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Critique de Zebra


« L'hiver aux trousses » est un livre de 271 pages écrit par Cédric Gras et édité chez Stock en février 2015. Cédric Gras est un adepte de la géographie narrative. Bouleversé par la chute de l'URSS et par ses conséquences démographiques (hémorragie fleuve et irréversible du grand Nord-Est), habité par une profonde empathie pour les contrées de l'Extrême-Orient Russe, Cédric Gras a souhaité confier aux lecteurs ses observations dans un style mêlant érudition et relation au quotidien de ses déplacements. le ton est à la fois sincère et initié.

Cédric Gras se choisit un itinéraire très proche de celui qu'avait retenu avant lui un certain Semion Chourtakov : la logique de cet itinéraire le séduit. Puis il décide de faire ce voyage en automne car cette saison est un éloge à la tristesse, à la paix sereine, et elle a le charme d'hier : un décor poli par le temps. Cédric Gras dévalera donc vers le Sud, accompagnant l'automne depuis sa naissance polaire jusqu'à son apparition tardive aux frontières des deux Corées, fuyant avec l'hiver à ses trousses, d'où le titre du livre. Pour la préparation de son voyage, il s'en remet à ce vieil adage russe : « Espère le meilleur mais prépare-toi au pire ». En avion, il quitte Donetsk (où il réside) et file vers Yakoutsk : là, planté dans la boue d'une piste saturée par la pluie, il se met en branle, amer puis plein d'espoir sitôt qu'une camionnette UAZ le cueille au passage. Vagabond, tenu pour fou intrépide par ceux qu'il rencontre, Cédric Gras sait que nul public n'est là pour l'acclamer : la solitude est son unique spectateur. Coursé par les intempéries, l'auteur s'en va vers l'Est, rencontre des chasseurs qui tirent le canard sauvage, se loge dans une chambre de l'hôpital de Khandyga (priant le ciel qu'on ne l'opère pas pendant la nuit), prend le dernier hydroglisseur de la saison pour se rendre à Oust-Maïa, est convié à expliquer à la télévision locale les raisons de son engouement pour la région, traverse des patelins paumés où survivent des communautés esseulées, contemple des bouleaux aux feuilles dorées, des mélèzes roux et des grues en pleine migration vers la Chine, toute proche, et j'en passe et des meilleures. Confiant en d'heureux lendemains, Cédric Gras flirte avec les derniers lieux habités de la Terre, avalant -au fil de ses rencontres- thé fort, abats de poisson et vodka, se chauffant au coin d'un poële à bois, constatant -au gré des kilomètres parcourus à travers les taïgas vierges et quasi-inhabitées des confins de l'Extrême-Orient Russe- le degré de dénuement dans lequel vivent les autochtones.

Mais Cédric Gras ne se limite pas à contempler la nature. Il relève les « spécificités » les plus criantes de la politique et de l'administration locales : lenteur avec laquelle les fonctionnaires exécutent les tâches qui leur sont confiées, marques de pouvoir absolu des oligarques de province, corruption qui sévit partout, usines dézinguées et patrimoine industriel laissé à l'abandon, maisons de la culture faisant office de discothèques locales, forets égorgées dans l'espoir fou de découvrir du pétrole ou d'autres richesses du sous-sol, etc. En arrière-plan de ses constats, des ethnies qui ne s'apprécient pas réellement (cf. l'exploitation des immigrés tadjiks par des notables yakoutes), des emplois rares et obtenus sur piston (ou sur prostitution), des salaires misérables qui permettent au mieux la survie (« des marchandises dont les prix côtoient les étoiles »), de fréquentes coupures d'électricité par manque de carburant dans les générateurs, des pistes aussi mauvaises que vitales (« la voirie russe ne connait que cela »), des promesses politiques auxquelles personne ne croit plus, des existences abimées. Quel gâchis ! Cédric Gras ressent le spleen du futur, la nostalgie d'un avenir radieux que le pouvoir soviétique avait pourtant promis à tous et pour tous, la certitude d'un épanouissement prolétaire et l'infaillibilité du progrès au bénéfice de tous. Que faire quand on est un spécialiste de la géographie narrative amoureux de cette partie du monde ? Chasser rêves et désillusions et avancer toujours afin de témoigner de ce qui peut être vu dans ces contrées « si sublimes et si épouvantables ». Tristesse et beauté ! On mourrait d'y résider, on jouit d'y transiter (page 64).

Je mets quatre étoiles malgré un intérêt qui va en décroissant en raison d'une place de plus en plus importante laissée -dans le dernier tiers de l'ouvrage- à l'Histoire de ce pays, même si l'on peut admettre que « de grands braves [avaient] foulé ces lieux immémorés ».
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