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Critique de Herve-Lionel





N°419– Avril 2010
ASSEZ PARLÉ D'AMOURHervé le Tellier – Jean Claude LATTÈS.

Ce titre était un peu engageant, après tout, les romans sont pleins d'histoires d'amour mais c'est aussi la dernière phrase du dernier chapitre qui revient ainsi comme un leitmotiv. Pourtant, le livre refermé, il apparaît que c'est une sorte d'antiphrase ironique puisqu'on pouvait penser qu'il n'y serait pas question d'amour, alors que, au contraire, c'est le thème unique de cet ouvrage où il n'est question que de cela! En réalité on se trompe, on se ment, on se quitte, on se croise et on tisse beaucoup d'histoires d'amour dans ce roman.
Ce qui frappe d'abord c'est le temps bref (trois mois d'un automne plutôt chaud)pendant lequel se déroule ce récit. le panel des personnages va de l'écrivain, à l'avocate célèbre, de l'analyste au scientifique connus... bref des intellectuels, mais aussi des notables parisiens, à l'abri des soucis d'argent, satisfaits d'eux-mêmes, comme il se doit. C'est surtout deux destins de femmes mariées, Anna et Louise, la quarantaine, mères de famille et heureuses. Elles se ressemblent sans se connaître et vont vivre deux amours semblables. Anna, pédopsychiatre mariée à un chirurgien,Stan, va croiser la route de Yves, l'écrivain et Louise, l'avocate, mariée à un scientifique, Romain, celle de Thomas qui est aussi l'analyste d'Anna. Thomas deviendra l'amant de Louise et Yves celui d'Anna. Ces deux passions adultères se recoupent donc avec pour toile de fond les maris auxquels elles n'ont pourtant rien à reprocher, qui sont amoureux d'elles et qui les protègent. Ils sont sans doute seulement les victimes de cette usure des choses, de cette envie d'ailleurs de leur épouse mais assurément ne méritaient pas cette épreuve... Quand ils finiront par comprendre ils en seront malheureux et peut-être aussi honteux [« Bien, dit Romain, pour résumer, je suis marié, nous avons des enfants, ma femme a rencontré un autre homme... Je suis très malheureux ». « Stan s'engloutit dans ce lent tourbillon qui le ramène soudain vers Anna, vers la pensée noire du corps nu d'Anna sous celui d'un autre, et l'image qui surgit le broie »].
Pourtant elles se demandent si cet amant qui débarque dans leur quotidien et le bouleverse pourra être le nouvel homme de leur vie, avec toute la remise en cause que cela entraîne inévitablement. Ce sont, bien sûr des  liaisons potentiellement dangereuses puisqu'elles bousculent les certitudes établies, l'ordre des choses et ne laissent pas place, en apparence, à cette culpabilité judéo-chrétienne qui nous entoure. Tout cela est un peu compliqué d'autant que dans cette affaire il ne faut pas oublier les enfants. Ils ont toute leur place dans ce récit, même s'ils restent un peu en retrait. le Tellier ne leur donne la parole qu'à la fin, notamment avec la métaphore d'Alice [« Oui, songe Anna, le Chat a raison, quand on ne sait pas où aller, le chemin n'a pas d'importance »].

Louise et Anna, comme Thomas et Yves se croisent,(sans oublier les rencontres inévitable entre les amants et les maris cocus) Ce n'est peut-être pas si artificiel que cela et cela caractérise les personnages, pas si fictifs cependant. J'ai toujours plaisir à voir comment ils réagissent par rapport à l'auteur, j'aime imaginer l'usage qu'ils font de leur liberté... Yves, l'écrivain est un peu le double de le Tellier et réagit probablement comme un auteur, surtout quand il écrit, pour les 40 ans d'Anna, un livre qui sera comme un cadeau et dont il sera évidemment question d'amour. Ce « livre dans le livre », c'est plus qu'une manière de mise en abyme, c'est une véritable trouvaille pleine d'émotions, de souvenirs.

L'auteur s'interroge et interpelle son lecteur: A un âge où la vie semble définitivement tracée, où les choses sont établies, l'amour peut-il venir frapper, même sous la forme du « coup de foudre »qui autorise les folies, les espoirs, les remises en question, parce que le corps change, que le temps a passé et qu'on ne le rattrape pas, qu'on croit s'être trompé dans son choix d'avant, et que, pour cela on est capable de tout briser et de tout recommencer, malgré les convenances sociales, la honte, la culpabilité, les enfants qui nous jugeront plus tard... Avec aussi la certitude que l'être qui vous a préféré à un autre peut parfaitement remettre en cause, avec le temps, le choix qu'il a fait de vous!

Il est aussi question de judéité dans ce récit mais aussi de dominos abkhases( et ce n'est pas un hasard tant les règles en sont compliquées mais Anna suggérera à Yves de substituer le titre initial prévu pour son livre « Tu parles d'amour dans ton livre...Alors met simplement « amour »), d'interrogations sur le langage, de la cryptobiose des tartigrades, des iguanes marins des Galapagos, de jalousie, d'hommage (celui que l'auteur rend à l'écrivain Edouard Levé qui s'est tué), de mort et de chagrin et de deuil.

C'est vrai que c'est bien écrit, le style est fluide et agréable, avec un jeu sur les mots, où l'auteur joue sur l'ambiguïté du langage, les quiproquos, les lapsus(« fais-le pas » et « fais le pas »), parle, dans son roman, constamment d'amour,«  cette chose qu'on donne sans la posséder », une occasion unique pour le Tellier, qui, un peu comme au théâtre, fait apparaître les personnage deux par deux, pour que, alternativement, ils se donnent la réplique. Leur rencontre a toujours quelque chose d'intime. le contexte oulipien caractéristique ajoute de l'intérêt à tout cela !

Une autre problématique se pose à l'auteur, celle de rencontrer son public. Avec ce roman, Il est permis de penser que oui!

Je continuerai à suivre la démarche littéraire de cet auteur, son analyse de ces « vertiges de l'amour » m'a bien plu.

©Hervé GAUTIER – Avril 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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