Reconnaître mon envie de réduire en miettes le bonheur des autres me rend assez heureuse, je dois dire. Assumer que je me sens parfois exclue de cette scène amusante qu'est la vie. Obligée de me situer comme témoin de mes échecs. Dégrader l'idéal que je m'étais forgé de moi-même. Voir à quel point je peux être triviale et grossière. Traversée par des pensées inavouables en société. C'est finalement réconfortant. La solitude prend un goût moins amer.
Toi... Qu'est-ce que tu veux ?
Qu'est-ce que tu veux vraiment ?
Parlons-en du sexuel, c'était proche de zéro. La journée, j'avais souvent le droit à des tapes amicales, ou une main dans les cheveux, accompagnée d'un soupir, comme pour annuler la micro miette d'émergence d'un désir. Un souffle d'excuse. Quand je le prenais par la taille, sensuellement, il me frottait le dos. J'avais la sensation d'être un petit chien qui réclame de sortir et à qui il chuchote : "pas maintenant".
En tant que femme, je peux me réjouir d'être une E.T. dans ce monde humain et ennuyeux des mâles, c'est ma récompense, ma compensation pour ne pas avoir ma place dans le vocabulaire de la norme. Les femmes interrogent cette norme, soit, c'est leur privilège quand elles ne se font pas écraser par elle.
Ler nombre de fois où je me suis entendue dire, au lendemain d'une rupture : "le plus dur dans tout ça, c'est que j'aspire à une perspective." L'avenir, la profondeur, les trois dimensions. Trouver celui qui permettra de détourner le regard qu'on porte sur soi. Voilà l'objectif du dépendant.
L'hystérie ne cherche pas de réponse, malgré ce qu'elle aime nous faire croire. Elle cherche à être entendue. De cette écoute naissent de nouvelles approches. De cette écoute naissent des interrogations et des remises en cause du discours dominant. Elle est salvatrice et tellement moderne. J'espère profondément qu'elle ne pourra jamais être jugée comme démodée. À bon entendeur !
Là s'enchaîne le souvenir sur le hamster. Elle m'écoute. À mesure qu'elle ne dit rien, je mesure la portée de ce souvenir et l'imposant secret gardé par ma mère et moi contre mon père. Je ris. Je n'en reviens pas. Elle me regarde et ajoute : « Et dans hamster, il y a "se taire" … Très bien, Emmanuelle, quand nous revoyons-nous ? » J'étais sciée. Première séance avec elle. Ça dépotait. Je pleurais et riais en même temps. Et puis cette punchline du « se taire », sont quand même forts ces lacaniens !
L'abondance de couches et de surcouches posées sur les personnalités ne nous éloigne pas de notre authenticité, elle révèle notre appétence proprement humaine à la fausseté.
On m'y autorise, alors je m'y sens forcée. Cette néo-morale m'intime de jouir ainsi, elle me laisse le champ libre, elle me dit que je peux tout avoir et je m'en veux de mon impuissance, je me déteste de ne pas savoir en profiter. C'est là, devant moi, et je suis paralysée. Cela devient normal et cela m'ennuie. En revanche, subvertir ma place m'attire. Mais est-il heureux d'employer un tel verbe ? Existe-t-il encore à l'ère de tous les possibles ?
Je marchais dans les rues de Paris sans penser à rien. Puis me venait l'idée que je n'existais peut-être pas, que j'évoluais dans un décor, les autres que je croisais ressemblaient à des acteurs dans le meilleur des cas, à des zombis ou des ombres dans les pires. J'étais effrayée de devenir folle, mon coeur se mettait à battre si vite que je m'essoufflais en un rien de temps, obligée de me tenir au mur le plus proche. Comme si la scène se mettait à bouger, à vaciller. Mon corps réclamait un appui ferme, une surface dure pour qu'il ne se sente pas désintégré. Certains chassent cette sensation pour retourner à la douceur chimérique d'un "moi" sans aspérité, d'autres écoutent ce fourmillement éphémère, pensant qu'il recèle une vérité. L'angoisse rappelle la présence du désir, du manque, de la perte, elle est la partie visible d'un ensemble bien plus complexe, qu'on appelle le sujet de l'inconscient.