqués, et la question religieuse n'est même pas la seule qui est discutée, les rapports homme-femme, les relations familiales, l'immigration et l'exil, la quête d'identité sont tour à tour mises sous le microscope, notamment par le biais d'une galerie foisonnante de personnage, hauts en couleurs mais qui parviennent à travers une certaine caricature à une vérité humaine profonde.

A l'heure où une ancienne membre de la rédaction de Charlie Hebdo est nommée pour le prochain prix Nobel de la paix, on peut y voir un signe intéressant que l'Académie semble disposée à des signes forts face à une menace destinée à nous empêcher de rire de tout, et Rushdie pourrait enfin accéder à une récompense qu'il mérite tant. Dépêchez-vous car on sait que le Prix Nobel est réservé aux vivants...et qu'il vit en sursis depuis tant d'années.
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