Dans « Les règles du Mikado » (Gallimard), Erri de Luca orchestre en dramaturge la rencontre entre un vieux campeur solitaire et une jeune tzigane en fuite, dans un col de montagne séparant l'Italie de la Slovénie. Un dialogue s'engage, qui confronte deux visions de la vie. Il perdurera bien au-delà de cette première nuit.
« Entrer dans un livre d'Erri de Luca, c'est entrer chez un orfèvre de la langue. Son style est sans fioritures. Il va à l'essentiel tout en arrivant à créer une promenade poétique auprès de personnages qui n'ont pas besoin d'adjectifs. Ils sont, c'est tout ce qu'on leur demande. Et c'est magnifiquement fait. » Bartleby404 sur Babelio
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Solo andata
Quand nous serons deux nous serons veille et sommeil,
nous plongerons dans la même pulpe
comme la dent de lait et la deuxième après,
nous serons deux comme sont les eaux, les douces et les salées,
comme les cieux, du jour et de la nuit,
deux comme sont les pieds, les yeux, les reins,
comme les temps de la pulsation
les coups de la respiration.
Quand nous serons deux nous n'aurons pas de moitié
nous serons un deux que rien ne peut diviser.
Certaines personnes savent, le jour d’avant, qu’elles ont rendez-vous avec lui. Et, malgré cette intuition, elles ne seront pas prêtes. Le bonheur est toujours une embuscade. On est pris par surprise. Le jour d’avant est donc le meilleur…
Ce n’est pas le jour qui vient, c’est la nuit qui se retire.
Je ne suis pas familier de l'âme,
mais de sa doublure, l'ombre, si.
Elle tourne autour de moi,
me tient compagnie,
me confirme que j' existe.
Celui qui ne rit pas ne peut imaginer le monde.
Il y a des erreurs qui contiennent une autre vérité.
Il y a des créatures destinées les unes aux autres qui n’arrivent jamais à se rencontrer et qui se résignent à aimer une autre personne pour raccommoder l’absence. Elle sont sages.
Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre, et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d'élégance. La beauté qui leur est nécessaire c'est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d'étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches. Le moteur qui pousse la lymphe vers le haut dans les arbres, c'est la beauté, car seule la beauté dans la nature s'oppose à la gravité. Sans beauté l'arbre ne veut pas. C'est pourquoi je m'arrête à un endroit du champ et je lui demande : « ici tu veux ? » Je n'attends pas de réponse, de signe dans la main qui tient son tronc, mais j'aime dire un mot à l'arbre. Lui sent les bords, les horizons et cherche l'endroit exact pour pousser. Un arbre écoute les comètes, les planètes, les amas et les essaims. Il sent les tempêtes sur les soleil et les cigales sur lui avec une attention de veilleur. Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait.
"J'écris pour donner la parole à ceux qui ne l'ont pas"
Lire Mai 2015
PRIÈRE LAÏQUE
Notre mer qui n’es pas aux cieux
et qui de ton sel embrasses
les limites de ton île et du monde,
que ton sel soit béni
que ton fond soit béni
accueille les embarcations bondées
sans route sur tes vagues,
les pêcheurs sortis de la nuit,
et leurs filets parmi les créatures,
qui retournent au matin avec leur pêche
de naufragés sauvés.
Notre mer qui n’es pas aux cieux,
à l’aube tu es couleur de blé
au crépuscule du raisin des vendanges
nous t’avons semée de noyés plus que
n’importe quel âge des tempêtes.
Notre mer qui n’es pas aux cieux,
tu es plus juste que la terre ferme
même à soulever des murs de vagues
que tu abats en tapis.
Garde les vies, les visites tombées
comme des feuilles sur une allée,
sois leur un automne,
une caresse, des bras, un baiser sur le front,
de père et mère avant de partir.
Traduit de l’italien par Olivier Favier. Poème récité par Erri de Luca, sur une chaîne de télévision italienne, au lendemain du naufrage du le 19 avril 2015, qui a fait entre 800 et 900 morts.