Jean-Félix de La VILLE BAUGE. Magnifique.
Je dois remercier chaleureusement Babelio, en particulier Nathan et les éditions Télémaque pour l’envoi de ce merveilleux roman. Magnifique le prénom de l’héroïne est dévolu comme titre à ce roman. Mais il nous narre une histoire horrible, nous rapporte des faits abominables, nous décrit des scènes apocalyptiques, irréelles, des exactions dignes de personnes complètement hors normes. C’est la GUERRE et qui plus est une guerre tribale, fratricide….
Je reviens du Rwanda, et par un étrange concours de circonstances, ce livre reçu dans la cadre d’une masse critique privilégiée, je me rends à nouveau dans ce pays.. Après avoir suivi le périple de CORNEILLE, chanteur, rappeur, compositeur, écrivain, auteur, je pose mes pas dans ceux de Magnifique. Qui est donc cette femme ? Nous allons faire sa connaissance. Une victime du génocide de 1994, une rescapée, une naufragée saisie par un homme qui lui a sauvé la vie, l’a reconduite sur la rive et lui a donné beaucoup d’amour.
L’action se déroule à Massongo. Au Rwanda, en 1994, il y a environ un million de tutsis et 10 000 hutus. Jeune adolescente, âgée d’environ dix-huit ans, Magnifique Umuciowari est née de parents tutsis. Son père est un éleveur, un homme de la terre, paisible mais fort lucide ; sa mère tricote même lorsqu’elle n’a plus de laine. Le cliquetis des aiguilles dévore le silence. Magnifique est une jeune lycéenne, encouragée fortement par son père à poursuivre ses études afin de quitter son pays natal. Une enfance banale, heureuse, dans une ville calme où tutsis et hutus vivent en toute quiétude, se fréquentant au quotidien, se saluant. Les enfants de ces deux ethnies fréquentent les mêmes établissements scolaires. Au cours des années 1990, des tensions s’élèvent entre les deux tribus. Chacun veut exercer sa prédominance et assujettir son voisin. Le père de Magnifique est un visionnaire. Il anticipe les futurs évènements dramatiques qui se dérouleront dans son pays, exhortant à sa fille unique de ne pas répondre aux attaques de ses compagnons hutus.
Le 6 avril 1994, l’avion présidentiel est abattu en plein vol. C’est le début des exactions Les hutus, nantis de machette massacrent les tutsis.Le carnage dure environ cent jours…. Hier, votre voisin vous adressait la parole, aujourd’hui il vous poursuit avec sa machette et vous tranche la gorge. Magnifique sera témoin de l’assassinat d’une grande partie de la population de son village. Un gigantesque massacre de la population a lieu dans le lieu sacré : l’église du village. Magnifique fait partie des rescapés miraculeux de Massongo, elle qui se voyait miss va connaître une autre destinée. Elle va vivre des jours, des nuits, s’ensevelissant dans la terre, au milieu des décombres, des morts, dans un véritable no man’s land, sortant uniquement la nuit afin de manger, boire, disparaissant dans son trou, pour échapper aux belligérants qui égorgent à tout va. Il faut trouver la solution finale et régler définitivement le problème des tutsis. Un génocide mené de main de maître : tout avait été prévu en amont.
Magnifique va poursuivre son périple. Sortant de sa cache, elle va se mêler au flot de réfugiés qui fuient le pays en ordre dispersé. Des hommes, des femmes, des enfants, tous, le regard hagard mettent, tant bien que mal un pied devant l’autre. L’exode…. Et au détour d’une route : un camion blanc et des militaires, veste et pantalon kaki…. . Magnifique s’évanouit. Elle se réveillera quelques jours plus tard à l’ hôpital du camp de réfugiés. Sauvée, et par quel miracle ! Jérôme Auskl, le chef de la délégation du Comité International de la Croix-Rouge, va prendre soin de notre héroïne. Il veille quotidiennement sur sa protégée. Il la conduit même en Suisse, là où il réside et l’épousera, malgré l’opposition de son père à cette union : un blanc s’unissant à une noire ! Elle lui donnera deux enfants. A la veille d’une délicate opération de l’oreille, Magnifique écrit une confession à son époux, son sauveur. Elle lui raconte son parcours, sa traversée de ce pays en proie à une guerre fratricide. Est-il possible de se reconstruire après avoir vécu de tels évènements, des meurtres accomplis de sang-froid sous ses yeux, avoir assisté à l’assassinat de ses parents, découvrir sur le bord des routes des centaines de cadavres, d’hommes, d’enfants, de bébés, de vieillards, avoir connu la faim, la soif, le froid, marcher, marcher encore et encore pour s’éloigner de ces lieux maudits.
Ces aveux qu’elle désire lui faire partager, la replonge dans son deuil. Des images insoutenables sont imprimées à tout jamais dans sa mémoire. Jean-Félix de la VILLE BAUGE, nous dresse un portrait saisissant de Magnifique. Cette femme qui, au fil des ans a pu se construire, se reconstruire, entourée, portée par l’amour de son époux et de ses enfants. Cependant cette reconstruction n’est pas complète. Des cicatrices, des larmes, des gouttes de sang jalonnent son quotidien. Est-il possible d’avoir une vie dite « normale », après avoir traversé de telles épreuves ? Peut-on et doit-on accorder son pardon à ceux qui nous ont blessés, amputés d’une partie de notre famille, piétinés nos racines, nous ont forcé à l’exil ? Jean-Félix a trouvé les mots pour faire vivre, revivre la vie d’une rescapée des exactions commises dans ce pays détruit par ses propres habitants et qui ne peut effacer les traces de ce génocide. Merci pour ce récit vibrant, pathétique. Toutes mes félicitations pour la qualité de l’écriture, incisive, mordante, accrocheuse. Je recommande la lecture de ce témoignage extrait des diverses missions humanitaires au quatre coins de la planète de cet auteur. Je vais me plonger dans ses précédentes narrations. Bonne journée à tous et découvrez de nouvelles pépites littéraires, que vous nous ferez partager.
(08/08/2023).
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