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Critique de LaBiblidOnee


Ultrabeau ! Un bel objet de 145 pages pour les envies de jolie plume, de sensations poétiques. Ultramarin, c'est une fable onirique sur ce fragile équilibre à trouver entre nos libertés et la routine quotidienne où l'on se laisse régir par les devoirs. Cet équilibre on le cherche tout le temps, que ce soit dans la vie familiale, professionnelle, ou encore de citoyen. Parfois, on se rend compte qu'on a laissé nos petites libertés se faire grignoter. Alors on tente d'en reprendre le contrôle. Même les marins, courant après l'aventure infinie dans un paysage sans limite, y sont confrontés : Leur vie n'est pas dépourvue de barrière, ni d'une certaine routine aussi rassurante qu'agaçante.


« Parfois elle ne sait plus rien faire, et son corps est arrêté, où qu'elle aille, par une barrière, un escalier, un règlement, un garde-fou, une nouvelle porte, un danger, un coup de vent, (…) une échelle, un doute, un horaire, un changement de température, un radar, une consigne de sécurité, une somnolence, une voix, une alarme incendie, une totale impuissance. »


Dans cette histoire, une commandante expérimentée a vingt marins sous ses ordres. Elle les dirige d'une main de fer dans un gant de velours, sans relâche pour que son autorité féminine demeure sans faille. Mais le carcan parfois est trop serré. Alors si rien qu'une fois, juste cette fois, on brisait les chaînes, on prenait ou reprenait le contrôle de nos corps, de nos vies, de nos destins. Si, rien qu'un instant, un tout petit instant, on se sentait libre, dans l'immensité bleue à perte de vue, là où l'eau se mélange avec l'air, le ciel avec la mer… Si l'on s'accordait de l'espace, après ces jours à vivre les uns avec les autres, les uns sur les autres ? Une baignade, rien qu'un plongeon et quelques brasses. Nos rires et des frissons, de froid, de peur ? Qu'importe, la liberté, dit-on, n'a pas de prix. Pour une fois, ces hommes, sur lesquels la carapace métallique du bateau commençait à déteindre, ont eu envie de se mettre à nu. Et elle a dit : « D'accord ». D'accord, jetez-vous à l'eau et ôtez vos carapaces, d'accord passons sous les radars un moment, volons cet instant sans surveillance pour faire autre chose que ce que l'on attend de nous, pour une fois.


Et l'on profite avec eux de ce délicieux moment du passage à l'acte, qui prend son temps, savoure en conscience la sensation du corps qui pénètre lentement dans les eaux interdites sous la caresse sensuelle du soleil. Voilà en quoi Ultramarins peut toucher tout un chacun : sa métaphore s'applique à cette envie que nous avons tous déjà eue, que nous avons peut-être régulièrement, de tout plaquer une minute pour souffler un peu. Oter les masques, surtout en période de pandémie, et laisser respirer la peau dessous, tous nos pores, tout notre être pour nous sentir enfin ultralibres. « Voir ce qui advient quand elle ne commande plus rien ». Et puis,


« En une seconde ils sont sous l'eau, les cheveux méduses, enfin livrés à autre choses qu'aux embruns, ondulent, libèrent de leur pression les crânes, ne pèsent plus rien. »


Pourtant rapidement, un léger vertige nous prend, à flotter à la surface d'un immense vide que l'on se sent insuffisant à remplir, comme un tourbillon d'inconnu dans un océan de règles, un vent de panique qui agite les vagues à surmonter, remous qui dans notre affolement nous paraissent d'un coup insurmontables, nous cachent la vue des autres et de leur soutien. Parce que comme toute liberté, celle-ci fait un peu peur. Comme toute liberté dérobée, ou retrouvée, on ne sait peut-être pas totalement l'habiter du premier coup, nous l'approprier et surtout l'assumer. Nos consciences nous questionnent et, comme elle est volée, on doit désormais la taire, elle est notre secret. Un secret qui prend toute la place dans les silences, les non-dits, entre deux procédures, il s'infiltre dans les pensées, les recoins du bateau.


« Pour d'aucuns c'est trop tard, ils ont eu la vision nette des kilomètres sous leurs pieds, et ce qu'ils ne s'attendaient pas à rencontrer ici, le vertige, est arrivé. Plus de différence entre les corps suspendus au-dessous des ponts et de tous les parapets, les corps en montagne qui escaladent cherchant le vide, et leur corps à eux, ici et maintenant, leurs corps d'innocente baignade. Plus de différence entre les étages angoissants du suicide et la nage prudente autour du canot. L'idée s'est ouverte sous leurs pieds, et dans leur ventre, un déchirement. »


Dans ce très joli texte, où l'humeur météorologique du paysage suit celle de l'équipage, ses joies, ses doutes, ou encore sa confiance retrouvée en l'humain, sa routine, ses règles rassurantes, la liberté se vit comme une évasion, quelque chose à conquérir mais qui n'a aucun sens dans l'absolu, sans ses limites, sans les contraintes qui la cantonnent à quelque chose à taille humaine.


« A terre, ce serait mettre son bras autour du cou d'un cheval et respirer avec lui. Attendre qu'une confiance naisse, un lien muet, dont on se fait croire qu'il est une fidélité, quelque chose d'éternel alors qu'on sait que tout est chaque jour à recommencer. »


Quelque chose d'essentiel mais de maitrisable.


« Ils n'auront pas dessiné un filet bien large au milieu de l'océan.
Ils n'auront pas nagé plus de trente-cinq minutes.
Ils n'auront pas été autre chose que des créatures terrestres qui paniquent dans le bleu.
Ils auront vu leur vie résumée dans une vague, espéré le rivage et le réveil. »
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