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Critiques de Akira Yoshimura (430)
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Le Convoi de l'eau

Un personnage étrange, le narrateur, une vallée mystérieuse, difficile d'accès, perdue dans la brume quelque part au Japon.

Il est sorti de peu de prison et s'est engagé dans un chantier de construction d'un barrage dans cette dite vallée, où vivent des hommes dans un hameau isolé de toute civilisation. Une vallée qui avec son calme et son humidité considérable lui rappelle les quatre murs de sa prison et son passé peu reluisant. Bien qu'ayant une mystérieuse fascination pour la lumière, qu'il éprouve depuis l'enfance et qui lui donne la sensation réelle de paix, paradoxalement, dans cette vallée sans cesse noyée sous la pluie ou le brouillard, il s'y trouve bien. La suite le renforcera, liant son destin à celui du hameau condamné.

Alors que les travaux commencent, s'initie une étrange dynamique entre les habitants du hameau et les ouvriers du chantier. Notre homme observe, le coeur violemment remué par le calme et la discipline de ces habitants qui ne cillent pas face à ces ouvriers venus détruire leur hameau et qui sera bientôt enseveli sous l'eau. Bien qu'un terrible incident chamboule temporairement cette dynamique, les habitants, impassibles, continuent à vivre à leur manière......

Un sentiment de malaise indéfini pèse sur cette histoire qui semble hors du temps. Un sujet révoltant : de quel droit peut-on exproprier les habitants d'un hameau de montagne installés sur une terre depuis quelques centaines d'année, on leur donnant simplement une forte somme d'argent pour quitter les lieux.....ces gens qui ne sauront comment utiliser cet argent pour planifier leur futur ?

“Les chasser de la vallée équivalait à les condamner à mort .”........



J'ai lu et relu les dernières pages, retenant mon souffle, la gorge nouée....

Un texte magnifique d'une noirceur et d'une poésie infinies. Glaçant et Sublime !





“Les silhouettes des habitants du hameau genoux fléchis se diluèrent comme de l'encre de Chine dans la brume”.
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Le Convoi de l'eau

Apaiser les blessures du passé…



« Le convoi de l'eau » d'Akira Yoshimura est une pépite japonaise, un court récit de moins de 200 pages, totalement immersif. Le narrateur, un personnage étrange, quelque peu violent, est sorti de prison depuis peu. Il avait tué sa femme à coup de bûches, devant ses propres petites filles, par jalousie, sa femme le trompant. Afin de fuir les lumières de la ville, trop vives pour son âme encore tourmentée, il s'engage dans un chantier de construction d'un barrage au fin fond d'une vallée isolée en pleine montagne où vivent des hommes et des femmes totalement coupés du monde.



« Au fond du ravin bordé par les versants dénudés de la montagne serpentait un torrent aux reflets métalliques. Et le long de cette eau resplendissante, nous apercevions tout en bas, discrètement blotti, le groupe de maisons dont nous avions entendu parler. le hameau existait bien et se trouvait réellement à nos pieds ».



Une vallée nimbée de brume, constamment noyée de pluie, d'un calme apaisant, qui n'est pas sans lui rappeler les murs humides de sa prison dans laquelle paradoxalement il a vécu ses années les plus propices à la réflexion et à la méditation.

Le barrage à construire conduira à submerger le hameau et donc contraindra la population à l'exil, population avec laquelle les ouvriers ne se mêlent pas. Et en effet, les deux camps s'observent, se regardent, les ouvriers sont fascinés par le calme, l'organisation, la persévérance et la discipline de cette communauté humaine malgré le sort qui les attend …frontière bien étanche entre les deux groupes, les ouvriers restent entre eux, les habitants du hameau entre eux, chacun vivant de son côté sans se côtoyer… jusqu'au moment où un ouvrier abuse d'une jeune fille du village. Cet incident aura de lourdes répercussions et va perturber notre narrateur.



« le souvenir du visage de la fille empreint de honte me faisait ressentir la douloureuse solitude des femmes. Même si elle avait été violée, à partir de l'instant où elle avait cédé, le poids de l'homme s'était-il installé à demeure tout au fond de son corps ? ».



Cet homme se sent en symbiose avec ce hameau et d'étranges échos, telles des réminiscences, vibrent en lui. Comme ce jour émouvant où les villageois se rendent au cimetière pour déterrer les morts et manipuler les cranes « avec autant de précaution que s'il s'agissait de précieuses porcelaines » afin de les placer dans de petites boites dans la perspectives de l'engloutissement de la vallée, de son côté le narrateur nettoie les cinq petits morceaux d'os des doigts de pied de sa femme qu'il a déterrés à sa sortie de prison. Cinq petits orteils qui cliquètent dans leur boite au fond d'un sac à chaque pas du narrateur, lui rappelant sans cesse son crime.

Son acte fut un acte de vengeance extrême et inouï pour profaner sa tombe et lui faire du mal même au-delà de la mort, alors que les villageois témoignent au contraire d'une immense dévotion et d'un profond respect pour leurs morts. le narrateur est ainsi conduit à réfléchir de nouveau à son comportement. La symbiose et la connivence vont s'amplifier après l'incident, il va alors faire preuve de beaucoup de sang froid, de courage et d'humanité, apaisant les blessures, immenses, du passé, reverdissant son âme noire.



« Dans cette gorge constamment ravinée par la pluie, la vitesse à laquelle germaient les bourgeons printaniers était stupéfiante. Au début c'était comme si tout se couvrait vaguement d'une fine couche de poudre vert-de-gris, mais de jour en jour la couleur devenait plus foncée, et bientôt les couleurs fraiches du feuillage printanier se répandaient dans toute la vallée ».



Au-delà de l'histoire personnelle de cet homme, le livre traite d'un sujet délicat, celui de l'expropriation d'habitants d'un village installés sur cette terre depuis des centaines d'années en contrepartie de grosses sommes d'argent dont ces gens, coupés de l'extérieur, n'ont que faire ou ne sauront pas bien utiliser. Les chasser, c'est ainsi les condamner à mort.



Et si cette vallée n'était-elle que symbolique ? N'est-elle pas représentative des tréfonds de l'âme de cet homme ? Les tombes du cimetière, nombreuses et surdimensionnées, ne représentent-elles pas l'obsession du narrateur pour la tombe de sa femme ? Et si ce convoi de l'eau n'était au final que le convoi de son âme vers la rédemption ? La construction du barrage, la construction de ses propres barrières afin d'arriver enfin à expier l'horreur orchestrée ?

Telles furent les questions que je me suis posée à la lecture de ce beau livre très poétique dans lequel nous avons, nous aussi, l'impression de flotter dans une brume légère d'où brillent des moments de beauté suspendus inoubliables. A noter une fin sublime que j'ai parcourue bouche bée…oui inoubliable !



« L'air au-dessus du hameau était pur, les mousses des toits brillaient de couleurs vives comme des algues vertes. Et dans les rayons lumineux du matin, il s'en élevait un peu de vapeur qui semblait ramper ».

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Un dîner en bateau

Dans ce recueil de dix nouvelles, écrites dans le registre du shishosetsu, genre littéraire japonais proche de l'autofiction, Akira Yoshimura entremêle présent et passé au fil des événements qui se croisent, se reproduisent, se répondent d'une nouvelle à l'autre. Akira, le narrateur, un écrivain connu à la vie modeste racole le présent au passé unissant le partage du moment dans l'action, l'écoute et la contemplation , aux souvenirs.



Le poisson rouge, considéré comme un talisman contre les bombardements font remonter des souvenirs peu reluisants d'une guerre à laquelle il a essayé d'y échapper, y étant peu motivé,

Le souvenir douloureux de la famine durant l'occupation américaine donne l'anecdote incroyable du troc de riz clandestin auquel il participa avec succès,

La visite du Nouvel An au temple familiale au Mont Fuji est l'occasion de remémorer les coutumes mortuaires et ses parents, et surtout son père , grand amateur de saké et de femmes, et dont une anecdote libertine qu'il citera dans un de ses livres sera sujet d'embarras envers un tiers,….

La dernière nouvelle , celle qui donne son nom au titre convie le narrateur à assister à un feu d'artifice ,d'un bateau-restaurant sur la Sumida. Mais même venu y passer un bon moment en bonne compagnie, il est rattrapé par son passé qui suscite l'irruption de souvenirs désagréables de la guerre .

Pas de paix pour Yoshimura, dont tous les récits baignent dans les thèmes de la guerre, la maladie, la mort et les liens sociaux et familiaux. Des textes sombres , intéressants balayés par des magnifiques faisceaux lumineux de descriptions très visuelles : « Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu de mante religieuse, et je n'avais jamais eu l'occasion d'en observer de près. Ses yeux à facettes, qui ressemblaient à des étamines de lys tigré, ne bougèrent pas quand j'approchai mon visage, qu'elle m'ait ou non vu. La pince de sa patte avant baissée avait la transparence d'une agate. Elle lissait parfois son aile brun clair, visible au point de jonction de la patte arrière, laquelle avait l'aspect d'une scie à découper. » Des anecdotes autobiographiques qui raconte une vie personnelle assez tragique et complexe , sans aucun doute la meilleure clé pour l'appréciation et la compréhension de la suite de son oeuvre immense. C'est émouvant, c'est étrange, c'est particulier, c'est Akira Yoshimura.
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Naufrages

La tempête qui depuis de nombreux jours sévit sur l’ensemble du littoral breton, l’envie de débuter l’année en compagnie d’un de mes auteurs préférés : la lecture de « Naufrages » d’Akira Yoshimura est bien de circonstances !



Isaku est un jeune garçon de neuf ans, l’aîné d’une fratrie de quatre enfants. Il habite un village isolé à flanc de montagne avec la mer en contrebas. Élevé à la dure par une maman qui le rudoie, Isaku souffre depuis six mois de l’absence de son papa parti travailler dans un port éloigné pour une période de trois ans. L’argent versé au début de son contrat a maintenu jusqu’à présent la famille à flot mais les réserves alimentaires, achetées dans un village situé à trois jours de marche, seront bientôt épuisées.

Au rythme des saisons, Isaku trime comme un adulte pour améliorer le quotidien de ses proches. Seul dans sa barque, le brave petit bonhomme suit à distance les hommes du village : pêcher le maquereau à la main ou le poulpe au crochet nécessite un savoir-faire, l’apprentissage est laborieux.



Depuis longtemps déjà la survie de ces habitants du bout du monde dépend d’un stratagème monstrueux orchestré chaque automne sous l’autorité du chef du village. A l’époque du rougeoiement des feuilles, celui-ci confie à Isaku une astreinte périodique vraiment particulière : alimenter le feu, la nuit entière, sous deux grands chaudrons remplis d’eau de mer et disposés sous abri au niveau de la grève.

S’il permet aux femmes de récupérer au petit matin le sel, ce travail nocturne est avant tout destiné à induire en erreur les équipages pris dans la tempête, à entraîner les bateaux sur les récifs qui bordent le littoral.

Fier d’avoir maintenant la confiance des adultes, Isaku alimente consciencieusement le foyer de l’espérance…



La souffrance est sans conteste le dénominateur commun aux romans de cet écrivain disparu en 2006 et « Naufrages », d’inspiration légendaire, n’échappe pas à la règle.



Tel un peintre impressionniste, Yoshimura insuffle avec bonheur des petites touches colorées à ces paysages entre terre et mer. Une phrase, un court paragraphe, suffisent à stimuler l’imagination du lecteur et cette profusion de contrastes, de lumière, contrebalance la noirceur et la cruauté de l’histoire.



Laissez-vous tenter par ce roman à la beauté cruelle !

Durant l’année qui commence et même au-delà, ses paysages sublimes et son atmosphère ancestrale vous reviendront de temps à autre en mémoire.



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Naufrages

"Comme il pleut ce soir,

N'est-ce pas mon hôte ?

Là-bas à la côte,

Le ciel est bien noir,

La mer est bien haute !

On dirait l'hiver ;

Parfois on s'y trompe...

Le vent de la mer

Souffle dans sa trompe.



Oh ! marins perdus

Au loin dans cette ombre

Sur la nef qui sombre

Que de bras tendus

Vers la terre sombre !"

...



Ces quelques vers de la "Tempête en mer" de Victor Hugo que vous apprécierez je l'espère autant que je les apprécie et qui, je trouve, font écho de façon troublante au récit de Akira Yoshimura car de tempêtes il en est question tout au long de cette histoire.



L'écriture sobre, épurée, presque rêche de l'auteur, caractérisée par un certain minimalisme qui accentue la noirceur et la mélancolie qui émanent de ce récit dont la lente progression se fait invariablement au rythme des saisons, m'a immédiatement touchée. Un récit qui n'est volontairement pas daté et qui pourrait être intemporel mais que certains détails laissent à supposer qu'il se déroule dans les années 1870 au commencement de l'ère Meiji.



Une histoire puissante, poignante, qui nous embarque dès les premières pages vers les rivages lointains d'un petit village côtier au Japon, isolé de tout, perdu entre la mer et la montagne, dont les habitants vivent essentiellement de la pêche. Une vie de dur labeur, éreintante, rythmée par le passage des saisons, des tempêtes et des marées.



Le personnage principal est Isaku, un petit bonhomme âgé de 10 ans, aîné d'une fratrie de trois enfants, dont nous partageons le quotidien durant deux années consécutives. Chaque jour qui passe il récupère les débris des épaves charriés par la mer et malgré son jeune âge il travaille dur comme un homme pour aider sa mère, une femme revêche et peu aimante, qui se retrouve seule après que son père soit parti "se vendre" pour une durée de 3 ans auprès d'une compagnie maritime dans le port d'un village éloigné car c'est malheureusement monnaie courante pour les hommes et les femmes de ce village que de se vendre pour contrer la misère dans laquelle ils vivent.



Autour d'Isaku gravitent les habitants de ce village, des hommes et des femmes très pieux et superstitieux qui ne doivent leur salut qu'aux navires de commerce qui font ponctuellement naufrage (tous les 5 à 6 ans) et viennent s'échouer sur les rochers le long du rivage, attirés par les feux des chaudrons de sel que les habitants font cuire sur la plage les nuits de tempête. Des hommes et des femmes qui dans leur désespoir, n'ont pas d'autre choix que de piéger et piller les malheureux équipages qui osent s'aventurer dans leurs eaux, se rendant ainsi coupables de crimes dont ils tentent quelque part de s'absoudre dans les nombreuses cérémonies, rituels, prières qui régissent leur quotidien.



Ce qui m'a interpellée dans ce récit c'est la résignation qui caractérise l'ensemble des personnages qui acceptent le sort qui est le leur mais ce que j'en retiens surtout c'est cette petite lueur d'espoir qui subsiste jusqu'à la dernière page grâce à l'amour que porte Isaku à ce père absent, un amour indéfectible comme le ressac des vagues qui apporte chaque jour son lot de trésors et fait battre le coeur pur de ce jeune garçon qui fait preuve d'une grande sagesse et de beaucoup d'humilité pour son jeune âge.



Un beau roman que je vous invite à découvrir si comme moi vous aimez l'océan et les histoires un peu tristes...

Merci encore Tretrizoustan...

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Le Convoi de l'eau

Le narrateur fait partie d'une première équipe d'une soixantaine de travailleurs recrutée pour la construction d'un barrage dans une vallée perdue du Japon de l'immédiat après-guerre.

Cet homme a signé ce dur contrat de travail non pas pour le salaire alléchant mais pour fuir un passé détestable marqué par une enfance compliquée et un récent séjour en prison pour avoir fracassé à coups de bûche la tête de sa femme adultère.

Bien que ses nuits soient peuplées des cris de ses deux petites filles qui ont assistées à la terrible scène sanglante, six ans après les faits il n'arrive pas à pardonner la trahison de sa femme.



Au fond de la vallée existe, depuis on ne sait combien de temps, un hameau où vivent plusieurs centaines de personnes mais l'ordre est donné aux ouvriers, d'éviter tout contact avec les autochtones. Les baraquements sont donc construits sur un promontoire rocheux qui surplombe le village.

Un certain nombre de faits graves en rapport avec les travaux du barrage perturbent la vie paisible du hameau et les travailleurs, de leur poste d'observation, assistent médusés aux réactions souvent stoïques des villageois. Le narrateur est bien le seul à ne pas rire des blagues que lancent entre eux les ouvriers du chantier sur la supposée bêtise des gens du coin.



Le jour où les villageois se rendent au cimetière pour déterrer les morts et manipuler les cranes « avec autant de précaution que s'il s'agissait de précieuses porcelaines », le narrateur nettoie de son côté les cinq petits morceaux d'os des doigts de pied de sa femme qu'il a déterrés à sa sortie de prison.

De plus en plus en symbiose avec le village condamné, c'est par une action courageuse et d'une grande humanité que le narrateur entreverra enfin un début de rédemption.



« le convoi de l'eau » est un court roman de toute beauté, empreint de poésie.

Akira Yoshimura signe là une fable où deux histoires – celle du narrateur et celle des habitants du hameau voué à la destruction – évoluent en parallèle pour finalement se rejoindre dans un dénouement chargé d'émotions.



Quelle est belle cette humanité cachée au tréfonds de l'âme humaine capable de soudain se réveiller et de franchir… le plus résistant des barrages !

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Naufrages

Il y a des romans qui vous emportent loin, très loin, aux antipodes géographiques et temporels laissant s’effeuiller les phases de la vie quand la misère mijote dans le chaudron du temps.

Celui-ci est de cette trempe et réserve son lot d’étonnants rebondissements.

J’ai ressenti de la joie et souvent du malheur à m’évader avec Isaku le petit pécheur dans les saisons de son existence.

Printemps-été-automne-hiver ont laissé place à sardines-encornets-maquereaux-poulpes, inévitables quand la famine tracasse et que manger rythme les carcasses.

Dès huit ans, remplacer son père dans son travail parti se vendre ailleurs pour faire vivre sa famille est devenu son quotidien cadencé par sa mère sévère.

Rien, ni personne, n’est à envier dans cet univers agressif et pourtant, il se dégage une sensation de sérénité extrême où l’on accepte sa condition sans ciller et quelques soient les souffrances, les plaintes sont tues, les contraintes sont acceptées et serviront vraisemblablement d’enseignements aux générations futures.

Ce conte philosophique, où soufflent la tempérance et l’humilité, enseigne à ne pas se réjouir trop vite d’une aubaine et à savoir gérer ses acquis.

Isaku, à la demande du chef du village, passe quelques nuits à faire griller du sel dans des marmites, le feu vif ainsi produit attire les bateaux qui s’échouent, les villageois peuvent donc les dépecer pour profiter de la cargaison.

L’ignorance et la naïveté étant les alliés du « bien mal acquis ne profite jamais »,

la petite communauté perdue au fond de la baie devra supporter les conséquences de ses actes. L’auteur dispose de ce talent de traduire les petits bonheurs comme les grandes horreurs avec de telles nuances que, quelque soit le dénouement, il nous noue les entrailles.



En débutant ce roman, je n’ai pas imaginé, dans une certaine mesure pouvoir discerner une sorte de similitude avec la situation actuelle de confinement dû au Covid 19 et à son issue.

Et pourtant…C’est sûrement pour cette raison qu’au terme de cette lecture, je me découvre bien moralisateur, néanmoins, comme disait Confucius :

« L’expérience est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la porte. »

Faites la vôtre !

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Le Convoi de l'eau

Convoi de l’eau ou convoi de l’âme ?

Construction d’un barrage au fond d’une vallée ou expiation d’un carnage du fond d’une destinée ?



« Pour moi inhumer cette jeune femme était quelque chose d’important qui apaisait ma blessure du passé. »



Brume des sentiments et brouillard des agissements sont éclairés, clarifiés par les mots poétiques d’Akira Yoshimura.



L’eau comblera la vallée et avalera le passé du hameau qui ne sera plus porté que par la mémoire des hommes, véritable barrage à l’oubli des âmes.



On ne part jamais pour rien : certains pour oublier, au mieux pour estomper, faire taire les relents d’avant, d’autres y sont forcés par des intérêts d’état ou des tas d’intérêts.



Akira Yoshimura mêle avec esprit et malice le parcours d’un homme blessé et la bravoure d’un hameau sacrifié.



Tout en finesse, ce chassé-croisé m’a emporté et je suis parti avec eux, au plus profond de la forêt des êtres.



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Naufrages

Isaku a neuf ans et vit dans un petit village coincé entre la mer et des montagnes escarpées.

La vie y est rude et dictée par les saisons, la pêche, la vente de sel et de maigres récoltes.

Pour survivre, des villageois sont contraints de se vendre pour quelques années à l’autre bout de l’île. C’est la cas du père d’Isaku, parti pour trois ans le laissant avec sa mère prendre soin de ses sœurs et de son frère.



Nous suivons ainsi la vie Isaku de ses 9 jusqu’à ses 12 ans.

Le récit est ponctué par le cycle des saisons et cela lui confère un rythme et une musicalité.

Chaque année est marquée des mêmes événements :

le roman débute avec l’automne et le rougeoiement des feuilles annonçant la pêche aux poulpes ; lorsque les montagnes perdent leur couleur, la mer commence à s’agiter, une étrange cérémonie peut commencer avec l’intervention d’une femme enceinte, sorte de prière pour qu’il y ait un naufrage ;

à partir de là, deux chaudrons pour la cuisson du sel seront chauffés toute la nuit sur la plage ; suivront les premières neiges, le Nouvel-An, la floraison des pruniers dans le village éloigné du leur, la fonte des neiges, la vente du sel ;

à la mi-mars, un rituel pour obtenir une bonne pêche ; il y aura encore la pêche aux sardines, puis aux encornets, ensuite aux maquereaux, la récolte de la ramie, la vente des maquereaux sales contre des céréales, la fête des morts....



Tous ces événements se répètent, d’année en année, et nous voyons qu’ils ne suffisent pas à survivre, le village est à la merci d’une mauvaise pêche.

Survivre implique aux chefs de famille et aux filles à se vendre pour quelques années.



Depuis des générations, et c’est dicté par les traditions ancestrales, on espère, attend et facilite les naufrages.

Ceux-ci permettent au village de ne pas disparaître.

La cote est escarpée, les récifs sont nombreux, pour tromper un navire en difficulté, l’on cuit toutes les nuits le sel dans deux chaudrons sur la plage sous de grands feux qui ne peuvent s’éteindre, afin d’attirer les bateaux vers les récifs et s’emparer ainsi de leur précieuse cargaison (riz, saké, sucré blanc, chandelles, tabac,...) et de vivre quelques années plus à l’aise.

Ces naufrages sont rares, cachés et bien entendu illicites.



Je suppose que l’action se déroulé au moyen-âge, Akira Yoshimura nous décrit toutes les superstitions et traditions, les croyances quant à la mort, à l’âme des défunts, à la réincarnation, aux présages qu’apporte un arc-en-ciel, il nous détaille la cérémonie des funérailles, comment les couples se forment, les interdits (ni rire, ni parler pendant cinq jours après le Nouvel-An), comment sont considérés les suicides, etc



Le livre s’attache à Isoku qui endosse des responsabilités d’adulte, sui va grandir vite, qui va découvrir une à une les traditions, on verra ses relations avec sa mère, sévère, qui lui impose une discipline de fer et lui inspire de la crainte, mais qui montre parfois de la tendresse pour lui. Isoku est jeune encore mais son cœur bat pour Tami, une jeune fille qu’il espère un jour pouvoir épouser.



Ce qui est assez remarquable c’est la faculté qu’a l’auteur a ne pas nous faire juger ces actes qui s’apparentent à du piratage, tant il nous fait plonger dans cette vie difficile, cette survie. Quand on a tout, il est facile d’avoir un comportement moral !

Ici, les valeurs sont celles du travail, du travail pénible, du sens du devoir, du respect des ancêtres.



C’est un récit sur la lutte, l’importance de la communauté, il est beau et déchirant.

Il a moins de deux cent pages pourtant, mais est extrêmement dense et en même temps sobre, l’auteur se contente d’énumérer les faits, nul besoin de développements pour nous faire comprendre la vie du village.



La fin est tragique et émouvante.



C’est un grand livre et je voudrais remercier Sachka qui me l’a conseillé.









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La guerre des jours lointains

Août 1945, le Japon est en train de perdre la guerre. Les Américains bombardent sans relâche les villes et les villages en larguant des bombes incendiaires depuis leurs B29. Takuya reçoit l'ordre de tuer un pilote. Il obéit froidement. Cet aviateur américain a causé la mort de milliers de civils. Takuya ne fait qu'accomplir son devoir.

Mais la guerre terminée et perdue, ceux qui ont exécuté des Américains se retrouvent accusés de crimes de guerre.

Takuya doit fuir et se cacher. Et c'est un Japon ravagé par les incendies et la famine que nous allons traverser avec lui.



Livre de guerre, roman à suspense, livre de philosophie et même de poésie, ”La guerre des jours lointains” réussit la prouesse d'être tout cela à la fois.

Yoshimura s'est documenté. Il pose des faits. Il y a eu des exécutions sommaires et des tortures de la part des Japonais. Il y a eu, aussi, Hiroshima et Nagasaki.

Takuya est du côté des perdants et pour cela il risque la pendaison. Mais si le Japon avait gagné la guerre il aurait probablement reçu une médaille. N'est-ce pas absurde? Ce qui était le Bien s'est soudain transformé en Mal. Le héros est devenu un monstre.Tout est affaire de circonstances finalement et l'arrogance des vainqueurs devient humiliation de vaincus.

Takuya doit maintenant vivre avec le fantôme de ce soldat qu'il a tué, un américain qui, comme lui, a accompli son devoir avec courage. Yoshimura le fait réapparaître régulièrement dans les souvenirs de notre héros, lui rendant hommage en quelque sorte. Car, quelque part en Amérique, des parents pleurent leur fils. Ils étaient deux soldats, l'un japonais, l'autre américain. Deux minuscules rouages de la barbarie. L'un est mort et l'autre pas. Absurdité encore, de la guerre et du destin.



J'ai lu ”La guerre des jours lointains” comme un plaidoyer contre la guerre mais aussi comme un hommage rendu aux hommes qui défendent leur nation. Le roman n'est jamais manichéen et nous amène à de profondes réflexions. Qu'aurions-nous fait à la place de Takuya? Au nom de quels intérêts patriotiques a-t-on pu détruire tant d'êtres humains?

Takuya fait un chemin intérieur, celui de l'humilité et du repentir. ” Il éprouvait de la pitié pour la silhouette de cet homme mort, face contre terre.”



Ecrit dans un style d'une sobriété et d'une pureté sans pareil (je souligne au passage l'excellente traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle), ce livre m'a bouleversée. C'est cela la magie de Yoshimura, une tension dramatique qui va croissante servie par une écriture toute en retenue. C'est beau et parfaitement maîtrisé, comme un combat de kendo.





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Le Convoi de l'eau

Je ne suis pas familière de la littérature japonaise. Aussi ai-je abordé avec curiosité le roman de Akira Yoshimura : le Convoi de l'eau. Une fable assez déroutante pour moi en tout début de lecture par son atmosphère. L'eau sous toutes ses formes, la brume, la mousse, la forêt sont omniprésentes et constituent un décor un peu irréel, souvent oppressant par son caractère inhospitalier : "La vallée était sans cesse noyée sous la pluie ou le brouillard".

Dans cette nature pas toujours bienveillante évoluent des hommes qui n'appartiennent pas aux mêmes mondes. Les premiers, à commencer par le narrateur, sont les représentants de ces technologies avancées qui sont l'apanage de notre civilisation moderne. Ils sont là pour construire un barrage sur la rivière K. Les seconds sont les "habitants du hameau" celui même situé au fond d'une vallée qui constitue "une forme naturelle idéale pour un lac de retenue". Vous l'aurez compris, ce village doit être détruit et ses habitants devront le quitter dès que les autorités chargées de la construction du barrage l'auront décidé. La thématique sous-jacente à cette histoire est donc bien celle liée à la spoliation des droits des peuples autochtones face à une civilisation plus agressive que la leur et qui n'hésite pas à détruire tout ce qui fait obstacle au progrès, au profit et au confort...

Ce qui m'a beaucoup plus dans ce court roman c'est justement le traitement de cette thématique. Pas de condamnation directe, pas de jugement mais un regard, celui du narrateur, derrière lequel on sent la présence de l'auteur. Ce narrateur va, en effet, à la suite des résonances avec son histoire personnelle, être amené à observer avec intérêt ces "habitants du hameau". Et au fur et à mesure qu'avance l'histoire nous allons découvrir avec lui que ce petit groupe de femmes, d'hommes et d'enfants, fait preuve d'une humanité qui force notre respect.

D'abord profondément surpris et décontenancé par leur obstination de fourmis à reconstruire sans se lasser ce qui a été détruit par le dynamitage des rochers surplombant leurs habitations, il va découvrir petit à petit les valeurs qu'ils partagent. L'importance, par exemple, des rituels liés à la mort et qui dégagent à la fois une familiarité et un respect déconcertant pour les défunts et leurs restes. Le narrateur va être aussi confondu par le soin et l'intelligence dont ils font preuve dans la gestion de leur environnement à savoir l'eau et la forêt. La cohésion et la solidarité de leur groupe seront également très présents dans l'organisation de leur départ...

Peu à peu et tout comme le narrateur nous passons de l'étonnement à une admiration sans réserve pour ces femmes et ces hommes qui font face à leurs "ennemis" mais sans la moindre agressivité ou précipitation.

La fin du roman est superbe, à la fois par son caractère hallucinatoire mais aussi solennel, onirique et symbolique. D'un symbolisme qui nous parle beaucoup à nous, femmes et hommes du XXIe siècle ! Mais je n'en dirai pas plus...

Je me rends compte en terminant cette chronique combien j'ai été impressionnée par la force de l'évocation de l'auteur face à ces "habitants du hameau". C'est une lecture sélective que j'assume mais qui n'est pas la seule possible;

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Naufrages

Les journées n’étant pas extensibles en heures, il me faut malheureusement parfois renoncer à certaines tentations croisées sur babel ou du moins les mettre en attente.

« Naufrages », c’est une tentation due à Sachka qui a su trouver les mots pour me faire refaire un pas vers la littérature Asiatique, littérature avec laquelle je n’ai aucune affinité.

Merci Joëlle pour la découverte de ce bouquin que je n’aurais jamais eu l’excellente idée d’ouvrir sans ton billet.

J’y suis allé à petits pas, j’en suis sorti à regret.



« Naufrages », c’est la vie d’un village de pêcheurs Japonais, coincé entre mer et montagne, à travers le regard d’Isaku, petit bonhomme de neuf ans qui va devenir soutient de famille après que son père soit parti « se vendre » pour une période de trois ans pour nourrir sa famille (concept toujours à la mode puisque tous les jours nous nous vendons pour un salaire, mais ce n’est pas le sujet, pardon)...

Avec la pêche pour seul moyen de subsistance et de revenu, le village tente de provoquer des naufrages pour améliorer l’ordinaire.

L’océan et la montagne en font voir de toutes les couleurs aux villageois. Des pourpres du ciel qui enflamment l’océan, lui donnant les teintes dorées et rouges des feuilles couvrant la montagne, ces ambres qui annoncent la fin de la saison de la pêche, des gris prémices des tempêtes à venir. On va aux naufrages comme on va aux moissons. Et puis ces nuages bleus qui peu à peu éclaircissent les jours plombés et donnent à l’océan des tons argentés. Les bancs de maquereaux et de sardines sont de retour. Au rouge des feuilles qui s’étaient parées d’un blanc cotonneux avant de se mettre à nu, succède le vert de l’espoir, de l’en vie.

Trois ans vont être rythmés par les nuances de la palette de dame nature, trois ans pendant lesquels j’ai partagé le quotidien de la famille d’Isaku sans forcément toujours comprendre ni accepter ce fatalisme, cette soumission à la tradition et à l’ordre établi. J’ai partagé leurs émotions, leurs craintes, leurs quelques instants de sérénité, presque de bonheur. J’ai respiré avec eux, j’ai senti le poisson fumé, l’odeur de la graisse qui brûle et puis celle de la peur, celle de l’océan, de la forêt, tous ces parfums qui révulsent ou qui ravissent. L’odeur du sel m’a brûlé une peau burinée par le soleil, sillonnée par le vent, séchée par la terre.

Et puis des vagues et des vagues et encore des vagues, d’océan, d’émotions.

C’est écrit (ou traduit) avec ce qu’il faut de poésie pour attraper l’amateur que je suis et ne pas faire fuir l’allergique. Il y a bien cette retenue (légendaire ?) Asiatique mais pas plus qu’il n’en faut, les masques tombent et le cœur s’ouvre malgré les regards extérieurs.

En fait, il y a ce qu’il (me) faut de pudeur et ce qu’il (me) faut de « lâcher prise » pour apprécier vraiment un bouquin qui me raconte une histoire.





J’allais oublier… il y a une fin qui ramène à une actualité brûlante qui là aussi me laisse perplexe quant à cette docilité dont nous faisons preuve quand « l’autorité » et la peur se joignent, comme toujours depuis la nuit des temps, pour nous faire aller là où on veut qu’on aille, mais là aussi c’est une autre histoire…

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Le Convoi de l'eau

Le Convoi de l’eau… Un titre qui invite à la poésie, à la rêverie, à la douceur et au monde paisible.

Akira Yoshimura… Un auteur qui m’a subjuguée avec Naufrages, qui sait faire vibrer la corde sensible en moi, qui me rappelle mes voyages nippons et ravive mes sentiments et émois.



J’ai ouvert ce livre avec la délicatesse nécessaire à l’ouverture d’un cadeau précieux, consciente du trésor que j’allais y trouver.

J’ai dégusté sa première ligne. Simple. Belle. Dynamique. Joyeuse : « De l’avant de la file nous parvint un joyeux tumulte ».

Et me voilà plongée en terre connue… A flanc de colline, sur un sentier montagnard, à la file indienne, des amis devant, des amis derrière. Et ces rires qui fusent de ce bonheur d’être ensemble et d’humer l’air frais, admirant des paysages exceptionnels et savourant la brise légère qui rafraîchit nos visages sur lesquels perlent la force de l’effort.



Deuxième phrase : « Les voix qui s’élevaient dans la pénombre de la forêt déclenchèrent des cris aigus et les battements d’ailes d’oiseaux sauvages. »

La magie continue. Les regards émerveillés s’élèvent dans le ciel. Les nuages dessinent l’essentiel des rêves. Les oiseaux se détachent en un vol tumultueux et nous prennent à témoin. Leur tranquillité dérangée, ils n’ont de cesse que nous faire admirer leur beauté colorée.



Ca y est… J’y suis. Il n’a fallu que deux phrases pour que je sois totalement dépaysée, charmée, transportée.

Le reste du roman n’est que la suite d’un tapis tressé de mots sélectionnés et assemblés comme seul un orfèvre de la plume sait le faire. Le style de Akira Yoshimura est unique et inimitable. Elle me touche au cœur. Et c’est là le trésor de ce livre.



Quant à l’histoire, j’avoue que je l’ai reléguée au deuxième plan, privilégiant la beauté du voyage textuel et la construction des phrases. Elle retrace le travail sans failles d’ouvriers engagés dans la construction d’un barrage en haute montagne et qui petit à petit se laisse interpeller par les us et coutumes mystérieux des villageois qu’ils vont devoir déloger. De nombreux passages décrivent le travail acharné des ouvriers, dans le détail. C’est la partie qui m’a le moins plu. Le dernier tiers du livre est de loin le plus passionnant, chaque personnage se détournant de son devoir professionnel pour s’intéresser à l’autre, à sa culture, à ses émotions, à ses croyances.



La fin m’a laissée sur ma faim. Je voulais que l’auteur m’attire plus loin dans ses émotions. Dans les miennes. J’en voulais plus. Il m’avait donné à manger. Je voulais qu’il m’inonde de plaisirs littéraires. Mais Yoshimura a préféré me laisser la responsabilité de la suite de l’histoire. Seule sur mon chemin de montagne, me voilà un peu perdue. Est-ce parce que mes attentes étaient trop hautes ? Trop figées ? Trop intenses ?



« Devant mes yeux se succédaient les montages enneigées, indifférentes, en une étendue qui se déroulait à l’infini. ». J’ai refermé ce roman, touchée au cœur. Je me suis relevée après cette pause. J’ai remis mon sac à dos. J’ai repris le sentier de la vallée. Un peu grandie. Un peu différente. Consciente qu’un petit miracle vient d’avoir lieu.

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Un dîner en bateau

Bizarres ces nouvelles nipponnes. Empruntées car amie Babéliote en avait lu et j’avais envie de changer de style entre deux lectures déprimantes et/ou sérieuses. Tout réside dans l’atmosphère. A cheval sur la fin de la seconde guerre mondiale et la période qui suit, l’auteur nous baigne dans la pénurie de denrées, de matériel de base qui a constitué le quotidien des populations des pays dévastés à cette époque. Il ne faut pas chercher forcément d’intrigue, de fil narratif, il y en a peu : un trajet en train pour récupérer du riz au marché noir en échappant à la police, une rencontre avec une vieille femme évoquant un non-dit du passé avec le mont Fuji en arrière-plan... Cela m’a fait penser à Jiro Taniguchi . . .

L’ensemble brosse un état des lieux presque psychologique de ce Japon se relevant de la deuxième guerre mondiale et qui allait se lancer à la conquête économique du monde dans un temps relativement plus pacifié.

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Le Convoi de l'eau

A l'aube de cette excursion littéraire, je m'enfonce dans la forêt. Peu importe son nom, peu m'importe son lieu, j'erre au milieu de fougères et d'arbres centenaires. De temps en temps, je vois un chemin qui serpente vers un minuscule temple, ou un jizo semé là, presque étouffé par la végétation luxuriante de ces chemins. L'aurore amène ses couleurs comme le vent charrie ses odeurs. La nuit s'estompe, certains coins de la forêt restent encore plongés dans le noir absolu, comme si un peintre s'était amusé à les calligraphier d'encre de Chine.



Entre deux méandres du sentier solitaire emprunté, je fais une pause, pose mon sac-à-dos, et décapsule une bière pour étancher ma soif matinal, m'essuyer le front de cette sueur moite qui suinte par les pores de mon corps. Reprendre mon souffle avant de retrouver mon chemin, une pluie fine dégoulinant du ciel obscur. Et là, le souffle se coupe, de nouveau. Perdu dans les montagnes, je vois étrangement un hameau suspendu au milieu de la vallée. Quelques maisons brinquebalantes en bois, des toits de mousse, une rivière et son moulin un peu plus en retrait. Des habitants vivent donc dans cet endroit si reculé, si loin de tout, alors qu'il n'y a même pas encore l'eau courante... J'ai entendu parler d'un projet venant à l'amener jusqu'ici... ou du moins à noyer le village pour construire un barrage en amont. Peut-être même que les travaux ont déjà commencé sur un autre versant de la montagne, j'entends au loin des bruits de tronçonneuses. Le convoi de l'eau serait donc en marche...



Je reviens un instant sur mon souffle coupé, devant la beauté de ce panorama. Mais, aussi je perçois un sentiment étrange, une certaine "brume" semble flotter sur ce village isolé. Une sueur froide coule le long de mes tempes. J'ai subitement du mal à respirer, comme étrangler par une sensation indéfinissable. Je sens qu'il se passe quelque chose dans ce hameau. Étrange, voir malsain. Où en est la folie des hommes ? Où en est la cruauté des hommes ? Au milieu de tout ça, je repense à un bouquin qui ne me quitte plus depuis des années. Naufrages. J'ai donc fait naufrage loin de la mer, mais si près de l'eau. Il y a des moments qui sont difficilement oubliables, comme un amour, ou une mort. Ou comme le hameau perdu dans la brume que je fixe longuement depuis plusieurs heures sans le lâcher du regard, une petite tache blanche flottant sous un arbre m'intrigue... Un mystère de plus dans ce hameau. Un malaise, une poésie.
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Le Convoi de l'eau

La longue file de nos ouvriers s'étire sur le flan de la colline. Au creux de la vallée, près de la rivière s'offre à notre regard un antique village, dont les habitants vivent en huis clos depuis toujours. C'est une société hors du temps. C'est en tout cas ce qu'on suppose parce qu'on ne peut que les observer, de loin. Ils peuvent nous voir aussi maintenant que notre camp est en face. Chacun vit son existence et on fantasme celle de l'autre. le moindre geste est surprenant ou suspect de si loin.



Nous savons qu'ils savent.



Leur village va disparaitre sous les eaux, on est là pour construire un barrage. Il leur reste quelques semaines pour partir. Et nous, on prépare la suite, on creuse, on fore, on mesure, on calcule.

On se demande comment ils vont faire, on se demande ce qu'ils pensent de nous quand ils nous regardent. On ne peut pas leur parler, ça déclencherait un massacre, surement. Ils doivent nous haïr. Mais là leur peine est terrible, et si on essayait...



Quand je les vois je pense à ma femme, à ma vie, mon enfant, mes secrets; il y a des choses qui me rapprochent d'eux, mais quoi? Cette attente est interminable.



On est tous l'étranger de l'autre tant qu'on a pas été à sa rencontre.
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Mourir pour la patrie

J'aime beaucoup les livres qui nous transportent de l'autre côté d'une frontière que l'histoire a tracé entre nous et un morceau de l'humanité. Dans la guerre Etats-Unis/Japon, nous sommes clairement du côté de la bannière étoilée et avons donc eu plutôt l'occasion d'entendre les voix américaines la décrire. le livre de Yoshimura nous invite à regarder avec d'autres yeux.





Et quand il s'agit de ceux de Shinishi, un jeune garçon de 14 ans qui vient d'être enrôlé dans l'armée pour défendre sa terre d'Okinawa, petit bout de Japon situé à égale distance de Taiwan et de la mère patrie, on est invité dans le surréalisme. Les Américains arrivent au large, bombardent l'île et toutes les forces vives doivent être réquisitionnées. Les élèves de 12 et 13 ans râlent même qu'on leur refuse l'intégration. On est donc très vite confronté à la fierté japonaise, à leur jusqu'au-boutisme qui s'illustre par les kamikazes (qu'on voit ici à l'oeuvre pas uniquement dans les avions mais à pied, face aux chars, une mine dans le dos), à leur désir de mourir en héros. J'ai redécouvert les phénomènes de l'emprise que je côtoie professionnellement au quotidien dans les problématiques de violences conjugale. La majeure partie de la population semble hypnotisée et dirigée vers un but commun.





La prose de l'auteur est âpre, rude. Aucun détail ne nous est épargné, tout est décrit, la boue qui englue tout le monde, les pous qui recouvrent le corps tout entier, les asticots qui envahissent les blessures qu'on ne parvient pas à faire cicatriser... Je m'arrête de peur de trop vous effrayer, mais sachez juste que je ne suis pas encore arrivé au pire. Il n'y a pas de jugement subjectif sur l'horreur décrite, le héros semble en pilotage automatique, seulement étonné parfois lui-même par son absence d'émotions. Yoshimura nous laisse donc un peu seul face à cette horreur et cela ne fait finalement pour moi que renforcer l'effet répulsif de la guerre et de ses drames. C'est un choix osé mais payant.





Alors qu'on se trouve régulièrement au coeur des combats, sous les bombes, les balles qui sifflent, les bruits des chars, c'est presque à un roman contemplatif, comme le désert des Tartares de Buzatti, qu'on est confronté. Car au fil des fonctions subalternes qui lui sont confiés (transmission de messages, transport des blessés) et des déplacements de troupes ordonnés par les gradés, le destin glorieux de Shinichi ne cesse de lui échapper. Même dans les moments les plus tendus, il ne cesse d'être empêcher de réaliser son rêve: tuer un ennemi, servir sa patrie. le devenir des blessés est craint, les morts inutiles également. Il faut que la mort serve à quelque chose, sinon toute cette horreur aura été inutile. Dans ces circonstances extrêmes, plus rien n'est respecté, les caveaux servent d'abri, les tas de cadavres de cachettes, les liens familiaux disparaissent.





Ce livre nous confronte de plein fouet à la déshumanisation totale qu'entraîne la guerre, à son inutilité aberrante. Sans aucun moment moralisateur, il est tellement plus efficace que les multiples déclarations d'intention des plus grands pacifistes.
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Voyage vers les étoiles (précédé de) Un spécimen tr..

Ce n’est pas ce que j’ai étudié, mais à l’université, afin d’aider une jeune polonaise qui venait de quitter son pays, et qui n’avait pas encore toute la maîtrise de notre langue française, j’ai assisté à certains cours de la faculté de psychologie pour prendre des notes. Le professeur y exposait certains cas vécus.

Pourquoi me souvenir de cela ? Parce que dans ce livre aussi, j’ai été ébahi devant certains comportements que peuvent avoir les hommes.



Il comprend deux nouvelles.



La première, Un spécimen transparent, s’attache à Kenshiro qui, dans un établissement hospitalier, prélève des spécimens osseux sur des cadavres, travail méprisé par la plupart de ses collègues et qu’il est obligé de cacher à sa cellule familiale, ses relations amoureuses antérieures ayant pris fin lorsque son métier était révélé. Kenshiro aime son métier et veut atteindre la perfection en réalisant des os parfaits, transparents.

Cette fascination pour les squelettes est extraordinaire pour lui et Akira Yoshimura nous la décrit avec justesse et nous découvrons jusqu’où elle peut aller.



La seconde, Voyage vers les étoiles, nous fait suivre un groupe de jeunes désœuvrés, sans buts, sans envies qui ont décidé un jour de mourir. L’auteur nous décrit bien leur psychologie et s’attache particulièrement à l’un d’eux, Keichi, relatant ses pensées, ses hésitations. Suivra-t-il les autres dans ce voyage vers la mort et vers les étoiles ?



Vous le constaterez, rien de bien joyeux dans ces thèmes ! Tous deux sont liés à la mort, qu’elle soit effective ( un cadavre), ou qu’elle constitue un but pour sortir de l’ennui.

Est-ce l’image de la mort dans le Japon d’aujourd’hui, je ne suis pas qualifié pour l’affirmer mais je le soupçonne quelque peu. D’autre part, est-ce un portrait d’une partie de sa jeunesse qui aurait perdu toute ambition ?



Rien de bien joyeux donc mais l’écriture est extrêmement belle, Akira Yoshimura parvient à donner à ces nouvelles des accents poétiques tout en évitant tout lyrisme.



J’ai découvert cet auteur grâce à Sacha qui m’avait conseillé son roman Naufrages , un livre qui fut mon grand coup de cœur l’an dernier, et que je vous incite à découvrir, il se situe un cran au-dessus de ces nouvelles.



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La jeune fille suppliciée sur une étagère (suivi ..

Troisième incursion pour moi dans l’univers d’Akira Yoshimura.

Je reste sous le charme de cet auteur.



Deux nouvelles dans ce livre :

- la Jeune Fille suppliciée dur une étagère

- Le Sourire des pierres



Comme dans les deux nouvelles lues précédemment (Vers les Étoiles et Un Spécimen transparent), la mort est omniprésente.



Dans la première une jeune fille de quinze ans décédée depuis deux heures à peine, continue à voir tout ce qui se passe, le dépeçage morceau par morceau de son corps, les réactions des personnes autour d’elle, elle continue à éprouver des sentiments. L’idée est originale et bien traduite par le texte qui, malgré les images qui nous viennent à l’esprit, évite d’être morbide.

Petite remarque : l’un des personnages secondaires de cette nouvelle, publiée en 1959, est l’ébauche du protagoniste principal de sa nouvelle Un Spécimen transparent qu’il publiera plus tard en 1974.



La seconde nouvelle nous relate les retrouvailles d’Eichi avec Sone. Ils ne se sont plus vu depuis l’enfance. Sone le convaincra d’accepter de l’accompagner pour quelques jours pour un travail peu légal dans un cimetière et montrera une facette inquiétante de sa personnalité.



Yoshimura continue à m’épater par son style, il parvient à sublimer des thèmes étranges voire dérangeants, en tout cas très originaux.

Son roman Naufrages conserve toutefois la première place et sa plus grande révélation jusqu’à présent.

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Naufrages

Superbe rencontre avec un écrivain! Je ne regrette absolument pas ma lecture, ce livre est magnifique, même si les sujets abordés sont graves voire tragiques. Ce roman nous conduit au Japon, très probablement au 18ème ou 19ème siècle, dans un pauvre village de pécheurs ou se perpétue depuis toujours des traditions étranges, qui ne dérangent pas les villageois. L'histoire est intéressante, l'écriture est belle et agréable. Ce roman est presque un coup de coeur, et tout au moins une lecture que je conseille.
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