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Critique de afriqueah


Bien que Ryszard Kapuscinski dans son incipit se garde bien de généraliser sur l'Afrique, il le fait quand même, en en relevant les ressemblances psychiques, au delà des dissemblances évidentes entre quelques pays où il vit.
C'est un monde, ce livre, une Bible, une étude particulièrement aigue, reconnaissante, proche de la réalité des manières de vivre de certains africains.
Un chef d'oeuvre pour qui veut comprendre quelques points communs à la partie sub-saharienne de l'Afrique.

1-Le temps n'a pas la même valeur qu'en Europe où l'on court et où on oublie de respirer et de penser ( enfin, certains ) le temps, en Afrique, « est une catégorie beaucoup plus lâche, ouverte, élastique, subjective, ».C'est l'homme qui invente son temps, avec l'aide des ancêtres toujours présents, et les dieux, aussi.
Le temps est mis en marche par nous les humains, il n'existerait pas si nous n'y pensions pas. ( Saint Augustin l'Africain le disait déjà.)

2- La mobilité : les villages sont parfois en proie aux épidémies, aux invasions, au feu, à la stérilité des sols, d'où la nécessité de migrer par « l'esquive, la dérobade et la ruse »

3-La solitude, une situation intenable pour un africain, qui vit regroupé en famille, protégé par le clan, faisant toujours « partie de ». D'où la difficulté pour les écrivains africains de s'isoler pour écrire. Car survivre, dans des conditions précaires, ne peut se faire qu'en groupe, avec l'aide , de plus, des ancêtres, confondus dans l'imaginaire avec les dieux.

4- La Matrilinéarité : l'enfant appartient aux deux époux, cependant, c'est bien l'ascendance de la femme qui prévaut, entre autres avec le pouvoir de l'oncle maternel, vrai père de l'enfant. (Matrilinéarité n'est pas matri localité, les femmes continuent à aller habiter chez leurs époux, le pouvoir cependant leur appartient.)

5- Les esprits. Ils existent, des sorciers peuvent faire du mal, « manger les âmes », ce que nous européens appelons dépression, tout en étant aussi démunis pour en comprendre les raisons que eux, qui croient aux sorciers sans jamais en avoir vu un.
Les sorciers agissent souvent à distance, et agissent.

6- Les bestioles : « des fissures du plancher et des murs, des chambranles et des coins, dessous les tasseaux et rebords des fenêtres sortent au grand jour des armées de fourmis, de mille-pattes, d'araignées et de scarabées, s'envolent des nuées de mouches et de papillons de nuit. »Et les plus redoutables, les moustiques.

7- le partage : jamais un enfant ne mangera sans en donner aux autres, la nourriture étant un acte social par excellence. Même si elle est rare, surtout si elle est rare, elle se partage, le jour même. ( d'ailleurs, garder de la nourriture est un acte condamné d'avance, vu le nombre de souris affamées elles aussi)

Journaliste polonais appelé sur les zones de conflits, Kapuscinski ne se contente pas de ces idées générales, il analyse les raisons des guerres, avec une vraie connaissance et vraie compréhension de ce dont il parle. Une appartenance aux civilisations qu'il visite, on pourrait dire de l'intérieur, sans ingénuisme, sans idée préconçue, au plus près de la vérité, relevant les paradoxes ; j'en cite certains :

Le Ghana est le premier pays au Sud du Sahara à obtenir l'indépendance, Nkrumah partisan du panafricanisme, accueille tous les mouvements activistes du continent et des Noirs Américains , avec les dissensions inattendues, ou comment une vraie bonne idée peut capoter( voir Maya Angelou)

Zanzibar a été peuplé de musulmans réfugiés de Chiraz en Iran, qui ont vaincu les Portugais , avant d'être colonie britannique. Puis un agitateur déclare que les Arabes, propriétaires des plantations de girofliers et de cocotiers, et cerveaux de la traite et de la vente des esclaves, -servant souvent de porteurs de l'ivoire, huile de palme, peaux de bêtes sauvages , pierres précieuses, à destination de l'Orient- sont des étrangers, et donc, à combattre. Et l'Indépendance, justement, pour les Arabes, signifie prendre le pouvoir, les Noirs veulent aussi le pouvoir. Problème.

Le Rwanda : ce petit pays est divisé en non pas deux ethnies, deux tribus, deux religions différentes mais en deux castes, comme sous l'ancien Régime en France : les propriétaires de bétail, Tutsis, 14% de la population, et la caste des agriculteurs, les Hutus , 85% de la population. Révolution des uns contre les autres, répression et mise à feu, vengeance , peur de la vengeance, très profondément ancrée chez les africains, dit l'auteur et génocide que l'on connait.

Le Libéria : seul pays d'Afrique de l'Ouest à ne pas avoir connu le colonialisme, d'anciens esclaves venus d'Amérique y accostent. Ils sont affranchis, et, comble du malheur dont Graham Greene parle dans son livre « Voyage sans carte », ils vont se conduire comme des colons. Ils n'ont connu que l'esclavage, puisqu'on sait qu' être affranchi aux USA , c'est être toujours esclave, alors, ils le recréent , ce statut, à leur avantage sur ces sauvages indigènes.
Malheur, malheur. Suivi d'autres malheurs, coup d'Etat, dictatures, terreur, coup d'Etat.

Et livre absolument génial, historique, attentif aux histoires qu'il transmet, une somme, un chef d'oeuvre, qui m'a été offert par Dombrow01, Pierre Duchesne III .


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