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Citation de lanard


Plus personne, des décennies durant, ne se risqua à la traversée du détroit qui porte son nom - trop longue, trop dangereuse.
Pire encore : la réalité même de son exploit commence très vite à s'estomper. Dans La Araucana - poème martial en trente-sept chants composés dans les années 1560 - le conquistador Alonso de Ercilla, grand massacreur de Patagons, se fait gloire d'avoir été le premier, en 1558, à découvrir le détroit de la mer du sud "avec seulement dix compagnons, dans une petite barque allégée de son ballast".
A la fin du XVIe siècle, certains, en Espagne et aux Amériques, en viennent même à douter de l'existence de ce fameux passage. Dans son Histoire naturelle et morale des Indes, publiée à Séville en 1590, le jésuite José de Acosta écrit : " Le détroit que Magellan trouva dans la mer du sud, certains pensaient qu'il n'existait pas, ou bien qu'il s'était refermé."
A quoi bon, en somme, avoir fait le tour de tout ça?
Peut-être pour que les écrivains aient quelque chose à dire lorsque viennent les temps mauvais où chaque mot compte, où, dans les termes de Bertold Brecht, "parler des arbres est presque un crime, puisque c'est faire silence sur de tant de forfaits".
De 1935 à 1938, Stefan Zweig travaille à une biographie de Magellan. C'est à sa jeune compagne, Lotte, qu'il confie la tâche de rassembler sur l'homme et son voyage une vaste documentation - laquelle puise d'ailleurs aux meilleurs sources universitaires de l'époque.
Le Magellan de Zweig est un héros sans failles ni faiblesses, l'archétype de l'homme qui abat un à un les obstacles qui se dressent entre lui et on rêve. Mais il est surtout une certaine idée de l'Europe, en laquelle le romancier s'efforce de croire encore, et ce alors même que la nuit monte en lui.
La vraie mort de Magellan - c'est-à-dire la mort de l'idéal qu'on lui fait endosser comme une vêtement trop grand pour lui, la fin du rêve complaisant d'une Europe toute de courage et de curiosité -, la vraie mort de Magellan a donc lieu le 22 février 1942, à Petropolis, à 65 kilomètre de la ville de Rio de Janeiro, lorsque Stefan Zweig et Lotte Altman se suicident.
Car les héros sont comme les fées et les divinités des contes pour enfants : ils ne meurent vraiment que lorsqu'on ne croit plus en eux.
C'est douloureux, ça ne se fait pas sans un pincement au cœur, mais ça s'appelle grandir.
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