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Critique de berni_29


Toucher la terre ferme est un court récit autobiographique d'une tranche de la vie de Julia Kerninon, jeune auteure française que j'avais découverte dans son magnifique premier roman intitulé Buvard.
Le thème de ce livre pourrait être considéré comme ordinaire, puisqu'il s'agit de parler de maternité, mais n'attendez pas ici que Julia Kerninon vienne vous parler de l'attente béate d'une femme devenant ronde de bonheur.
Au travers de sa propre expérience de la maternité, Julia Kerninon m'a entraîné, - pour ne pas dire happé, vers un chemin difficile pour elle.
J'ai été saisi dès le début des pages par le tangage des mots, comme un océan tumultueux au bord ultime du naufrage, où l'auteure nous parle du mal de mère.
C'est une confidence, c'est une confession sans concession, une voix intime, c'est un cri parfois impudique, je l'avoue, mais je le crois nécessaire et indispensable pour donner du sens au texte. Elle ouvre son coeur, parle de son corps, partage ses blessures.
Dans cette quête vers elle-même, elle se questionne, elle se traque, elle devient sujet d'observation. Ce pourrait être intrusif et malsain, c'est juste beau. Elle fait ce pas de côté en nous prenant la main et nous montrant ce qui est, ce qui fut, peut-être ce qui sera.
Le ton honnête avec lequel elle nous convie force le respect, amène à l'empathie. J'espère vous convaincre par mon propos que l'empathie, c'est littéralement ce lecteur masculin que je suis qui a su se plonger dans le corps et l'âme de cette femme en proie aux turbulences d'une maternité chaotique.
C'est aussi l'image d'une personne solitaire qui est venue à moi. Ou plutôt une personne seule parmi les autres, ses proches, ses enfants plus tard.
L'existence à laquelle sa vie s'adosse est mêlée de vertiges, de rencontres et de déroutes.
Elle parle de la vie avant son premier enfant comme d'un monde merveilleux et extraordinaire, du moins c'est ce qu'elle ressent avec le recul.
Durant cette vie d'avant, elle est aussi une lectrice compulsive et qui écrit désormais, qui publie, qui se nourrit autant de sa vie que de ses lectures. William Faulkner et Rainer Maria Rilke deviennent alors des amis proches, qui vont l'aider dans son cheminement. Preuve que les grands écrivains que nous aimons veillent sur nous et nos existences, nous inspirent peut-être... Moi je le crois en tous cas.
La maternité, c'est peut-être cette barque qui l'entraîne vers une terre qui deviendra un jour stable. Parfois elle regrette presque l'inconfort des histoires d'amour d'avant qui la mettait en totale insécurité.
Se croire insubmersible.
Les pages où elle revient sur ses pas sont incandescentes comme le désir, comme la liberté, comme un oiseau inondé de lumière et traversant ce ciel enflammé.
Elle a peut-être, comme on dit, brûlé la chandelle par les deux bouts.
L'impudeur, est-ce celle de parler d'un corps parfois saturé d'ivresse et de fatigue, surtout à l'approche de son premier enfant ?
Dire ce déséquilibre au bord de l'abîme ?
Parfois elles se souvient de gestes d'amour, ou bien on le disait comme cela, on les nommait comme cela. Pourrait-elle aimer comme cela aujourd'hui ? Elle ne regrette pourtant rien, elle s'éloigne simplement d'un rivage, emportée par la maternité.
L'impudeur, c'est peut-être aussi oser s'avouer que la paix d'une famille, celle d'un couple, une famille qui s'agrandit, devient un péril nouveau tout simplement parce que c'est un territoire inconnu. Quelque chose de calme et d'apaisant. Ce n'est peut-être pas encore une terre où le pied peut se poser fermement.
Elle ne cache rien, ni ses peurs, ni ses failles, ni ses trahisons...
Aborder la maternité, ce fut tout d'abord pour Julia Kerninon l'occasion de se poser cette question presque anodine : « Est-ce que tout s'arrête là ou bien qu'au contraire, tout commence. »
J'ai été emporté par une écriture incroyablement belle, poétique, puissante, elle m'a aidé peut-être plus facilement à entendre ce que l'auteure voulait me dire.
Julia Kerninon dit la manière de réconcilier ce qui a pu être déchiré dans son cheminement difficile de femme avant d'être mère.
La maternité pour elle, c'est « cette impression d'avoir été fendue en deux par une hache, écartelée en étoile, points cardinaux, rose des sables. » Ce corps nouveau d'elle qu'elle a ainsi découvert dans la maternité.
Ce bébé, cet être attendu comme une nouvelle personne qui va venir sur terre, c'est tout d'abord une douleur qui l'éventre, lui fait mal.
Elle se sent parfois maladroite et brutale lorsqu'elle contemple ébahie l'amour de ses proches pour leurs propres enfants. J'ai pensé qu'elle osait dire ici ce que d'autres femmes, d'autres mères n'osent jamais se l'avouer.
Elle essaie désespérément d'être une mère, d'être une femme, tout en revenant sans cesse à sa propre enfance. Je voyais par moment se dessiner pour elle au fond du paysage une ville natale, mais plus j'avançais dans le récit et plus cette ville natale semblait disparaître comme à jamais, comme quelque chose qui n'aurait été qu'une simple enchantement, un mirage posé sur l'horizon d'un désert.
Mettre au monde son premier enfant c'est pour Julia Kerninon comme rester éveillée aux premières heures du jour, vaincre enfin sa peur, fermer des portes... Pousser la barque vers l'autre rivage...
Plus tard, elle a cessé d'être une enfant, elle est devenue une mère...
C'est aussi un livre qui dit la difficulté infinie d'apprendre à aimer, d'apprendre à être aimée et pour cela il touche au coeur.
Elle tangue, elle tente de tenir debout, à la verticale de ses désirs encore vivants, de ses illusions qui partent en lambeaux. Au loin, il y a un territoire dont elle s'approche, est-ce une terre ferme ? Où le pied ne tremblera pas ? du moins il suffit d'y croire, il suffit d'y poser le premier pas, puis le suivant.
Là-bas, sur l'autre rivage de sa vie, ses enfants l'attendent, qu'elle aime cependant, qui l'ont transformée, qui l'ont aidé dans ses renoncements, qui l'ont aidée à accepter de vivre avec le danger, puis savoir s'en éloigner. La barque avance, toute proche de l'autre rive...
J'ai tangué dans ce texte bouleversant.
Toucher la terre ferme. Enfin...
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