A force de loger des intervalles de sa vie dans des Eurostars, il était fatal qu'elle y commençât un jour un de ses romans pour emmener ses personnages et ses lecteurices outre-Manche : c'est chose faite. Après Comme des images (2014), où elle soldait ses comptes d'adolescente avec un grand lycée parisien, après Les petites reines (2015), qui faisaient pédaler trois boudins et un soleil dans la campagne française, après Songe à la douceur (2016), qui nous introduisit aux amours étudiantes différées et versifiées, voici Brexit Romance.
Clémentine Beauvais, qui monte en gamme et en volume, nous fait traverser le Channel et nous livre à la jeunesse cosmopolite de Londres, celle des presque trentenaires – ça va si vite - qui se débat dans ses charmes contrastés – je parle des charmes de la capitale britannique – non sans un petit détour très piquant par l'aristocratie locale la plus comiquement réactionnaire.
Nous sommes en juillet 2017, un an après le vote en faveur du Brexit qui a plongé dans l'affliction toute cette génération, née sans frontières et livrée toute numérisée dans ses couches-culottes. A la perspective de perdre leur passeport européen, les jeunes Angliches s'affolent et dans cet affolement, Justine Dodgson, angliche elle aussi, glisse opportunément la start up Mariage Pluvieux qui doit calmer tout le monde : soit une application qui, en quelques clics, permettra aux insulaires de se marier avec des continentaux - ou tales – du moins ceux ou celles décidé·e·s à sortir avec leur parapluie et venir les rejoindre pour consommer du mariage blanc et cinq années de chaste cohabitation. Un certain nombre sont déjà sur place, ce qui devrait faciliter le matching, je veux dire : les rapprochements pertinents.
Si j'étais une blogueuse, je dirais que ce roman est un « bonbon fondant » (plutôt acidulé) ou une « petite perle » (trop grosse pour être tout à fait lisse). Si j'étais critique à Télérama, j'écrirais « jubilatoire », avec trois points d'exclamation. Dégusté entre hier et aujourd'hui, soit un aller-retour en autocar dont les quatre heures ne m'ont jamais paru aussi courtes, je fus une publicité vivante pour les éditions Sarbacane, régulièrement secoué d'une rire inextinguible. Car ce roman est certes fondant et précieux, même pour un quidam comme moi au stade de la jubilación ( « retraite » en espagnol) mais il est aussi et surtout tordant.
Clémentine Beauvais y a encore densifié sa plume et prend son lecteur au collet pour ne plus le lâcher. Plutôt que d'écrire un précis de sociologie comparée anglo-française, ce qu'elle aurait très bien pu faire, la bougresse, elle distille mille anecdotes soigneusement serties dans son récit, qui nous font saisir comme de l'intérieur la vie quotidienne au temps du Brexit, de WhatsApp et d'Instagram. Et donc, je l'ai déjà dit, font exploser périodiquement de rire son lecteur, au point que je me suis pris à conserver prudemment un léger sourire, ma lecture durant, pour éviter un claquage des zygomatiques.
La question pourtant très sérieuse du mariage et de l'amour est, on l'a compris, au coeur de cette intrigue politico-romanesque. Ce n'est pas pour rien que Jane Austen est citée en exergue, aux côtés de Theresa May. Avec ce double patronage, ça ne rigole pas. D'ailleurs Brexit Romance, sous ses airs subtilement loufoques, est, une fois admis le fait que l'existence précède l'essence, un traité essentiel de la rencontre amoureuse à l'ère des réseaux sociaux, de la messagerie instantanée, de l'extrême-doite épanouie (si, si, vous verrez) et du CDD – pardon pour ce sigle galliciste aussi déplacé qu'une Marine le Pen (inside !) dans un coquetèle de l'UKIP.
Non, en fait, je voulais dire que c'est une comédie virevoltante, énervée, stylistiquement éblouissante, où des Français « défaitistes » et néanmoins « conflictuels », à l'exemple de Pierre Kamenev, lecteur de l'Huma et pianiste blessé, mentor de Marguerite, croisent des Anglaises auxquelles la dite Marguerite, la soprano colorature de 17 ans, finira pas s'identifier, jusqu'à devenir, dans son expression, « absolument indirecte et totalement peu claire, et pourtant d'une grande précision dans son vague absolu », en bref, « tout à fait britannique », ainsi que la félicitera sa professeure à son retour à Grenoble.
Le livre de Clémentine Beauvais est un feu d'artifices de références culturelles et de jeux comparatifs sur les langues anglaise et française, qui passeront au-dessus de la tête de beaucoup d'adolescent·e·s, mal armé·e·s par les fables De La Fontaine que vient de distribuer M. Blanquer. D'ailleurs ce livre – Brexit Romance, of course - leur est-il destiné, pour que j'y aie pris tant de plaisir, moi un vieux croûton ? Quand je parlais en introduction de « montée en gamme », j'entendais qu'à mon sens Clémentine Beauvais avait écrit LE roman existentialiste de sa génération. Mais d'un existentialisme qui aurait appris à rire. J'y ai même retrouvé des traces du bookclub que Constance, ma propre fille, vient de lancer à Paris et même une des autrices qu'elle fit lire naguère à ses ami·e·s et que je dois à chaque fois qwanter pour pouvoir en orthographier correctement le nom… voilà, c'est ça, hop, copié/collé : la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie.
Je gage que Brexit Romance va se faire une place de choix à la rentrée parmi cette génération Y. Et qu'il sera vite traduit au Royaume Uni, où notre autrice a, je crois, quelques accointances éditoriales. Le bleu pastel de sa couverture m'a irrésistiblement évoqué, je ne sais pourquoi, mon dernier High Tea chez Fortnum and Mason à Londres. Ça remonte, déjà. Je l'ai donc refermé avec un grand désir écœurant de petits fours et de scones sur des plateaux à étages, arrosés d'un thé fumé fumant bien noir.
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