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Critique de GabrielKevlec


J'ai reçu ce livre le 30 août, en me disant avec un poil de mauvais esprit que j'allais me le garder pour l'interminable grand-messe de prérentrée. le 31 août, vers 4h30 du matin, j'achevais une nuit d'insomnie sur la dernière page. Et je refermais le livre avec un sentiment étrange, comme un noeud dans la gorge, des genres de fourmis d'impatience sous le sternum.
Je suis prof depuis 20 ans, tout pile, alors l'éducation nationale, je connais un peu, pas tout, mais suffisamment pour comprendre presque tous les sigles et être capable de calculer seul mon barème de mut' (oui, trop fort !). J'ai pourtant dévoré cet ouvrage de la 1re à la dernière ligne.
Tout est là.
Dans ces pages, il y a un style, un prof que je suis depuis des années sur le net, c'est vrai, mais surtout… il y a les discussions animées des réunions de début d'année, les espoirs de ceux qui arrivent, le cynisme parfois de ceux qui les voient débarquer, ces « p'tits jeunes » encore pleins de naïveté ; il y a les fous rires de salles des profs, parce qu'on en rit pour ne pas péter un câble, et puis les colères, les cris, la frustration, la douleur, la violence, continuelle, insidieuse. Il y a ce malaise presque palpable, étouffant, qu'on ressent tous quand arrive le Xième PAI qu'on ne pourra pas gérer, quand on se sent moins que rien, quand on sort d'une inspection avec un clou dans le coeur, quand on va en cours la boule au ventre. Il y a cette solidarité que je n'ai connue nulle part ailleurs ou presque, parce qu'on n'a presque plus besoin d'expliquer, mes collègues savent, et je sais pour eux, je sais que le groupe de langue est à 35 élèves pour 30 tables, que le matos entassé dans les casiers a été acheté avec nos maigres payes, que la psy-EN est partie en burn-out, que la petite E. n'a pas eu de place en IMP, que le stagiaire d'histoire géo a été menacé de mort, que la chef en peut plus, qu'il manque 3 AED, qu'il y a 3 gamins de 5e qui sont à la rue. On manque de tout. On le sait tous. On bricole, on s'entraide, on éponge des larmes, on prend des nouvelles du collègue qu'on a vu partir les yeux bien rouges hier. On écope.
Il y a les larmes qu'on laisse couler à 18h, vous savez, quand le dernier élève est parti et que c'est trop, c'est trop dur, j'en peux plus, je veux pas revenir, j'ai peur, mais je suis bloqué, qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire d'autre ?, je suis nul, ils le disent à la télé, je suis minable, remplaçable, une feignasse, sois prof et tais-toi, ou casse-toi, on me l'a si souvent dit sur les réseaux sociaux et en vrai…
Dans ces lignes, il y a des chiffres indiscutables, des sources vérifiées, des constats amers, des fakenews rectifiées, des scandales dénoncés, et puis des histoires, des anecdotes, des ressentis. J'y ai reconnu des collègues, des amis, je m'y suis reconnu aussi, et j'ai appris des choses, je me suis indigné, ulcéré. Cette lecture, c'est un cri, un concentré de toutes les salles de profs, de tout ce qu'on pleure dans le vide depuis des années, un cri, que dis-je, un hurlement, entre la vocation et la désillusion, entre le « c'était mieux avant » et le « se reconvertir quand on est prof – 233000 résultats ». Il n'y a qu'un auteur en couverture, mais 800000 voix derrière lui. 800000 profs face à une poignée de ministres, entre autres : on pourrait se dire que le jeu est en notre faveur, mais la partie est truquée, et tout le monde le sait. Alors on baisse la tête. On baisse les bras ?
Je ne saurais définir ou classer cet ouvrage. Un plaidoyer ? Un observatoire ? … un requiem ?
Je ne sais qu'une chose : il doit être lu, mais surtout, il doit être le point de départ d'un grand changement. Je suis de ceux qui sont encore persuadés que les livres peuvent changer le monde.
Vers 4 heures du matin, je me suis demandé si devant cet implacable constat sur près de 440 pages, je n'allais pas finir par quitter le Titanic, moi aussi. Parce que devant l'immensité et la justesse du constat énoncé dans ce livre rassemblant enfin tout ce qui fait qu'on est de plus en plus nombreux à vouloir fuir, j'ai commencé à penser à demain, après-demain, et j'ai eu mal au ventre. Mais loin d'un fatalisme mortifère, l'auteur explique, suggère, sous-entend des solutions parfois évidentes pour qui est passé de l'autre côté du bureau. Alors je vais rester, encore un peu. Déjà parce que j'aime ce travail. Ensuite parce que j'espère que le nouveau ministre va prendre quelques heures de son temps pour lire ce livre, et, soyons fous, nous écouter, enfin… Je suis un grand naïf, que voulez-vous… C'est peut-être aussi pour ça que je reste encore un peu. Jusqu'à quand ?

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