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Critique de berni_29


Stella Thibodeaux, américaine de dix-neuf ans, au destin improbable, a beau être un personnage totalement invraisemblable, la plume incroyablement inventive de Joseph Incardona me l'a rendue brusquement si vraie, si proche, si vivante.
Tout le récit est construit autour de ce personnage féminin qui exerce le plus vieux métier du monde à bord de son camping-car, sur les routes des États-Unis dans le sillage d'une fête foraine ambulante.
Tout se passe plutôt bien pour Stella, jusqu'au moment où elle s'aperçoit qu'elle accomplit des miracles auprès de certains de ses clients, - elle préfère parler de résorptions. En effet elle guérit ceux qui sont affligés de maladies ou de handicaps graves en leur faisant l'amour, l'acte sexuel procurant à ces hommes le plus souvent seuls et rejetés de tous un plaisir, une joie indicible en même temps qu'il transforme radicalement leur vie.
Hélas de tels événements ne passent pas longtemps inaperçus. Un certain Robert Smith, affligé d'un vilain psoriasis qui, grâce aux bons soins de Stella, a miraculeusement disparu, ne trouve rien de mieux à faire que d'aller à confesse et de tout raconter au père James Brown, un ancien des Navy Seals reconverti dans la prêtrise. Ce dernier en est tellement troublé —vous pensez, un miracle dans sa paroisse — qu'il s'en remet aussitôt à sa hiérarchie. L'affaire remonte jusqu'au Vatican, où on s'enthousiasme déjà à l'idée de sanctifier la jeune élue, sauf qu'à y regarder de plus près, le CV de la future sainte a de quoi affoler le dogme catholique. Mais comment donc ?! Une vulgaire putain ?!
Le Saint-Père indigné décide de lancer ses sbires aux trousses de la belle afin d'étouffer ce scandale sous une juste omerta religieuse...
Deux anges du ciel, ou plutôt deux démons sortis tout droits des entrailles de l'Enfer, sont dès lors missionnés pour transformer l'infâme créature en martyre et sainte dûment assermentés par l'Église. Elle n'a pourtant rien demandé, et se serait sans doute volontiers passée d'une telle grâce. Les anges désignés, ce sont les affreux frères Bronski, deux jumeaux sans pitié, Billie et Mike, infatigables tueurs à gages d'une efficacité redoutable qui comptent déjà à leur actif 1.239 âmes...
Quand le malheureux prêtre, James Brown, retiré dans sa modeste paroisse au fin fond de l'État de Géorgie, réalise qu'il a commis une grosse, une très grosse gaffe, il décide de se racheter auprès de la belle Stella. Pour lui il n'y a désormais pas d'autre choix que de l'aider à fuir. Dans le même temps, un certain Luis Molina, du magazine Savannah News, mis au courant de l'événement et qui veut faire de cette affaire le prochain prix Pulitzer pour le journal, se lance aux trousses de la belle équipée...
Tout ceci nous offre un road-trip jubilatoire digne des meilleures comédies noires américaines, avec des personnages haut en couleurs, finement et facétieusement portraiturés : des tueurs à gage tout droit sortis d'un film de Quentin Tarentino qui citent Nietzsche et Heidegger, une voyante nonagénaire répondant au nom prédestiné de Santa Muerte qui n'a pas son pareil pour sucer le serpent au fond de sa bouteille de mezcal, son vieil amoureux Tarzan avec lequel elle entretient une relation aussi intense et ardente qu'aux premiers jours, un prêtre héroïque, amoureux et bouleversant dans sa quête de rédemption... On devine clairement les références cinématographiques de Joseph Incardona, dont le récit ressemble à un savoureux pastiche totalement déjanté, mais là où l'auteur se détache des références originales et casse les codes du genre, c'est dans la manière de traiter les personnages féminins, en premier lieu celui de Stella. Joseph Incardona fait de l'héroïne de son roman, une femme libre qui habite le monde avec joie, une joie pure, simple, naturelle. C'est peut-être ici le vrai miracle qui s'accomplit et qui fait de Stella et l'Amérique un si beau récit, aussi drôle et touchant que résolument iconoclaste.
Qu'en est-il des messages, me suis-je demandé ? Et y en a-t-il d'ailleurs ? Bien sûr au premier abord on pourrait être tenté d'y lire une charge virulente contre la religion. Mais Joseph Incardona sait clairement faire la part des choses entre la religion du haut, celle des dignitaires du Vatican qui baignent dans l'opulence, le cynisme, le pouvoir et celle du bas, incarnée par le père James Brown entièrement dévoué à sa paroisse, aux laissés-pour-compte d'une Amérique profonde et meurtrie...
Sans doute, à travers le beau personnage de Stella, peut-on voir aussi une forme de rapport au monde innocent, spontané, dans la joie pure de l'instant, comme on l'observe parfois chez les enfants, chez certains fous ou chez les sages. La façon avec laquelle cette jeune femme aborde l'existence et les autres, sans le filtre de la morale et des préjugés, m'a particulièrement touché.
Stella est un personnage magnifique absolument dépourvu d'arrière-pensée, incapable de concevoir le mal et tout entier dans le don, le don de soi, l'amour de son prochain, n'éprouvant aucune répugnance face à ces corps défaits, atrophiés, malades, dont elle prend soin et auxquels elle apporte le plaisir suprême en même temps que le salut. Véritable figure christique, elle irradie tout le récit de sa présence solaire.
Critique sociale acerbe, comédie noire débridée, ce récit est une véritable ode à la joie et à l'amour, un vibrant hommage rendu à l'innocence et à tous les coeurs purs qui, loin de la malignité et de la méchanceté des hommes, réinventent le monde dans la beauté, la poésie et la grâce.
« Il faudrait qu'on se souvienne de la première fois qu'on a aimé pour de vrai, aimé cet autre qui vous a brisé le coeur. Ce moment précis où l'on s'est senti orphelin parce que cette présence nouvelle vous était désormais indispensable. »
Stella fut à mes yeux cette première fois...

Anna (@AnnaCan), qui a lu ce livre avec moi mais n'a pas le temps d'en rédiger un retour, m'a confié le soin de le faire en nos deux noms. Je tiens à la remercier tout particulièrement pour l'échange d'idées et pour sa relecture attentive.
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